Vingt ans sans Claude Nougaro : retour sur ses grandes collaborations musicales, de Michel Legrand à Maurice Vander en passant par Philippe Saisse
En un demi-siècle de carrière, Claude Nougaro a bâti un répertoire riche de plus de 300 chansons. Auteur, compositeur et interprète, le natif de Toulouse a le plus souvent travaillé avec de brillants musiciens de jazz, eux-mêmes compositeurs et parfois arrangeurs. Quand il n'écrivait pas ses musiques, il aimait revisiter des morceaux de jazz ou de musique brésilienne en les habillant de ses propres mots (c'est l'autre volet de notre hommage). Mais le plus souvent, Nougaro travaillait en partenariat avec des compositeurs. On peut citer Jacques Datin, Michel Legrand, Maurice Vander, Eddy Louiss, Aldo Romano, Bernard Lubat, Philippe Saisse, Yvan Cassar, Richard Galliano... Tous ont offert de somptueux écrins aux textes pleins d'humanité, de profondeur, de malice, voire d'autodérision de Claude Nougaro.
Voici quelques perles de sa discographie, fruits de ses collaborations fabuleuses.
"Une petite fille" (musique de Jacques Datin)
En octobre 1962, Claude Nougaro a déjà presque 33 ans quand son passage à la télévision, fébrile et haletant dans la peau du mari volage conscient d'avoir brisé les illusions de l'être aimé, le propulse dans la cour des grands. Une petite fille fait de lui une vedette. La musique est signée par Jacques Datin, compositeur prolifique de la chanson française dans les années 1950 et 1960 (il disparaîtra prématurément en 1973). Un an plus tôt, en 1961, Datin et le parolier Maurice Vidalin, son grand partenaire musical, ont coécrit la chanson Nous les amoureux qui a remporté l'Eurovision. Avec Nougaro, Jacques Datin va cosigner des pépites du répertoire de l'artiste toulousain comme l'irrésistible et bien arrosé Je suis sous... et l'émouvante Chanson pour le maçon, hommage du chanteur au poète Jacques Audiberti.
"Cécile ma fille" (cosigné avec Jacques Datin)
Quelques mois après la naissance de sa première fille Cécile le 30 mai 1962, Claude Nougaro s'adresse à son enfant et lui livre le plus tendre et délicat des messages dans une chanson autobiographique qui restera intemporelle. Les mots et la musique lui viennent naturellement, a cappella, et Jacques Datin, à ses côtés, posera partition et arrangements sur le papier. Cécile ma fille sort dans un disque de format super 45T en 1963, à un moment difficile pour Nougaro, immobilisé après un grave accident de la route. Cette chanson sera son premier grand succès. Quant à la petite Cécile, sans avoir rien demandé, elle entre d'office dans la mémoire des Français comme une incarnation de l'amour paternel. Elle apparaît même sur le petit écran à deux ans, en 1964, quand une équipe de la télévision française vient rendre visite à son père après sa longue convalescence.
"Le Cinéma" (musique de Michel Legrand)
La chanson Le Cinéma est lancée en septembre 1962 sur un super 45T (quatre titres) où elle cohabite avec Une petite fille, Le Jazz et la java et Les Don Juan . C'est dire si Claude Nougaro frappe un grand coup dans le monde de la chanson, avec son phrasé si particulier et ses rythmes syncopés. Tout ce disque est éminemment jazz et illustre l'association brillante avec Jacques Datin d'un côté (ce dernier a signé la moitié de la mélodie de la chanson Le Jazz et la java) et Michel Legrand (compositeur sur Le Cinéma et Les Don Juan) de l'autre. Michel Legrand est une rencontre artistique décisive pour Claude Nougaro. Si les deux hommes ont commencé à travailler ensemble dans les années 1950, c'est en 1962 qu'il donne une impulsion décisive à la carrière du chanteur. Il presse Jacques Canetti, à l'époque le producteur et directeur artistique le plus puissant de la chanson, de signer Nougaro sur son label Philips. Canetti était peu intéressé mais il se rendra à l'évidence : le super 45T aux quatre pépites triomphe. Et Le Cinéma est un petit chef-d’œuvre à la structure inhabituelle, cinématographique en somme, sans couplet ni refrain. Seul l'épilogue fait écho au prologue de la chanson, celle-ci ayant été ponctuée par une furtive citation musicale du standard de jazz Caravan créé autrefois par l'orchestre de Duke Ellington.
"Schplaouch !" (musique de Michel Legrand)
Parmi les différentes chansons nées de la collaboration entre Nougaro et Legrand, on ne résiste pas à la tentation de mettre en avant cette merveille à la fois aquatique et philosophique, sortie en 1966. Claude Nougaro nous y éclabousse de toute sa soif et sa force de vie, porté par les brillants musiciens de jazz que Michel Legrand a fédérés autour de lui. Des jazzmen comme l'organiste Eddy Louiss, le claviériste Maurice Vander, le batteur Daniel Humair et le saxophoniste Michel Portal ont pris part à l'enregistrement de l'album Bidonville (1966) dans lequel figure ce titre.
"La Pluie fait des claquettes" (musique de Maurice Vander)
Claude Nougaro aime décidément l'élément aquatique, et notamment la pluie. Avec le pianiste et organiste de jazz Maurice Vander, l'un des plus importants partenaires de sa carrière, il cosigne plusieurs classiques, dont l'éblouissant La Pluie fait des claquettes en 1968. Si le titre évoque le souvenir d'un Gene Kelly dansant sous une grosse averse dans Singin' in the Rain, la chanson contient bel et bien une allusion à l'âge d'or de Hollywood, en la personne de Marlene Dietrich...
"Le Coq et la pendule" (musique de Maurice Vander)
En 1980, Claude Nougaro dédie un texte à son ami et fidèle collaborateur Maurice Vander qu'il surnomme "le Coq". Ils écriront ensemble Le Coq et la pendule, une superbe chanson intégrée dans l'album Assez !. Dans cet exquis conte musical, "la pendule" n'est autre que l'épouse de Vander, de nationalité suisse... Maurice Vander a travaillé une quarantaine d'années avec Nougaro, en tant que compositeur, arrangeur et pianiste.
"C’est Eddy" (musique d'Eddy Louiss)
Autre chanson dédicace à un compagnon de route, C'est Eddy a été écrite évidemment en l'honneur d'Eddy Louiss qui l'a mise en musique. Elle figure sur l'album Soeur Âme de Claude Nougaro, sorti en 1971. L'organiste de jazz aura accompagné fidèlement le chanteur durant de nombreuses années, entre 1964 et 1977, avant de se consacrer à sa propre carrière. Louiss a composé un certain nombre de chansons pour Nougaro et il a signé notamment les arrangements puissants de Paris Mai en 1968.
"Nougayork" (musique de Philippe Saisse)
Au milieu des années 1980, Claude Nougaro se retrouve évincé de la maison de disques Barclay pour cause de ventes insuffisantes de son album Bleu Blanc Blues (1985). Le chanteur toulousain s'envole alors pour New York sur le conseil de son ingénieur du son Mick Lanaro qui a déjà travaillé sur plusieurs de ses disques. Il rencontre le claviériste Philippe Saisse, notamment arrangeur pour Al Jarreau. Alors qu'il séjourne chez la veuve de Charles Mingus, Nougaro s’immerge dans les racines du jazz, mais aussi dans l'effervescence de nouvelles esthétiques musicales. Il écrit le texte de la chanson Nougayork en dix minutes. Saisse y pose une musique qui lui est venue tout aussi vite, dans le métro. De retour à Paris, Nougaro signe chez WEA (Warner). L'album Nougayork sort en septembre 1987. Nile Rodgers joue de la guitare sur le titre éponyme. Philippe Saisse est le compositeur de plusieurs titres de ce disque qui marque un nouveau départ pour Nougaro, comme le splendide Il faut tourner la page. Le chanteur recevra deux Victoires de la musique en 1988 : album et artiste masculin de l'année.
"Rimes" (musique d'Aldo Romano)
À partir des années 1980, Claude Nougaro collabore avec le célèbre batteur de jazz Aldo Romano. Ils cosignent plusieurs chansons que l'on peut retrouver dans quatre albums du chanteur entre 1981 et 1997. Une ultime trace de ce partenariat artistique, l'émouvant Eau bleue , fera l'ouverture de l'album posthume de Nougaro, La Note bleue, sorti en novembre 2004, soit huit mois après sa mort. Mais on conserve un attachement particulier pour la poésie et la douceur de Rimes, chanson lancée en 1981 sur l'album Chansons nettes.
"Vie, violence" (musique de Richard Galliano)
"Vie violence/ Ça va de pair/ Les deux se balancent/ Paradis enfer", chante Nougaro dans le titre emblématique de sa collaboration avec un autre grand jazzman : l'accordéoniste et bandonéiste Richard Galliano. Les deux artistes se connaissent depuis le milieu des années 70. Galliano a accompagné Nougaro durant sept ans jusqu'au début des années 1980, se souviendra-t-il sur France Inter en 2021. Puis ils se perdent de vue et se recroisent dans un couloir de studio. Claude Nougaro lui commande alors un "tango rock". Au moment d'y travailler, au piano, Richard Galliano se souvient des échauffements vocaux de son vieil ami en coulisses, des notes aiguës par lesquelles il attaquait sa mise en voix... Les deux musiciens se retrouvent pour façonner la structure du morceau que l'accordéoniste comparera à un "tango méditerranéen"... La chanson est sortie en 1993 dans l'album Chansongs de Nougaro. Morceau fétiche du répertoire de Galliano, Vie, Violence poursuit aujourd'hui son aventure sous sa forme instrumentale.
"L'Île Hélène" (musique d'Yvan Cassar)
Yvan Cassar, pianiste, compositeur, arrangeur et directeur musical incontournable de la chanson, a réalisé les trois derniers albums de Claude Nougaro, dont un enregistrement live ainsi que l'album La Note bleue sorti à titre posthume en 2004. Dans le premier de ces trois disques, Embarquement immédiat, lancé en janvier 2000, Cassar signe la musique d'une émouvante chanson dédiée à Hélène Nougaro, la dernière épouse du chanteur. L'Île Hélène a été composée à Toulouse en 2014. Le compositeur y a glissé des sonorités folk.
"Tendre" (musique de Toots Thielemans)
En 1991, Claude Nougaro et le merveilleux harmoniciste belge Toots Thielemans collaborent sur la chanson Tendre (la version instrumentale de Toots existe sous le titre For My Lady), monument de délicatesse qui paraît sur l'album live Une Voix dix doigts (1991), enregistré simplement en duo par Nougaro et Maurice Vander au piano. Toots Thielemans se joint à eux le temps d'une chanson et le miracle opère...
"L'Irlandaise" (musique de Didier Lockwood)
En 1993, dans l'album Chansong, Claude Nougaro et le violoniste Didier Lockwood cosignent une savoureuse ballade folk, L'Irlandaise. La chanson parle d'Hélène, la dernière femme de la vie du chanteur : "Occitane, tu as mis dans mon âme/ Une ballade irlandaise/ Féminine comme une colline/ Une mer vert Véronèse..." Toutes ces collaborations rappellent à quel point les gens du jazz considéraient Claude Nougaro comme l'un des leurs.
"C'est une Garonne" (musique de Ray Lema)
Toujours dans l'album Chansongs (1993), figure une ode de Claude Nougaro au fleuve de sa ville natale, la Garonne. Les mots de cet hommage sont gravés sur une plaque visible sur une promenade le long des quais, à Toulouse. Cette chanson, C'est une Garonne, a été écrite avec le merveilleux pianiste Ray Lema, ami du chanteur. "Moi ma caravelle, c'est sa rive belle/ Là où l'hirondelle vient pondre son œuf/ Ma vague émeraude, c'est une Garonne/ Quand elle se fait chaude au bras du Pont-Neuf..."
Mais aussi...
On aurait pu mentionner bien d'autres collaborations... Il y a Jean-Claude Vannier et le conte musical Plume d'ange, long de quinze minutes (1977). Il y a Bernard Arcadio, compositeur de plusieurs thèmes comme Nous voici (1981). Il y a Bernard Lubat avec par exemple Go Man, il y a le batteur André Ceccarelli, l'accordéoniste Marc Berthoumieux, le pianiste Jean-Pierre Mas...
Achevons ce périple musical au bord de la Garonne avec l'une des plus illustres chansons de Nougaro : Toulouse (1967), dont il signe à la fois les paroles et la musique, avec Christian Chevallier comme arrangeur. Au départ, le texte du chanteur était plutôt amer, car sa jeunesse n'avait pas été heureuse, vécue loin de ses parents. Il s'est ravisé et a signé finalement une ballade introspective, véritable hymne à sa ville. Or sa maison de disques n'avait que faire d'une chanson dédiée à Toulouse. Mais le comédien Gérard Klein, alors animateur sur France Inter, a matraqué la chanson sur les ondes, contribuant à son succès...
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