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Yom, artisan exalté de l’électro klezmer

Le clarinettiste Yom vient de sortir un nouvel album, « The Empire of Love », dans lequel il fusionne la tradition klezmer et la musique électro. Une nouvelle étape dans une carrière professionnelle lancée il y a une dizaine d’années. Il sera en tournée en France à partir de la mi-octobre, avec un passage à Paris, au Bataclan, le 2 décembre. Nous avons rencontré le musicien trentenaire.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Yom (2013)
 (Michel Azous)
Yom (prononcez « Yaume »), tel est le nom de scène de cet artiste né en 1980 à Paris. Un nom qui évoque un mot hébreu (« Yom » signifie « jour ») tout en étant le diminutif phonétique de son vrai prénom (le clarinettiste s'appelle en réalité Guillaume Humery). Le musicien, qui a débuté la clarinette à l'âge de 5 ans, a enregistré son premier album en 2003 en duo avec le pianiste Denis Cuniot. Il s'est beaucoup exprimé dans le klezmer, tradition musicale juive, festive, originaire d'Europe centrale et de l'Est. Récemment, Yom a expérimenté de nouveaux sons dans l'album « With Love » (2011) et a partagé une expérience musicale poétique avec le guimbardiste chinois Wang Li dans « Green Apocalypse » (2012).
Son nouveau projet, « The Empire of Love », sorti le 24 septembre sur le label Jazz Village, associe deux de ses passions, le klezmer et l'électro. Yom a composé et enregistré douze morceaux courts - le plus long dure 4 minutes 55 - qui s'enchaînent dans un cocktail très efficace de groove et de virtuosité au service de mélodies qui nous entraînent aux confins de l’Europe.

L'enrobage du CD vaut aussi le détour. Pour ceux qui croient encore à l'importance de « l'objet disque », cet album, hymne à l'Amour, est servi dans un bel écrin rose, cartonné, plastifié... mais pas un rose « bisounours » : le verso de la pochette est illustré par une image d’accouplement d'éléphants.

La rencontre
Le soir du lundi 23 septembre, Yom a joué quelques morceaux de son nouveau disque dans un café du quartier des Halles, à Paris. L'occasion de faire plus ample connaissance avec un artiste jovial, disponible et attachant.
- Culturebox : Yom, si tu devais te présenter à des gens qui ne te connaissent pas du tout, que leur dirais-tu ?
- Yom : Bonne question, ça m’arrive tout le temps ! J’ai plusieurs présentations possibles. Soit je dis : « Yom, clarinettiste d’origine klezmer », j’aime bien ! Soit je pars dans quelque chose de plus précis et j’explique que « je fais une sorte de cyber klezmer progressif à tendance fortement électro ».
 
- Et aux gens qui te connaissent déjà, comment présenterais-tu ton travail tel qu’il a évolué récemment ?
- Ça aussi, ça m’arrive régulièrement ! J’ai tendance à dire que c’est le prolongement naturel de mon album « With Love » avec les Wonder Rabbis (sorti en 2011), qui marquait le début de mon aventure dans un style musical complètement extérieur au klezmer. Là, c’était du côté du rock et du post-rock. Le nouvel album est un peu le même genre de travail, très profond, « clarinettistique », sur les musiques klezmer. Mais du point de vue des arrangements, le travail que j’avais fait sur le rock et le post-rock, cette fois, je l’ai mené sur un genre électro assez chaleureux, un peu « French Touch », qui mélange des sons très électro et des sons « réels », acoustiques.
 
- Pourquoi avoir choisi cette direction ? Par passion pour l'électro ou par envie d’essayer de nouvelles choses ?
- Les deux. J’ai un besoin absolu d’expérimenter. J’ai du mal à faire deux fois de suite la même chose. Quand on me fait écouter les morceaux qui étaient mes influences sur « With Love », ça me rappelle des souvenirs mais ça ne me provoque pas les mêmes émotions parce que j’ai évolué. Pour retrouver ces émotions, il me faut d’autres morceaux. Et dernièrement, c’est vraiment l’électro. J’en ai énormément écouté quand j’avais 15, 16, 17 ans et un peu au-delà, puis je l’ai un peu lâchée. Ça a réémergé sous une forme totalement « re-personnalisée » si on peut dire, car je ne pense pas qu’on puisse dire que ce que je fais, c’est de l’électro, puisqu’il y a de la clarinette, des harmonies, des mélodies.
- Quelles ont été tes grandes références en matière de jazz klezmer ?
- Du côté du klezmer plus traditionnel, deux personnes m’ont beaucoup inspiré. D’abord, Giora Feidman. C’est pour moi l’un des plus grands clarinettistes, un génie qui a totalement rénové la musique et la clarinette klezmer. Il a 77 ans aujourd’hui. Ensuite, évidemment, David Krakauer, qui a rendu le klezmer populaire dernièrement. Au lieu de le jouer de manière classique, il l’a mélangé avec de la funk, du hip hop, du jazz. Je me souviens qu’à 15, 16 ans, j’écoutais ses albums en boucle. Après, il y a les anciens, des années 20, vraiment traditionnels, dont Naftule Brandwein à qui je rends hommage dans l’album « New King of Klezmer Clarinet ». Et il y a toute la musique tzigane, d’Europe de l’Est, les fanfares, le clarinettiste bulgare Ivo Papazov, la musique turque... Je pourrais citer des milliers de noms !
 
- Et quelles sont tes grandes références récentes en matière d’électro ?
- À l’époque de « With Love », toutes mes influences klezmer s’étaient mélangées avec la musique de Radiohead, de Mogwai...  Là, j'ai été inspiré par des groupes de la « French Touch » : Kavinsky, Daft Punk évidemment, un peu Air, Justice dans un côté un peu plus violent. Il y a aussi des groupes un peu plus aventureux dernièrement comme Tristesse Contemporaine, Aufgang. Auparavant, j’ai même été fan de Plastikman qui est une espèce de technoïde complètement minimaliste. Récemment, je suis allé chercher du côté d’une techno un peu plus chaleureuse, plus harmonique, mélodique, avec des instruments acoustiques. Je pense d’ailleurs que cela caractérise bien l’électro « French Touch ».
 
- Qu’est-ce que tu écoutes ces jours-ci ?
- Entre chaque phase où j’écoute de manière avide la musique de mon époque, il y a des phases où je me ressource avec la musique traditionnelle d’Europe de l’Est, ce qui me fait un bien inimaginable. Je suis en plein dedans, en cette période de sortie de l’album.
 
- As-tu déjà d’autres projets en tête ?
- Je suis en train de monter un projet, « Back to the Klezmer », où je reviens à un klezmer traditionnel parce que c’est une pratique dont j’ai besoin en tant que clarinettiste. D’ailleurs, je ne suis pas du tout objectif sur la musique d’Europe de l’Est. Tu me mets n’importe quel truc de là-bas, même arrangé avec un mauvais goût absolu, et j’aurai une petite larmichette !


- Tes origines te tiennent vraiment à cœur... Peux-tu nous en dire plus ?
- Du côté de ma mère, on est originaire d’une partie de la Transylvanie qui se trouve maintenant en Roumanie. Mon grand-père en est parti en 1936 pour venir en France. Je n’ai aucun rapport direct avec cet endroit qui, entre la guerre et Ceausescu, a été absolument défiguré et n’a plus rien à voir avec ce qu'il était. Donc ça n’aurait aucun intérêt d’y aller. C'était une famille juive, et évidemment, il n’y a plus personne là-bas. Mais il y a un lien spirituel, mystique, un besoin de recherche des ancêtres qui n’a rien à voir avec la géographie.


- Qu’est-ce qui distingue, pour toi, l’écriture pour des musiques électro, très modernes, et celle relative à des musiques traditionnelles, acoustiques ?
- Dans l’écriture, il n’y a pas de différence car ce qui prime pour moi, c’est la mélodie et l’harmonie. Quand je compose, dans ma tête, je suis déjà dans un projet, dans un son. Le son, pour moi, c’est presque l’arrangement avant d’avoir la composition. Je sais déjà que je veux un groupe électro, des synthés, donc les compos se feront dans ce cadre. L’harmonie, la mélodie, je les trouve soit sur le clavier, soit sur la clarinette, soit en chantant dans ma tête.
 
- Où la différence va-t-elle se manifester ?
- Ce sera très différent dans le travail de groupe, au moment de monter le morceau. Si l’électro apporte énormément de possibilités - on peut tout faire ! -, cela prend beaucoup de temps de trouver exactement ce qu’on veut. Quand on a l’obligation de composer pour une contrebasse, un violoncelle et une clarinette, la contrainte liée aux instruments accélère le processus. Avec des ordinateurs, des synthés, où il suffit de tourner des boutons pour avoir un autre son, il faut une discipline de travail en groupe énorme, il faut comprendre le son du groupe et se dépêcher d'aller dans cette direction. Avec l'électro, l’étendue des possibles peut te perdre définitivement...


- Qu’est-ce que l’on ressent, quand on joue de la clarinette au milieu de ces sons hypnotiques dans la musique électro ?
- C'est justement ce qui m’intéresse. Tout à coup, je sors de mon domaine de pur instrumentiste klezmer pour me glisser dans un son d’ensemble. Bien sûr, dans les moments où j’ai la responsabilité des thématiques, je suis au-dessus, mais à d’autres moments, je dois arriver à trouver les sons. J’utilise un pédalier d’effets sur scène et je me retrouve dans un groove. Cette manière de défendre la composition diffère du traditionnel où je suis à nu avec un rôle de virtuose clarinettiste, quasi sportif, où tout dépend de ma prestation. Dans l'électro, je profite plus du son, du groove, il y a quelque chose qui se crée en groupe, c’est assez mystique. Sur scène, je m’éclate, je danse ! Je suis plus fatigué après un énorme trip électro où j’ai fait trois nappes (sons prolongés, ndlr) dans une immense réverbération, qu'après avoir joué des double-croches dans un tempo klezmer ultra rapide...

(Propos recueillis par A.Y. le 23 septembre 2013)

Yom en tournée à partir du 18 octobre
Avec Emiliano Turi (batterie) et Julien Perraudeau (claviers)
> L'agenda concert sur son site
> À Paris, au Bataclan, le 2 décembre 2013

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