Loïs Le Van, tellement plus qu'un chanteur de jazz
On a du mal à croire qu'il s'est mis au chant à dix-huit ans. Cette révélation tardive ne l'a en rien inhibé. Loïs Le Van, né le 23 juin 1984 à Lyon, s'est entièrement voué à sa passion, suivant les enseignements de Roger Letson en Californie, David Linx à Bruxelles, et de nombreux master-classes. Son talent naturel et son travail ont porté leurs fruits avec une victoire au concours de jazz vocal Voicingers en Pologne.
Multipliant les projets, Loïs Le Van a sorti un premier disque en leader, "The Other Side", à la tête d'un sextet, en 2014. Avec le chanteur Manu Domergues, il a cofondé l'ensemble vocal a cappella Ego System. Avec la pianiste Sandrine Marchetti, il a créé le duo poétique Les Yeux de Berthe.
Le 12 septembre, il est revenu avec un projet personnel, "So much more" (Hevhetia / Musea), deuxième album en leader, et dont le titre sonne comme une promesse. Promesse tenue. "So much more" est une réussite, un recueil musical délicat et raffiné, dont chaque titre pourrait évoquer un standard tout en étant bien ancré dans notre époque, porté par la personnalité affirmée et incisive de ses protagonistes. Autour de la voix suave et mystérieuse du chanteur, Sylvain Rifflet (récent lauréat d'une Victoire du Jazz), Bruno Ruder et le Canadien Chris Jennings créent un climat d'introspection singulier, mystérieux et captivant, dans une parfaite synergie.
Le groupe a présenté cet album mardi 18 octobre 2016 à Paris sur la scène du Studio de l'Ermitage.
- Culturebox : Vous vous êtes lancé dans des études musicales assez tard par rapport à la plupart des musiciens professionnels. Racontez-nous.
- Loïs Le Van : J'ai découvert le chant lors d'un stage à Crest Jazz Vocal (festival et académie drômois et aoûtiens de chant, ndlr), que mon père m'avait offert pour mes dix-huit ans. C'était avec la chanteuse Gildas Solve. J'ai bien aimé chanté, j'avais l'impression que j'étais très bon et que ça se faisait tout seul (il rit) alors que c'était ridicule ! Mais il y avait une bonne ambiance, je chantais, les gens appréciaient... Il y avait des jeunes de mon âge parmi lesquels Manu Domergue qui est devenu un super pote. On a formé une bande d'amis, c'était une aventure humaine incroyable. Toutes ces rencontres m'ont fait continuer la musique. J'ai commencé le conservatoire à 19 ans, parallèlement à une année de faculté en communication.
- On compare votre timbre de voix, votre façon de chanter, à Chet Baker. Fait-il partie de vos grandes sources d'inspiration ?
- Il a été la première source d'inspiration. Mon premier amour obsessionnel, c'était Chet. Quand j'ai commencé la musique, je n'écoutais que lui. Par la suite, il y a eu plein de grandes influences... La première personne qui m'ait fait arrêter d'écouter Chet en boucle, c'est Jeanne Lee. Elle a enregistré deux disques fantastiques avec le pianiste Ran Blake. Au même moment, j'ai découvert Shirley Horn, puis Abbey Lincolm, Sidsel Endresen... Il y a eu David Linx, Kurt Elling, Gábor Winand... Hier (dimanche 16 octobre, ndlr) je suis allé voir Theo Bleckmann en concert. Fantastique ! Si je me tiens informé sur tout ce qui se passe du côté des chanteurs masculins - on n'est pas très nombreux ! -, mes grandes influences restent féminines.
- "So much more", votre deuxième disque, est très intimiste, mystérieux, il sonne presque comme une confidence... Qu'aviez-vous envie d'exprimer au moment où ce projet s'est dessiné ?
- On parlait justement du jazz vocal masculin. Avec des artistes comme Kurt Elling, Gregory Porter, ce jazz a un côté très viril. Il faut mettre les c... sur la table ! C'est très bien, mais de mon côté, j'ai envie de dire autre chose. J'écoute des artistes plus intimistes et j'ai envie de l'assumer jusqu'au bout. C'est ce que j'ai fait dans ce disque. Dans le même esprit, j'aime laisser de la place aux autres musiciens. Je trouve que de cette façon, il y a plus de musique. J'ai envie de faire une musique que j'aurais moi-même envie d'écouter. Du coup, je n'ai pas envie de n'entendre que moi, sans arrêt !
- Le moins qu'on puisse dire, c'est que vous n'en faites pas des tonnes, en effet ! Pour vous, la voix est-elle un instrument comme un autre ?
- Exactement. Dans ce groupe, je voulais que nous soyons tous sur le même plan. Le but n'était pas d'écraser les autres. La volonté était de faire un album de groupe.
- À l'exception d'une reprise d'une chanson de Robert Wyatt, vous signez toutes les musiques du disque...
- J'ai écrit des musiques un peu à la façon de standards. Nous avons répété juste avant le studio. L'objectif, c'était que les musiciens se sentent libres, qu'ils fassent ce qu'ils voulaient. Bien sûr, j'impose une direction, une volonté artistique, mais elle n'est pas passée par des mots. Cela s'est fait par une intention musicale. J'ai commencé par chanter, puis chacun a trouvé sa place.
- N'aviez-vous pas prévu des arrangements pour les morceaux ?
- Au début, je voulais mettre l'accent sur la spontanéité... puis j'ai complètement flippé ! (il rit) J'ai commencé à écrire plein d'arrangements. Puis je me suis arrêté. J'ai décidé de revenir à mon idée principale qui consistait à laisser les musiciens libres. C'est pour ça que je les avais choisis. Finalement, on a enregistré l'album très vite, en un jour et demi, les premières prises ayant été retenues pour le disque.
- Ce disque a été enregistré comme un vrai album de jazz à l'ancienne ! Ce qui n'empêche pas vos chansons de sonner très modernes...
- C'était aussi un objectif du disque. Actuellement, dans le jazz vocal, il y a un côté très pop, très électronique aussi, dans la production. Or, j'ai le sentiment profond que l'on peut faire quelque chose d'actuel en allant puiser dans les éléments du passé, en jouant de manière très acoustique.
- Comment avez-vous choisi les musiciens du groupe ?
- Si je voulais un album très acoustique, je n'en suis pas moins un chanteur de mon temps. Je voulais donc m'entourer de musiciens qui s'expriment dans un langage très actuel. J'ai contacté en premier Sylvain Rifflet. Je suis complètement fan. Il a regardé mes partitions et il m'a dit : "Ok, on le fait." Ensuite, il y a Bruno Ruder. J'ai mis un peu plus de temps à le trouver. J'ai l'habitude de travailler avec la pianiste Sandrine Marchetti et je n'entendais qu'elle au piano ! Mais je voulais rechercher autre chose. Bruno a quelque chose qui est à la fois très jazz et contemporain, très éclaté, très libre. Il saisit une idée et la transcende complètement avec son langage. Sylvain a un côté plus rock, inspiré par la musique répétitive. Enfin, Chris Jennings possède un jeu un peu inspiré de la musique du monde. Mais les trois viennent profondément du jazz, ce qui explique que nous n'ayons pas eu besoin de communiquer. Et ils ont tous développé quelque chose de très personnel à partir du jazz.
- Votre groupe ne comprend pas de batterie ! Pourquoi ce choix ?
- Afin que nous puissions tous être dans l'interaction et nous entendre parfaitement. Je voulais aussi que l'auditeur puisse tous nous entendre à la manière d'un contrepoint à quatre. Je vais généraliser, mais dans un groupe de jazz avec batteur, il y aura toujours un peu de bruit, quelque chose qui se passe en fond sonore, on entendra moins la voix ou la contrebasse. Dès qu'on enlève le batteur, on n'est obligé de tous "se capter", et rythmiquement, on gagne une certaine souplesse.
- Les textes des chansons sont signés de François Vaiana... Quelques mots à son sujet ?
- C'est un chanteur américano-belge que j'ai connu quand nous étions tous les deux élèves de David Linx à Bruxelles. Il a déjà écrit des textes pour mon premier CD. Je lui envoie les musiques, il y colle des mots. Je voulais des textes en anglais. On se connaît très bien. Il écrit divinement bien. Ses textes sont très poétiques tout en étant terre à terre, c'est incroyable... Je les ai réappris pour le concert parisien. J'ai réalisé que je n'en avais pas compris tous les niveaux de lecture. À chaque fois que je travaille ses textes, je découvre de nouvelles choses ! Cela donne à ma musique une dimension que je n'ai même pas encore atteinte moi-même.
- Quels sont les thèmes évoqués dans vos chansons ?
- Pour chaque titre, il y a un côté très concret et un autre très abstrait. Je pense par exemple à "The Old Father and the Polaroid". C'est l'histoire d'une vieille dame qui accueille quelqu'un chez elle, pour le repas. Elle demande à pouvoir appeler cette personne par un nom particulier... En fait, elle attend certainement son mari qui est décédé, et l'invité se fait passer pour le défunt pour profiter de la table et de la dame. Chaque chanson est comme un petit court métrage poétique, avec des choses très imagées.
- C'est aussi le cas pour "Redwood Meadows", avec son clip un peu étrange ?
- (Il rit) Exactement ! Redwood Meadows est le nom d'une ville fictive, aujourd'hui déserte. Quelqu'un y conduit une voiture et s'interroge sur la vie, les choses qu'il y avait là avant. La chanson décrit une ambiance.
- Vous présentez ce disque ce mardi soir à Paris. Êtes-vous heureux du travail accompli ?
- Oui ! C'est un sentiment... (il soupire) J'étais si stressé au départ... C'est tellement d'investissement. Puis on dit enfin "Wow ! On vient d'enregistrer tout ça en une prise, deux prises..." Je suis vraiment heureux de ce CD. Je le réécoute avec plaisir, je n'en enlèverais pas une note. Donc c'est gagné.
Loïs Le Van "So much more" en concert
Mardi 18 octobre 2016, 21H, à Paris
Studio de l'Ermitage
8, rue de l'Ermitage, Paris 20e
Tél : 01 44 62 02 86
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Loïs Le Van : voix, compositions
Sylvain Rifflet : saxophone
Bruno Ruder : piano
Chris Jennings : contrebasse
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