Rencontre. "The Unspoken", l'invitation à un voyage intime du pianiste Yvan Robilliard
À travers ma musique, j'ai envie de donner. C'est un échange... Donner, offrir, on est là que pour ça finalement
Yvan Robilliard, à propos de son nouvel album "The Unspoken"En 2005, le public découvrait Yvan Robilliard avec son premier album en solo, "Mouvance". Depuis, douze années se sont écoulées. Années prolifiques qui ont vu naître de nombreuses collaborations, notamment avec le trompettiste Ibrahim Maalouf en 2012, puis le cornettiste-trompettiste Médéric Collignon, récompensé aux Victoires du Jazz 2013. Ces rencontres semblent l'avoir inspiré. Chaque morceau est une invitation au voyage, à l'image de "Cuba Libre", véritable temps fort de cet album.
Quand le classique fusionne avec le jazz
The Unspoken, un album attendu, est paru le mois dernier. Un voyage à travers l'univers foisonnant d'Yvan Robilliard. Il se produit en concert à Paris, au Studio de l'Ermitage, le 12 juin prochain.
"L'improvisation, c'est l'essence du Jazz"
Dans le jazz, il faut laisser le geste musical s'exprimer de lui-même. Le jazz c'est ça aussi, être capable d'aller plus loin
Yvan Robilliard, à propos de l'improvisation
De formation classique, Yvain Robilliard a rapidement cherché à se libérer du cadre parfois restrictif de la musique classique. Ce supplément d'âme, c'est dans le jazz qu'il l'a trouvé. Le jazz est avant tout un échange, une rencontre. L'improvisation, ce geste musical propre au Jazz, a une place très importante dans l'univers musical d'Yvan Robilliard. L'improvisation, une manière de se dévoiler sans artifice, une manière en concert, aussi, de communiquer pleinement avec son public.
Ce nouvel album, "The Unspoken", fait se rencontrer des compositions de l'artiste, notamment "The Unspoken" qui donne son nom à l'album et des improvisations. C'est le cas de "Feel", morceau improvisé selon le "ressenti" du moment : être sur le "fil" du rasoir, se mettre en danger semble être ce qui anime cet artiste.
"Offrande", un hommage poignant aux victimes du 13-Novembre
Cet album, Yvan Robilliard l'a enregistré les 30 novembre et 1er décembre 2015, à peine quinze jours après les attentats de Paris. "Offrande", c'est le premier titre qui a été enregistré en studio, véritable premier jet dans cette création. Dédier cette "Offrande" aux victimes s'est imposé à lui comme une évidence.
C'est peut-être une chanson d'amour mais je l'assume. C'est pas dans la violence qu'on règle les choses, c'est dans l'amour
Yvan Robilliard à propos de "Offrande", premier titre de l'album
S'inscrivant dans ce contexte très tragique, cette "Offrande" est avant tout un message de paix et d'amour. Apaiser les esprits le temps d'une chanson, nous faire voyager dans l'univers captivant du jazz, telle est l'Invitation d'Yvan Robilliard à travers "The Unspoken".
Rencontre avec Yvan Robilliard
Yvan Robilliard, pourquoi avoir choisi ce titre, "The Unspoken", le "Non-dit" en français?
Le "Non-dit" est une notion qui m'a inspiré pour aller plus loin. J'avais envie, sur cet album, de me dévoiler et de dire des choses que je n'avais jamais dites. Le titre "The Unspoken" avait été composé il y a longtemps avec un chanteur et il y avait donc un texte. Ça m'a servi de fil conducteur dans mon album. Le "non-dit", c'est quelque chose d'universel aussi, qui touche beaucoup de gens. Puis, ça correspondait bien à là où j'en suis aujourd'hui. C'est le non-dit, mais on va plus loin forcément... D'ailleurs, depuis cet album, il y a des choses qui se passent.
Entre introspection et partage, the "Unspoken" semble en dire long sur votre univers et votre parcours. Amoureux du Jazz, vous avez à coeur de défendre l'essence de cette musique : l'improvisation.
Ce qui est beau dans l'univers du jazz et de l'improvisation, c'est que c'est lié à ce qu'on est. C'est ça que j'adore dans cette musique, que l'on ne retrouve pas toujours dans la musique classique où le cadre est plus rigide. Né dans une famille de musiciens, j'ai baigné dans la musique classique et j'adore ça. J'en suis imprégné. Mais j'avais envie d'aller plus loin. Depuis que je suis petit, j'ai toujours voulu réunir l'univers classique et "autre chose", l'improvisation, le rythme. L'improvisation est quelque chose d'important pour moi. Pour retrouver cette atmosphère dans les studios d'enregistrement, j'ai demandé à l'ingénieur du son de placer les micros dans le piano. Cette prise de son a permis d'être dans le détail. Ça a été quelque chose de fort pour moi.
Cet album s'inscrit dans un contexte tristement marqué, celui des attentats. Vous dédiez le premier titre, "Offrande" aux victimes du 13 novembre 2015. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette "Offrande"? Quel message, à travers votre musique, voulez-vous passer?
Quand j'ai enregistré ce morceau le 30 novembre 2015, je sortais de trente jours de "mutisme", comme pour beaucoup. Pour moi, ce morceau c'est un "apaisement". C'est un hommage. Peut-être que c'est une chanson d'amour mais je l'assume. C'est dans l'amour qu'on va régler les choses, pas dans la violence.
Douze années se sont écoulées depuis "Mouvance" en 2005. Entre-temps, vous avez multiplié les projets collectifs, notamment auprès d'Ibrahim Maalouf. Que vous ont apporté ces différentes expériences au moment de composer ce nouvel album ?
On exprime ce qu'on est aujourd'hui. Donc tout ce que j'ai vécu pendant ces douze années m'a nourri. J'ai grandi intérieurement, j'ai appris plein de choses. Avec Ibrahim Maalouf, ça a été une expérience enrichissante. Ma rencontre avec Médéric Collignon m'a beaucoup nourri aussi. Humainement, c'est vraiment quelqu'un que j'apprécie beaucoup. Son intégrité musicale et son engagement font de lui quelqu'un d'entier. Toutes ces rencontres m'ont nourri, les concerts aussi. J'ai fait beaucoup de voyages à l'étranger, notamment au Venezuela et en Colombie.
Vous dédiez l'un de vos titres, "Cuba Libre", à Gregorio Montiel Cupello, d'origine vénézuélienne.
Le premier concert que j'ai donné à l'étranger, c'était à Maracaibo au Vénézuela, en 2006. C'était la première fois qu'ils entendaient un concert de Jazz à Macaraïbo. On ne savait pas du tout ce que ça allait donner. Et le résultat, ça a juste été fabuleux. Ils m'ont donné beaucoup d'amour, c'était puissant. Quand je suis retourné au Vénézuela en 2011, j'ai rencontré Gregorio Montiel Cupello qui était le programmateur du Festival à Caracas. Là-bas, il m'a appris à faire un "Cuba Libre" ! Ca m'a beaucoup inspiré pour ce morceau... C'est très rigolo. J'aimerais retourner au Vénézuela mais dans le contexte actuel, ça risque d'être compliqué. Cette musique, c'est aussi un hommage à ce pays.
"Song for Afaf", une chanson pour votre épouse ?
"Chanson pour Afaf" est dédiée à ma femme qui est musicienne aussi, contrebassiste. Elle m'a toujours accompagné dans ma musique. D'ailleurs, il nous arrive de jouer ensemble, notamment dans le dernier concert que j'ai fait. Son regard extérieur et musical est très important pour moi. C'est un avis qui importe beaucoup. C'est peut être l'une des personnes qui me connait le mieux et c'est très bien d'avoir ce retour musical.La transmission, le partage, des valeurs essentielles à vos yeux.
À côté de mes compositions, je suis professeur dans plusieurs conservatoires et c'est quelque chose que j'adore. Enseigner, transmettre, c'est un partage aussi. On donne, on reçoit. J'ai beaucoup de chance car j'ai des élèves qui sont super. L'enseignement, c'est génial. C'est touchant de voir le lien qui se crée entre eux et musicalement, ce qu'ils réussissent à faire, c'est très beau. Quand ils jouent, ça me donne parfois des frissons. C'est aussi voir les nouvelles générations évoluer ! De manière générale, ils sont dans un bel état d'esprit...
"Ce que nous qualifions d'erreur n'est en fait qu'un commencement", vous avez placé cette citation de Wayne Shorter sur la pochette de votre album. Cet album marque-t-il pour vous un commencement ?Cet album, c'est un tournant pour moi. En solo, j'ai beaucoup tourné en Amérique du Sud, en Asie aussi, mais finalement peu en France. C'est important aujourd'hui pour moi de revenir en France. Recentrer les choses, je suis un peu dans cette énergie en ce moment.
Wayne Shorter, c'est quelqu'un que j'aime énormément. C'est un poète, un philosophe qui a une grande profondeur dans ses compositions. Il va souvent là où on ne l'attend pas et c'est ça que j'aime. En fait, il n'y a pas d'erreur : si on laisse le geste musical s'exprimer de lui-même, il n'y a pas d'erreur. Il faut accepter aussi les choses. On fait toujours des focus. Mais en fait, non, le jazz c'est aussi être capable d'aller plus loin et accepter ce que l'on peut faire. Evidemment, on ne fait pas n'importe quoi non plus. Il faut du travail, de la réflexion. Pour moi, c'est peut être aussi casser quelque chose par rapport à l'exigence de l'univers classique. Ce qui m'importe, ce n'est pas la perfection, c'est ce qu'on exprime.
"Ne me quitte pas" de Brel, un morceau caché dans "Feel"...
En fait, dans ce morceau, il y a un autre morceau caché, à la fin : "Ne me quitte pas". Je trouve ce morceau poignant. Quand je l'écoute, il me met les poils ! Ça faisait longtemps que j'avais envie de le reprendre mais je ne savais pas comment. Puis, c'est sorti, comme ça. Je l'ai déstructuré au niveau rythmique et harmonique mais il y a vraiment le thème. C'était aussi une manière de rendre hommage à Jacques Brel.
En 2015, vous avez sorti un album avec le trompettiste Nicolas Genest. Dans un futur proche, envisagez-vous de nouvelles collaborations ?Oui, j'ai plusieurs projets. Je suis en train de travailler sur un projet en trio qui existe déjà, avec Frédéric Chiffoleau (contrebasse) et Eric Echampard (batterie). J'aimerais bien à nouveau faire un disque avec eux. J'ai un autre projet en duo avec Christophe Monniot qui a été créé il n'y a pas longtemps, mais qui a été super. Il va donc peut-être se passer quelque chose. J'ai également quelque chose de prévu avec Médéric Collignon. C'est quelqu'un de très profond et d'humble. Quand il chante, ça me donne la chair de poule. "Il est musique" et sur ça, je crois qu'on s'entend bien aussi. Puis, j'ai une collaboration avec Laurent David (bassiste) que j'ai rencontré quand je tournais avec Ibrahim Maalouf. On fait pour l'instant des rencontres avec différents batteurs et peut-être que ça donnera quelque chose à un moment donné...
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