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Vincent Peirani, star de l'accordéon : "Ce qui m'arrive est hallucinant"

Ces deux dernières années, Vincent Peirani a tout raflé, du prix Django Reinhardt en 2014 aux Victoires du Jazz où il a été distingué deux ans de suite. Il a donné un immense coup de jeune à l'accordéon, instrument autrefois ringardisé. Il s'est confié à Culturebox à la veille d'un concert événement à Paris, mardi soir à la Cigale, autour de l'album "Living Being" qu'il a enregistré en quintet.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Vincent Peirani et le quintet "Living Being" (2014)
 (Sylvain Gripoix)

Depuis deux ans, tout lui réussit. Vincent Peirani a sorti trois disques, "Thrill Box" en 2013, "Belle Époque" en duo avec le saxophoniste Émile Parisien en 2014, et enfin "Living Being" à la tête d'un quintet début 2015. Du haut de ses 2,05 mètres, le musicien aux pieds nus et à l'humour pince-sans-rire est aussi inspiré en tant que compositeur que lorsqu'il s'agit de revisiter Sidney Bechet ou Jeff Buckley.

Mardi soir, Vincent Peirani, 35 ans, se produit à Paris, à la Cigale, avec les amis qui ont enregistré "Living Being" : Émile Parisien au saxophone, Tony Paeleman au Fender Rhodes, Yoann Serra à la batterie et Julien Herné à la basse, dans une création autant musicale que visuelle, avec l'apport vidéo de Laurent Gachet.


- Culturebox : Comment avez-vous vécu ces deux dernières années et ce succès hallucinant, tant critique que public, depuis "Thrill Box" (2013), suivi par "Belle Époque" (2014) et "Living Being" (2015) ?
- Vincent Peirani : C'est assez drôle, justement, parce que de temps en temps, je me souviens que j'ai sorti "Thrill Box" il y a seulement deux ans. Moi, j'ai l'impression qu'il s'est écoulé cinq, six, presque dix ans... Ces deux années ont été tellement denses en musique, en émotions, en rencontres, en stress, en galères aussi... S'il y a des choses formidables qui se passent, il y a aussi des choses plus compliquées à gérer, dues à la pression, aux attentes. Mais comme vous le dites, c'est un peu hallucinant, toutes proportions gardées car on reste dans le milieu du jazz, on ne parle pas de devenir une rock star ! Néanmoins, j'hallucine sur ce qui m'arrive ! Je ne m'en rends pas bien compte et c'est tant mieux ! Sinon, je deviendrais hyper con, sachant que j'ai déjà un fort potentiel !

- Vous êtes très sollicité et enchaînez les concerts. Comment arrivez-vous à tenir le rythme ?
- C'est vrai que c'est un rythme assez soutenu, et pour l'instant, ça me plaît. On va faire des concerts un peu partout en Europe, un peu dans le monde aussi. On a de la chance ! Bien sûr, physiquement, c'est fatiguant, car je suis quelqu'un d'assez volontaire et généreux. Mais je ne vais pas dire "non" aux propositions parce que je suis fatigué. Je serai fatigué plus tard, c'est une certitude ! Je ne sais pas si je vais arriver à assurer ce rythme encore longtemps, mais en tout cas, il faut en profiter maintenant.

- Je me souviens qu'il y a un an, vous avez eu une grosse alerte au bras droit, avec de violentes douleurs qui vous ont valu un repos forcé.
- Mon bras tient le coup. Je fais des exercices, je fais attention, j'essaye de dormir un maximum d'heures malgré mon emploi du temps très serré. Mais dès que je tire un peu trop sur la corde, j'ai mal. Ça veut dire : "Attention, tu es en train de faire n'importe quoi !" C'est une sorte de sonnette d'alarme.


- Pouvez-vous nous rappeler ce qui vous était arrivé ?
- C'était toute une chaîne assez complexe, un problème à la fois dû à des compressions de nerfs qui se trouvent dans une partie du dos, dans les épaules, le bras, l'avant-bras... Un gros chantier ! Ça me semble important d'en parler. Il m'est arrivé de faire des rencontres, des master-classes, avec des jeunes musiciens. Je leur ai dit : "C'est super, vous apprenez à jouer de votre instrument, on apprend le jazz, le classique... Mais avant tout, si vous voulez faire de la musique de la bonne manière et continuer à jouer le plus longtemps possible, il faut avoir conscience d'une chose, c'est votre corps." Et là, je leur racontais mes expériences. Je leur disais que j'avais dû m'arrêter pendant plusieurs mois car j'avais trop tiré sur la corde. On ne peut faire notre métier que si on est en bonne santé ! Ça paraît bête à dire, mais ce n'est pas si évident que ça.

- Hormis cette leçon concernant l'importance d'écouter les signaux que le corps envoie, qu'avez-vous appris, en tant que musicien, de ces deux années intenses ?
- J'ai appris à comprendre, peut-être, un peu plus, ce que signifiait être leader, ou plutôt porteur de projet. Je n'aime pas trop le terme "leader" car je veux bien initier des choses, mais ensuite, on forme des équipes entre les musiciens, les producteurs, les tourneurs, je ne fais rien tout seul. Donc, ce que j'ai appris et que je continue à apprendre, c'est comment tout cela s'imbrique, le rôle de chacun au sein d'une équipe. Essayer d'apprendre à mieux travailler ensemble.

- Et qu'avez-vous appris sur vous-même, sur la gestion du succès, sur le métier ?
- Concernant la gestion du succès, j'ai envie de vous dire que ça ne me concerne pas du tout. Je ne me dis pas : (il prend une voix de frimeur) "J'ai quand même pas mal de succès, comment vais-je faire maintenant pour vivre ? Apportez-moi deux cafés, je ne paye pas, je suis connu maintenant !" Franchement, non. Maintenant, que vous soyez connu ou pas, quand vous vous produisez dans une salle parisienne, voire dans une salle un peu importante où le jazz n'est pas forcément la musique que l'on entend le plus, vous êtes stressé, vous avez beaucoup plus la pression, c'est sûr.
- C'est ce que vous ressentez à la veille de jouer à la Cigale ?
- Même si j'ai déjà joué plusieurs fois dans cette salle avec d'autres personnes, demain à la Cigale (l'interview a été réalisée le 5 octobre, ndlr), c'est un événement spécial. C'est une création, on mélange la musique avec de la vidéo. C'est une sorte de challenge, un truc tout nouveau pour moi. Le fait d'avoir connu ce succès peut permettre, même si ce n'est jamais simple, de pouvoir essayer, proposer de nouvelles aventures, de nouvelles expériences. On essaye de trouver, en équipe, des moyens pour les réaliser. C'est génial, hyper excitant, hyper grisant... et hyper stressant.

- Qu'est-ce que le public va entendre à la Cigale ?
- C'est une bonne question car moi-même, j'ai toujours du mal à me demander ce qui va se passer demain ! La base, ce sera le répertoire de "Living Being". Il a évolué considérablement depuis sa mise en boîte musicale, ai-je envie de dire. En plus de ça, il y aura tout le côté visuel, graphique. J'ai travaillé avec Laurent Gachet que je connais depuis très longtemps et qui fait beaucoup de théâtre, d'animation vidéo. Je trouvais intéressant de le mettre en présence de notre petit groupe de jazz et notre musique. Il avait un regard complètement différent. On a discuté, je lui ai expliqué pourquoi j'avais écrit tel ou tel morceau, qu'est-ce que ça racontait. À partir de là, il m'a fait des propositions. J'en avais quelques unes aussi. Il ne s'agit ni de mettre les images au service de la musique, ni l'inverse, mais c'est un mélange permanent. Grâce aux images, certaines choses peuvent devenir plus lisibles dans la musique. Avec le groupe, ayant conscience de la présence de ces images, on crée un autre rapport avec nos instruments et avec la musique.

- Le titre de votre album sorti en janvier, "Living Being" (qui se traduit à peu près par "vivre être"), sonnait-il pour vous comme un message, une leçon de vie, en guise de bilan de vos expériences récentes ?
- Ce que j'essaye de faire en musique, c'est d'être plus juste dans le moment présent. Essayer d'être au service de la musique, tout le temps, sans tenter de se mettre en avant pour des motifs d'ego ou sous l'effet de peurs ou de stress. La musique est reine, nous sommes à son service. C'est à nous de l'écouter et de donner ce qu'elle nous demande de donner. Rien que dans la musique, c'est un combat quotidien qui ne cessera jamais. "Living Being", c'est "vivre", "être" en même temps, à la fois être conscient de ce qui se passe dans l'instant présent, être au plus juste dans ce qu'on fait et avoir un peu de recul sans se regarder le nombril. Et c'est aussi ce laboratoire, avec mes quatre amis musiciens, pour expérimenter des choses, à pas mal de niveaux, même au point de vue humain. C'est une expérience humaine assez incroyable, un formidable challenge.

- En conclusion, comment vous sentez-vous aujourd'hui, et à ce moment de votre carrière et de votre vie ?
- J'ai un problème : je ne suis jamais satisfait. J'espère que ce ne sera pas le problème de ma vie. Cela fait partie des questions que je me pose de temps en temps. Je peux faire un bilan et me dire : "Ce qui se passe est monstrueux, génial, j'ai de la chance !" J'en ai conscience. En même temps, j'arrive toujours à trouver des trucs qui ne vont pas ! Cela dit, c'est un moteur, cela me fait avancer. Je n'oublie pas que j'ai tellement d'amis, pas seulement musiciens, qui croulent sous les contraintes. Moi aussi, j'ai des contraintes mais j'y trouve ma liberté dans un savant équilibre. Globalement, le seul fait de pouvoir faire ce que j'aime avec les gens que j'aime, c'est quand même énorme. Ce que je me souhaite, c'est que ça dure ! Et que je continue à être libre. Je serai toujours stressé, angoissé, il faut juste que j'essaye d'embêter le moins possible les gens qui m'entourent !


Vincent Peirani en concert en quintet "Visions from Living Being"
Mardi 6 octobre 2015, 19h30, à Paris, à la Gigale 
120, bd de Rochechouart, 18e
Tél : 01 49 25 89 99
L'agenda-concert de Vincent Peirani ici

Vincent Peirani : accordéon
Émile Parisien : saxophone soprano
Tony Paeleman : Fender Rhodes
Julien Herné : basse électrique
Yoann Serra : batterie
Laurent Gachet : création vidéo, graphique

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