Le MegaOctet d'Andy Emler, 25 ans de virtuose impertinence
Fondé en 1989 par le pianiste, organiste et compositeur Andy Emler, le MegaOctet comporte neuf musiciens de tous horizons. Un octet augmenté, en somme. Vingt-cinq ans se sont écoulés entre le premier album éponyme et le dernier en date, le réjouissant et survitaminé "Obsession 3" (La Buissonne). Couvert de distinctions, ce groupe forgé pour la scène se produit paradoxalement peu ces temps-ci, dans une conjoncture frileuse pour les musiques improvisées et la création en général. Très sollicité en tant que compositeur pour le jazz et le classique, Andy Emler, né le 12 mars 1958 à Paris, ne s'ennuie pas pour autant. Mais il porte un regard sévère sur la situation de la culture en France.
- Culturebox : Le précédent disque du MegaOctet, "E Total", tournait autour du "mi" (E = mi dans la notation anglosaxonne). Avec "Obsession 3", vous vous intéressez à une question rythmique...
- Andy Emler : À chaque fois, je m'impose un challenge d'écriture. Pour ce disque, tous les morceaux devaient être composés en trois temps. Mais on n'est pas dans la valse !
- Le MegaOctet suit-il d'autres règles ?
- Outre l'exercice d'une thématique précise, il faut de l'humour. Je mets des citations dans tous les disques. Elles sont maquillées dans l'écriture. Il y a du Michel Legrand, du Chopin, du Brel... Elles sont parfois bien planquées ! Il y a aussi "La Mère Michel", ainsi que "J'ai du bon tabac" : celui-là est dans tous les albums. Je m'arrange pour qu'à chaque fois, un musicien différent le joue. Médéric (Collignon, ndlr) y a eu droit, ainsi que Thomas (de Pourquery), tout le monde ! Dernier principe, chaque musicien doit avoir son instant de soliste dans le groupe. C'est un vieux concept jazz. Les autres musiciens m'ont d'ailleurs obligé à prendre un solo, je n'en prends jamais d'habitude, je ne m'estime pas soliste du tout.
- Vous avez enregistré l'album en deux jours...
- Chaque fois qu'on enregistre, on le fait en deux après-midis.
- C'est fou car ce sont de sacrés morceaux !
- Ce qui est fou, c'est plutôt de penser à ceux qui sont mauvais et qui enregistrent trois chansons en trois semaines de studio ! Mais si on disposait d'une semaine entière, je ne suis pas sûr qu'on ferait la même chose. Dans les conditions qui nous sont données, il y a une performance. On enregistre dans un endroit où personne n'est perturbé par des contingences familiales, des imprévus divers. On est dans le Vaucluse (au studio de La Buissonne, ndlr), dans un endroit intimiste où il n'y a pas d'autre solution que d'être disponible. Donc ça va vite. Parce qu'ils sont très bons ! Des virtuoses !
- La brièveté du temps passé en studio contribue à la sensation d'écouter un album live. Vous avez conservé des éclats de rire à la fin d'un morceau et on vous entend présenter les musiciens !
- Je mets toujours des sons de voix. On rigole beaucoup. Ce qu'on vit dans le quotidien, il n'y a aucune raison de ne pas le mettre sur un disque. Sur le fait de présenter les musiciens, c'est la première fois. On le fait sur scène, pourquoi ne pas le mettre aussi sur l'album ! Le disque a été joué façon live. Il n'y a pas de re-recording, de post-production, il y a uniquement des musiciens qui jouent une partition, improvisent ensemble et se marrent ! On a enregistré en général deux versions de chaque morceau. Pour chaque titre, le musicien soliste a retenu la version avec le solo qu'il préférait.
- Quel regard portez-vous sur l'évolution du MegaOctet en un quart de siècle ?
- Dans les années 90, le groupe était beaucoup plus électrique et incluait d'autres musiciens. Seuls deux membres du groupe d'origine sont encore là : le saxophoniste alto Philippe Sellam, ainsi que le percussionniste François Verly avec qui je travaille depuis les années 77-78. Aujourd'hui, c'est surtout formidable que le groupe existe encore ! Peu d'orchestres ont une telle longévité. Beaucoup de musiciens y sont passés. L'équipe actuelle est pratiquement la même depuis quinze ans, c'est un record ! C'est comme les couples. Rester ensemble longtemps, avec beaucoup d'amour, sans faire semblant, ça n'arrive pas souvent. C'est d'autant plus formidable à notre époque où, pour pouvoir vivre de la musique, l'intermittent du spectacle est obligé de multiplier les projets et les groupes. Cela dit, je ne regarde pas trop le passé. Je n'écoute plus la musique une fois que je l'ai enregistrée. Quand vous mixez un disque, vous réécoutez certains passages 30, 40 fois de suite. Alors je n'en peux plus ! En musique, je recherche toujours des choses qui vont me surprendre et là, ce ne sera forcément plus le cas.
- Comment qualifieriez-vous le son du MegaOctet aujourd'hui ?
- Pour commencer, il est acoustique... C'est difficile de trouver un terme générique pour qualifier cette musique... Je dirais que c'est une musique présente, d'aujourd'hui, lisible de toutes les oreilles, avec l'énergie du rock'n roll, le groove et la magie du jazz, et l'écriture savante du classique. Le but, c'est de faire la musique vivante. Ça ne peut pas être plus vivant que ça.
- Rock, jazz, classique... Est-ce qu'on y retrouve vos premières influences ?
- J'écoutais du classique et j'ai été formé par une organiste qui me laissait libre d'improviser parce que j'aimais bien ça. Au fil de l'histoire, les organistes ont toujours été des improvisateurs, dans le classique. Comme j'étais un très mauvais interprète, elle m'a fait manger des symphonies, des œuvres à deux pianos, ce qui fait que l'écriture classique m'intéresse. Puis, grâce à mon frère et des amis, j'ai découvert Led Zeppelin, les Stones, les Beatles, les Who dans les années 70. Enfin, des copains m'ont fait découvrir la période électrique de Miles Davis, Chick Corea, Herbie Hancock. J'ai découvert le jazz plus tard, en revenant en arrière dans la chronologie pour voir ce qu'ils avaient fait avant. C'est des gens comme Chick Corea, Keith Jarrett ou le groupe Weather Report qui m'ont influencé.
- Revenons au MegaOctet. En un quart de siècle, il y a eu certainement de grands moments avec ce groupe...
- C'est des moments en dehors de la musique. Des moments humains. C'est notre nourriture extérieure, ce qui nous donne envie d'être ensemble, de jouer ensemble. On rigole beaucoup, c'est vrai. Bien sûr, il y a eu des prises de bec, mais c'est l'humain qui est le moteur dans tout ça. Vous écrivez de la musique parce que vous avez rencontré un ensemble particulier de musiciens, des solistes particuliers. Il y a eu des temps forts formidables. Gamin, j'allais voir des concerts à Pleyel. J'y ai vu Oscar Peterson, l'Orchestre de Paris... Je rêvais d'y jouer un jour. Un jour, le MegaOctet a fait un projet avec les Percussions de Strasbourg. Ils sont six. Chacun d'eux avait apporté trois boîtes à meuh, ces objets qu'on retourne et qui font "meuh !", ce qui faisait donc un son énorme. Et nous, nous sommes arrivés sur scène en imitant les chèvres ! À Pleyel, avec mille personnes en face de nous ! Ça, c'était un moment énormissime.
- Vos plus grandes difficultés ?
- C'est lié à des choix politiques. Il y a quinze ans, on était encore respectés car nos élus étaient cultivés. Aujourd'hui, ils sont incultes. Leur culture, c'est la télé. On ne raisonne plus en termes de création mais en termes de rentabilité. Résultat, il n'y a plus d'argent pour engager de la création musicale. Donc le MegaOctet ne tourne pas, comme un tas d'autres formations. Il y a quelques années, les théâtres ont reçu une circulaire ministérielle : "On vous subventionne si vous remplissez vos salles." Bien sûr, programmer Gad Elmaleh, ça remplit mieux les salles que le MegaOctet, même si ça coûte bien plus cher ! On ferme des théâtres, des clubs de jazz et même des conservatoires. En France, on a la spécialité de prendre les mauvaises décisions et de s'en apercevoir dix ans plus tard. Je conseille à mes étudiants qui veulent devenir musiciens professionnels de quitter le pays, d'aller étudier ailleurs, quitte à revenir plus tard pour se battre pour la culture. Quand le divertissement prend le dessus sur la culture, le pays est en danger. Quand les gens deviennent abrutis, ils deviennent violents. J'ai été scolarisé dans les années 60 dans une école américaine où on avait cours le matin, puis sport et culture l'après-midi. En France, on n'y arrive pas. Il faudrait une vraie politique qui développerait l'imaginaire des enfants, l'ouverture d'esprit, l'esprit critique, ce qui impliquerait des citoyens plus dangereux à gouverner. Je ne dis pas qu'il y a un complot, mais il y a un complot par incompétence.
- Un grand regret ?
- On propose des musiques d'énergie qui transmettent un enthousiasme énorme. On n'est pas les seuls dans ce domaine. Chaque fois qu'on fait un concert, les gens sont debout de bonheur. Ils disent : "On ne savait pas que cette musique existait !" Alors mon regret, c'est qu'un orchestre comme le MegaOctet qui existe depuis vingt-cinq ans, qui fait tellement de bien, qui devrait être connu dans le monde, n'ait pas pu tourner car je n'ai jamais trouvé l'alter ego businessman qui aurait su vendre le groupe à l'étranger. Je suis passé par le système associatif, donc je n'ai pas d'agent. Les agents que j'ai contactés ne voulaient pas de cette musique parce qu'elle ne rentrait pas dans le moule commercial. À l'époque, il fallait faire du jazz swing, et ce que l'on proposait était jugé avant-gardiste.
- Quelques mots sur les concerts de vendredi et samedi au Triton ?
- On a appelé ce spectacle "Top Ten !" : on y fête la sortie du nouveau disque et on y rejoue des anciens morceaux, en l'occurrence des musiques des quatre derniers albums. Hier (mercredi, ndlr) après-midi, on a repris et répété des anciens thèmes. En trois heures de répétition, on a monté trois heures de musique. C'est invraisemblable. Ils sont tous très, très bons ! C'est un vrai bonheur.
Le MegaOctet d'Andy Emler en concert
Vendredi 13, samedi 14 novembre au Triton, 21H
11 bis, rue du Coq-Français
93260 Les Lilas
Tél : 01 49 72 83 13
> L'agenda-concert d'Andy Emler
Le MegaOctet
Andy Emler : piano, composition, direction
Philippe Sellam : saxophone alto
Guillaume Orti : saxophone alto
Laurent Dehors : saxophone tenor
François Thuillier : tuba
Laurent Blondiau : trompette
François Verly : percussions, marimba
Éric Echampard : batterie
Claude Tchamitchian : contrebasse
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