Nubia : l'exaspération du bassiste Richard Bona, un an après l'ouverture de son club à la Seine Musicale
En mars 2018, le musicien ouvrait un club de jazz à la Seine Musicale, à Boulogne-Billancourt. Jeudi matin, il énumérait les nombreuses difficultés endurées en quatorze mois. Vendredi, ses revendications ont été entendues.
Tracasseries multiples, injonctions de sécurité ayant pour effet d'isoler le club de jazz de l'ensemble de la Seine Musicale dont il fait partie intégrante... À la veille d'une réunion cruciale sur l'avenir du Nubia, Richard Bona faisait savoir jeudi 9 mai, lors d'une conférence de presse, qu'il n'excluait pas de jeter l'éponge si les choses ne changeaient pas. Vendredi matin, il a été entendu sur des points cruciaux (voir au bas de l'article).
Pour expliquer la situation de son club-restaurant ainsi que les enjeux de la réunion planifiée vendredi 10 mai, et qu'il jugeait capitale pour son avenir sur l'île Seguin, Richard Bona s'est présenté jeudi à la mi-journée aux côtés de Julien Lambert, de la SCI Larémisol, propriétaire des murs de la Seine Musicale. Pas de notes ni de chiffres, pas d'accusations nominatives ni de hausses de ton, juste l'envie d'exprimer son ras-le-bol.
Artiste de renommée mondiale, Richard Bona n'est pas un débutant en matière de gestion de club musical, puisqu'il a lancé le Bonafide à New York en 2015. En découvrant l'île Seguin, il a voulu "prolonger l'expérience" : "Je me suis lancé dans des travaux, j'ai pris quatre murs de béton comme on dit, et avec deux architectes, on a commencé à mettre des choses en place", se souvient-il.
"Restrictions internes" : le mystère de la porte condamnée
Après avoir signé un bail commercial, Richard Bona se trouve confronté à "des restrictions internes". Il s'attend à une fluidité de circulation entre son club, situé tout en bout du bâtiment de la Seine Musicale, et l'intérieur de l'édifice, la grande salle, l'auditorium, les commerces... Il n'en est rien. La porte vitrée intérieure qui relie le Nubia au reste du bâtiment est condamnée en permanence pour des raisons de sécurité. "Ça veut dire que quand les gens viennent sur la Seine Musicale, ils n'accèdent pas au Nubia. Je m'en suis plaint plusieurs fois, on m'a donné toutes les raisons, des raisons sécuritaires et d'autres qui ne tiennent pas vraiment debout, pour être sincère."
"C'est complexe, concède-t-il. Quand on a un lieu à l'intérieur duquel interviennent beaucoup d'acteurs, c'est difficile, tu ne peux pas parler à une personne. Tu parles à celle-ci qui te renvoie à une autre et ainsi de suite... Et pour finir, les choses ne se font pas." Richard Bona se heurte à des lenteurs administratives très françaises, des réglementations permettant des fermetures partielles selon les événements, le tout combiné aux exigencces de Vigipirate. Des négociations seront menées, relate le bailleur Julien Lambert selon lequel la situation s'améliore mais est alors loin d'être réglée.
Entre-temps, en termes financiers, le club est "loin de [ses] objectifs" mais "c'était prévisible", souligne Bona. "Les deux premières années, ce modèle de business fonctionne plus ou moins ainsi, et à la troisième année ça s'équilibre tout seul. Mais je ne suis pas venu ici pour faire de l'argent. Je sais comment en faire." Le bassiste confie "perdre presque 30.000 euros tous les mois ici".
Des fermetures qui nuisent au club
Richard Bona déplore aussi divers ordres de fermeture qui ont nui à l'activité du Nubia. "Le 14 juillet, par exemple, on m'annonce que l'armée française va faire un show autour de la Seine Musicale. Je suis obligé de fermer, d'appeler mes clients." Il regrette de ne pas être avisé longtemps en avance de ce type de mesure et de ne pas être dédommagé, lui comme les autres établissements du site. "Ça passe encore quand Monsieur Macron vient faire la COP21 ici. On était en pleins travaux, j'ai dû les arrêter trois jours mais on n'était pas encore ouvert. Mais quand on est ouvert, laissez-moi travailler. Juste ça."
Aux fermetures imposées, s'ajoutent celles inhérentes aux chantiers environnants. "Combien de fois avons-nous dû arrêter parce qu'en face, il y a les travaux du Grand Paris ? Ça fait du boucan, du coup on a fermé le midi. On est bien sûr conscient de ça. Il y aura une passerelle, et quand elle sera là, ça va être beau aussi ! Il ne faut pas voir que les mauvais côtés."
Un club très discret sur l'île Seguin
Autre problème rencontré par Richard Bona, celui, a priori élémentaire, de s'afficher sur les murs de la Seine Musicale. "Ça m'a pris sept mois pour mettre une enseigne ici... Ce n'est pas normal." Et le bassiste d'énumérer les galères endurées pour célébrer la Fête de la Musique sur la terrasse du club avec des étudiants, le 21 juin 2018. "Il fallait passer par tellement d'autorisations... J'ai essayé de comprendre pourquoi. On m'a dit : 'Vous savez, si un gamin saute dans la Seine...' Mais si vous voulez sauter dans la Seine, vous pouvez aller n'importe où, où il n'y a personne !"
Excédé par les multiples barrières sécuritaires, le bassiste raconte : "Ce qui a fait déborder la goutte [sic], c'est quand j'ai eu une réunion dans l'enceinte de la Seine Musicale. Je me suis fait stopper par la sécurité. On ne m'a pas laissé entrer. Je me suis dit : You know what, I've got to get my ass out of here [en résumé : il faut que je me tire de là]. Il faut vraiment que les choses changent ici."
Dans les mots de Richard Bona, on pouvait sentir poindre jeudi une certaine amertume. "Il n'y a pas beaucoup de gens qui prennent de l'argent de leur poche pour investir dans la culture. Je suis un très bon businessman. Avec ce que j'investis pour le Nubia, je peux m'acheter deux appartements ou l'investir ailleurs. Je sais que la culture n'est pas un processus immédiatement rentable. Mais il n'y a pas que ça. Je crois beaucoup au partage." Richard Bona rappelle qu'il a bataillé pour faire jouer au Nubia, à plusieurs reprises, des étudiants des conservatoires.
Une réunion cruciale
Le musicien l'a assuré jeudi, il n'a pas envie d'endurer ces tracasseries indéfiniment. "Je ne fais pas cette conférence pour pointer qui que ce soit. Je dis simplement : si on ne me laisse pas la possibilité de travailler, je vais devoir prendre la décision de simplement fermer, quitter les lieux. Ce serait dommage. Moi, je rebondirai toujours. C'est plus pour la musique. Je pense que c'est un très beau projet." Et d'ajouter à la veille de la réunion de la dernière chance : "Je saurai ensuite à quoi m'en tenir. Je ne peux plus passer un an à tergiverser."
Julien Lambert, propriétaire du site, se voulait de son côté optimiste : "La Seine Musicale est un énorme paquebot où se retrouvent des acteurs relevant du public, du privé... Je pense qu'ils sont tous conscients des problèmes, peut-être tardivement pour certains. Il faut l'accepter, l'échelle de temps n'est pas la même que pour Richard qui se bat ici depuis deux ans, il est fatigué. Mais j'ai bon espoir."
Il a d'autant plus espoir que d'ici dix-huit mois, quand la nouvelle passerelle sera achevée, "on aura l'ensemble du flux piéton qui arrivera au pied de la terrasse" du Nubia, "donc cet emplacement sera le plus beau. Mais aujourd'hui, on ne peut vraiment pas tomber dessus par hasard, et les restrictions sur les enseignes font qu'on est très peu visible." Et il prévient : "Si les avancées n'arrivent pas, à un moment, Richard en aura assez. Il parcourt le monde en permanence et dès qu'il revient ici, il y a toujours un problème, qu'il soit mineur ou pas."
Richard Bona a été entendu
Vendredi, la Seine Musicale a donc abrité une réunion de plus de deux heures à l'issue de laquelle le musicien a eu gain de cause pour sa principale revendication, selon son attaché de presse Yazid Manou : "L'ouverture de la porte intérieure donnant accès au couloir de la Seine Musicale et ce, dès ce [vendredi] soir !" "Le Nubia pourra même installer des tables dans la coursive, une lumière pour la signalétique. La circulation sera libre", a ajouté Yazid Manou.
Cette réunion est "la meilleure et la plus fructueuse" qu'il ait eue sur près de vingt-cing déjà organisées, selon le patron du Nubia. Autour de lui et du bailleur Julien Lambert, étaient présents Olivier Haber, directeur général de la Seine Musicale, des représentants du Conseil départemental des Hauts-de-Seine, de la Sodexo, le patron de STS, société qui gère la Seine Musicale, ainsi que le responsable de la sécurité.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.