Un projet hautement convivial a vu le jour cet hiver à Paris : les concerts « Sunday Jazz Loft ». Organisés par le jazzman italien Francesco Bearzatti et le photographe Frédéric Blanc, ils offrent l'occasion d'assister à d’authentiques performances musicales dans un cadre chaleureux, en comité réduit. L’initiative n’est pas isolée et pourrait bien se développer...
Le jazz, musique élitiste et distante ? Il est grand temps d’effacer ce cliché coriace des esprits les plus chagrins. Depuis fin janvier, quelques heureux mélomanes se soufflent une nouvelle adresse où il fait bon venir écouter du jazz dans un cadre délicieux. Ça se passe dans un grand loft parisien, muni d’un vaste séjour orné d’une baie vitrée offrant une vue imprenable sur les toits de Paris.
Le Sunday Jazz Loft représente la première émanation concrète d’un partenariat artistique né il y a près de trois ans entre Francesco Bearzatti, saxophoniste et clarinettiste, et Frédéric Blanc, photographe et graphiste. Les deux hommes se sont lancés dans un projet au long cours alliant musique, poésie et image. Nom de code : « Et si le jazz est la vie. » Durant l’été 2013, alors que le jazzman italien se trouvait dans ce fameux loft où ils se réunissent pour le travail, il s’est écrié qu’un jour, il aimerait bien donner un concert dans ce cadre idéal. « Chiche ! », lui a rétorqué le photographe.
Le concept du Sunday Jazz Loft est simple : une fois par mois en moyenne, le dimanche en fin d’après-midi, Francesco Bearzatti forme un duo inédit avec un invité de son choix. Ce rythme devrait s'espacer la saison prochaine. Le contrebassiste Michel Benita (26 janvier), le guitariste Federico Casagrande (9 février) et l’organiste Emmanuel Bex (30 mars) ont été les premières guest stars du jazzman italien.
À chaque fois, des invités-surprise viennent en renfort pour un ou deux morceaux, façon jam session, sans répéter au préalable. On a pu ainsi entendre la chanteuse américaine Victoria Rummler, le tromboniste Filippo Vignato et l’organiste Oscar Marchioni, bluffant.
Chaque concert se déroule en présence de plusieurs dizaines de personnes, alertées par le bouche-à-oreille, et, depuis la première édition, par la médiatisation de l’initiative dans le monde du jazz. Pour y assister, il faut demander son sésame par mail sur le blog du photographe, ou auprès du saxophoniste dès l’annonce du concert sur sa page Facebook. Plus de 60 personnes ont assisté au premier concert, et plus de 80 au troisième. Il sera difficile d’en accepter beaucoup plus « à moins de repousser les murs du loft », selon le constat pertinent de Frédéric Blanc qui déteste devoir refuser du monde.
Les concerts se déroulent dans une atmosphère recueillie et chaleureuse. On a l’impression d’assister à un moment privilégié. Devant nous, à quelques mètres, voire quelques centimètres pour les spectateurs du premier rang, Francesco Bearzatti et son invité alternent compositions personnelles et standards. Avec virtuosité, simplicité et beaucoup d'humour. Le public est mis à contribution avec plus ou moins de réussite... Lors de la première édition, tout en soufflant dans son saxophone, le jazzman italien guidait patiemment, stoïquement, les auditeurs afin qu’ils tapent des mains sur les deuxième et quatrième temps (et non pas sur le premier temps, bévue anti-swing fort répandue)... Lors de la troisième édition, le public, invité à chanter sur un thème d’Eddy Louiss, s’en est bien mieux sorti !
Un Sunday Jazz Loft ne s’arrête pas au dernier rappel. Après la performance artistique (un set d’un peu plus d’une heure), la rencontre se conclut par un grand buffet. Les jazzophiles conversent avec les musiciens, dans le séjour, la vaste cuisine, jusqu’au grand balcon offrant une vue idyllique de Paris. Des liens se nouent non seulement entre les hôtes et les spectateurs, mais aussi entre ces derniers, certains se retrouvant d’une édition à l’autre. Car les mélomanes qui assistent à un Sunday Jazz Loft n’ont qu’une envie : revenir. Prochain rendez-vous le 18 mai…
Le Sunday Jazz Loft par son musicien-hôte, Francesco Bearzatti
« Avec Fred, on travaille depuis presque deux ans sur des poèmes qu’il a écrits et sur lesquels j’ai composé de la musique. On s’est rencontrés plusieurs fois dans ce merveilleux endroit. Je lui ai dit qu’il fallait qu’on y organise des concerts. Je pensais à des lofts new-yorkais dans lesquels on donnait des concerts dans les années 70. C’était une mode à l’époque, vu qu’avec le rock, il n’y avait plus de lieu pour faire du jazz. J’ai organisé ce rendez-vous parisien pour lequel j’ai invité des amis, des vieux copains. C’est beau d’être à côté du public, dans un lieu merveilleux. C’est très familial, très relax. On ressent non seulement la complicité avec les musiciens, mais avec le public aussi. Il y a des gens que je connais, assis tout près de moi, je les sens respirer, je les vois rire, s’émouvoir. » (propos recueillis après le SLJ du 30 mars)
Le Sunday Jazz Loft vu par son photographe-hôte, Frédéric Blanc
« Je suis content que ça existe, je suis content de voir Emmanuel Bex en train de chercher du fromage et du vin ! Je suis content de voir tous ces gens, j’espère que ça va continuer ! Toute la semaine, je travaille la nuit, je suis dans mon coin, dans mes rêves, j’avance tout seul sur mon projet. Et d’un seul coup, je vois plein de gens, plein de vie, je sais qu’il y a des gens qui se sont revus après les concerts, peut-être qu’un jour il y aura un mariage ! Ou des projets professionnels. J’espère aussi que le projet "Et si le jazz est la vie" aboutira. On se fait plaisir, les concerts sont filmés. Ça donne une vraie dynamique. On a l’impression que tout est possible. » (SJL du 30 mars)
Le Sunday Jazz Loft vu par des musiciens invités
Federico Casagrande : « C’est très agréable ! Mais je connais un peu cette situation parce que je fais la même chose chez moi, à Paris. Depuis deux ans, j’organise des concerts. La proximité créée entre les musiciens et le public, c’est quelque chose d’unique. Il n’y a pas de barrière comme il peut y en avoir dans un club ou dans un festival. Il n’y a pas de scène. On est chez quelqu’un, c’est plus détendu, convivial, c’est un échange en continu. La difficulté à Paris, ville à forte densité de population, c’est de trouver un espace assez grand, et surtout, où il n’y aura pas de problème avec les voisins. Mais quelques musiciens parviennent à organiser ce type de concert. Pour ma part, j’habite une rue très bruyante le week-end, donc les concerts que j’organise passent inaperçus !» (SJL du 9 février)
Emmanuel Bex : « Un concert comme celui-là, je crois que c’est une première. Ça m’amuse beaucoup parce que je suis à un moment de ma vie où ce que je fais, j’ai envie de le faire pour me relier. J’ai déjà eu pas mal d’expériences, de gratifications. Ce dont j’ai envie, c’est d’être complètement dans l’instant présent. Et quand on vient chez quelqu’un, on est beaucoup plus dans le présent que si l’on se rend dans une salle de concert. C’est Francesco qui m’a invité. Si ça n’avait pas été pour lui, je ne serais pas venu ici. Mais je lui avais dit un jour : "Je te suivrais jusqu’au bout du monde !" J’ai adoré jouer dans ce contexte même si je sais que ça ne peut être qu’exceptionnel. En même temps, avec le jazz, on est toujours sur un pas de côté. J’aime bien cette espèce de tribalité, de fraternité qui s’installe immédiatement, et qui est celle du jazz. Des moments de partage le plus intense. » (SJL du 30 mars)
Le Sunday Jazz Loft vu par le public
Philippe Normand (service culturel de la Ville de Deauville) : « Le jazz, musique que j’adore, a été confiné dans des caves, dans le monde de la nuit, voire dans des théâtres quand il était en objet de reconnaissance. Aujourd’hui, je m’aperçois que dans une fin d’après-midi d’un dimanche à 17h, à un 6e étage ouvert sur le ciel, ça devient une musique lumineuse, qui rassemble les gens, comme peuvent se rassembler dans l’histoire récente les gens d’un certain milieu autour de la musique de chambre. Je m’aperçois que le jazz est non seulement une musique de chambre du XXe siècle, mais également une musique de convivialité, alors qu’on pensait que c’était une musique sombre, intériorisée, de musicien. C’est une musique qui se partage, qui a le sens de la mémoire et des rebonds. Elle devient le vecteur et le fil rouge d’un moment de convivialité que des hôtes ont réussi à créer en rassemblant 80 personnes de tout âge. » (SJL du 30 mars)
Delphine (spectatrice) : « L’événement est fait avec beaucoup de sincérité. On retrouve cette sincérité chez les artistes. Il y a un jeu, un amusement, une poésie qui va avec celle de Fred (Blanc) et à laquelle on est invités, et je trouve ça vraiment joli, émouvant. Cela pourrait être organisé de manière plus mondaine, plus formelle, alors que ce qui prime ici, c’est l’émotion des artistes et le partage.» (SJL du 30 mars)
Martine (spectatrice) : « C'est la deuxième fois que je viens. Une fois de plus, c'est magique. J'aime aussi beaucoup la convivialité, la possiblité pour les gens de discuter, d'échanger leurs cartes de visite. C'est magnifique d'être accueilli dans un endroit comme ça. Pour moi, c'est la maison du bonheur. » (SJL du 30 mars)
Stéphane (spectateur havrais), invité par Martine :« C'est la première fois que je viens. J'ai vécu un grand moment. Je pense sutout à la proximité avec les musiciens. On peut voir le moindre geste, notamment les doigts de l'organiste quand il jouait. C'est vraiment rare. » (SJL du 30 mars)
> Sunday Jazz Loft : contacter Frédéric Blanc sur son blog, car il nous a été demandé de ne mentionner ni l'adresse, ni le propriétaire des lieux.
> Tarif : à la fin du concert, par le biais d'un passage de chapeau, les spectateurs sont invités à verser 15 euros -un prix en légère hausse depuis les premières éditions, le public étant plus nombreux- afin que les organisateurs puissent rentrer dans leurs frais.
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