Les carnets de voyage du pianiste Harold López-Nussa
Né le 13 juillet 1983 à Cuba dans une famille de musiciens, Harold López-Nussa a cheminé progressivement de la musique classique au jazz, un registre dans lequel son frère et son père, tous deux batteurs, l'accompagnent régulièrement. Si son frère Adrián Ruy est membre du trio de l'album "El Viaje", paru sur le label américain Mack Avenue, son père Ruy Francisco fait également partie des invités du disque.
Ces derniers temps, le lien de parenté historique entre Cuba et l'Afrique inspire énormément les musiciens. Richard Bona, célèbre bassiste-chanteur camerounais, a consacré tout son album "Heritage", sorti l'été dernier, à cette thématique. En 2015, le bassiste sénégalais Alune Wade a invité Harold López-Nussa sur son album "Havana-Paris-Dakar" qui illustrait aussi la connexion entre les deux cultures musicales.
Les deux musiciens prolongent ce partenariat dans le dépaysant "El Viaje", où la chaleureuse voix de Wade s'allie avec délicatesse au piano de López-Nussa. Un disque lyrique et coloré, tantôt ensoleillé, tantôt mélancolique, constitué de compositions originales et de reprises (dont une de Chucho Valdés) autour des états d'âme du voyageur. Parmi les invités, on retrouve le fascinant Dreiser Durruthy, vocaliste, percussionniste et danseur qui se produit régulièrement aux côtés de Chucho Valdés.
Le trio de Harold López-Nussa présente ce disque ce mercredi 30 novembre à Paris, au New Morning, dans le cadre d'une tournée qui passe ensuite par Monaco et Fort de France.
[NDLR : l'interview qui suit a été réalisée avant la disparition de Fidel Castro]
- Culturebox : Votre nouvel album "El Viaje" a-t-il été pensé comme une suite, une réponse à "Havana-Paris-Dakar" déjà enregistré avec Alune Wade ?
- Harold López-Nussa : Pour "Havana-Paris-Dakar", tout est parti de l'idée d'Alune d'enregistrer un album à La Havane, avec des musiques populaires africaines jouées par des Cubains. Dans "El Viaje", la musique est différente, c'est davantage du jazz, avec plus de compositions personnelles. Mais ça représente bien sûr la continuation, la suite de notre travail entamé ensemble. Ce disque a été réalisé dans l'esprit de se faire plaisir, de s'amuser, d'échanger. Pour moi, Alune représente un lien avec la musique africaine. J'apprends beaucoup avec lui. On peut dire que les racines les plus importantes de la musique cubaine viennent d'Afrique. Pourtant, à Cuba, on ne connaît pas bien les musiciens africains et leur travail. C'est pourquoi Paris occupe un rôle important pour moi. J'y ai découvert beaucoup de musiciens africains.
- Racontez-moi votre rencontre avec Alune Wade.
- Il y a quatre ans, Alune a remplacé le bassiste de mon trio pour un concert en Allemagne. C'est là qu'on s'est vraiment connus. Je me souviens qu'à la fin du concert, après avoir joué tout le répertoire que nous avions répété, le public nous réclamait davantage de musique. Alors j'ai commencé à jouer de la musique cubaine traditionnelle, une chanson connue. Alune, qui connaissait ce morceau depuis son enfance, a commencé à jouer aussi. Au Sénégal, il écoutait beaucoup de musique cubaine. Entre nous, il y a eu une connexion géniale et très rapide. Après ce concert, on est devenus amis, puis il a eu l'idée d'enregistrer son disque à La Havane, sur lequel il m'a donc invité. Ensuite, il a continué de jouer dans le trio que j'anime. C'est une relation d'amitié devenue également professionnelle.
- Comment présenteriez-vous Alune Wade ?
- C'est un musicien incroyable qui joue formidablement de la basse, qui chante, qui est ouvert à tous les genres de musique. Il connaît bien la musique cubaine mais il la joue et la comprend d'une autre façon. Si on joue un cha-cha-cha, il le jouera différemment d'un Cubain. On essaie de mélanger toutes ces expériences musicales. Tout cela est important pour moi, car ça me permet d'entrevoir tout un éventail de musiques, de choses intéressantes que nous pouvons aborder ensemble. C'est ainsi que nous travaillons : j'amène mes idées et Alune apporte des choses qui donnent d'autres couleurs à notre musique. Mon frère, à la batterie, fait de même. Le résultat, c'est un travail collectif, à trois. Nous avons réalisé ensemble les arrangements du dernier disque.
- Comment s'est constitué le répertoire du disque ?
- Quand je suis en voyage et que je fais de la musique, il y a toujours des images, des lieux, qui m'inspirent. Je pense à un morceau comme "El Viaje" qui a donné son titre à l'album. Quand je le joue à Cuba, je pense à mes voyages dans le monde. Quand je le joue à Paris, je pense à chez moi, à Cuba... Les musiciens voyagent beaucoup. Ce que j'ai mis dans le disque, c'est le fruit de l'expérience emmagazinée au cours de l'année écoulée. C'est par exemple le cas de "Inspiración en Connecticut" que j'ai composé lors d'un séjour aux États-Unis, dans un petit village qui possède un magnifique club de jazz. On a séjourné dans une splendide maison, en pleine campagne, où il y avait un piano... L'idée du disque, c'est de voyager avec notre musique, mais aussi faire voyager la musique cubaine dans le monde !
- Que représente le voyage pour vous, Cubain, habitant d'une île à l'histoire très particulière ?
- Cuba est une île qui est restée vraiment fermée pendant des années. Maintenant, on peut voyager un peu plus facilement et voir ce qui se passe à l'extérieur, ce qui n'était pas le cas auparavant. Pour les Cubains, le voyage représente quelque chose de mythique. Beaucoup de gens ont envie de voyager mais ne le peuvent pas. J'adore voyager, mais c'est parfois difficile : vous êtes loin de votre famille, de vos amis, de votre maison. Mais c'est bien sûr magnifique de jouer à Paris, en Allemagne, au Japon, aux États-Unis...
- On retrouve cette ambivalence si l'on compare le titre d'ouverture du disque, "Me voy pa' Cuba" (Je vais à Cuba), composé par Aldo López-Gavilán, un morceau très joyeux, et votre composition, "El Viaje", morceau-titre de l'album, qui est très mélancolique.
- Aldo, qui est un grand ami, a écrit ce morceau à Londres, ça a rencontré beaucoup de succès dans les années 80, 90... Ça exprime la joie du retour à Cuba. C'est pour ça que j'en ai fait le morceau d'ouverture du disque. Je ressens toujours cette joie quand je rentre chez moi. Je connais ce morceau par cœur, j'avais envie de le reprendre à ma manière et je souhaitais aussi, au travers de ce disque, mettre en valeur la musique d'autres compositeurs cubains. "El Viaje" est un morceau que j'ai commencé à écrire en voyage. Il est plutôt mélancolique, j'y exprime le manque de mon pays, de mes racines cubaines, de ma famille.
- Votre précédent album, "New Day", et "El Viaje" ont été enregistrés à La Havane. Je crois que c'est quelque chose qui vous tient toujours à cœur...
- Oui, c'est important pour moi, en ce moment, de faire des disques à Cuba, de dire au monde que l'on peut y faire des choses, et qu'on peut les faire bien. Bien sûr, tout ne marche pas forcément parfaitement, mais au moins, on essaye.
- Je me souviens que vous me racontiez, la dernière fois que l'on s'est vus, des problèmes logistiques divers : un appareil en panne, le manque d'une voiture pour vous emmener au studio ou pour transporter un instrument... Ces problèmes existent-ils toujours ?
- Tout le temps ! Quand Alune est venu à Cuba pour l'enregistrement, mon frère lui a prêté son appartement. Quand je suis allé le chercher là-bas, il m'a dit : "Il n'y a pas d'eau." [Il rit] À Cuba, une fois par jour, de manière aléatoire, l'eau est coupée dans certains endroits et il faut attendre le lendemain pour que ça revienne. J'ai dit à Alune : "Je suis vraiment désolé pour tout ça..." Il m'a répondu : "Ne t'inquiète pas, je viens d'Afrique, c'est encore pire là-bas !" Alors chaque jour, je transportais Alune, qui est très grand, avec sa basse, dans ma petite voiture... C'est ça, Cuba !
Depuis La Havane, le 17 novembre, Harold López-Nussa invitait dans son très bon français les mélomanes à venir l'écouter au New Morning le 30 :
Harold López-Nussa trio en concert
Mercredi 30 novembre 2016, 20H, à Paris, au New Morning
Vendredi 2 décembre, 20H30, à Monaco, au Monte-Carlo Jazz Festival
Dimanche 4 décembre, 14H, à Fort-de-France, en clôture du Martinique Jazz Festival
> L'agenda-concert de Harold López-Nussa
Harold López-Nussa : piano
Alune Wade : chant, basse électrique
Ruy Adrián López-Nussa : batterie, percussions
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