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Youn Sun Nah, divine voix du jazz, en concert au Châtelet

La chanteuse sud-coréenne Youn Sun Nah, voix virtuose du jazz, un genre dont elle déplace allègrement les frontières, sort un nouvel album, "Lento". Elle le présente à l'occasion d'une vaste tournée -entamée au festival À Vaulx Jazz- qui passe notamment lundi soir à Paris par la prestigieuse scène du Théâtre du Châtelet. Nous avons rencontré cette artiste extrêmement attachante.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Youn Sun Nah et sa lumière intérieure.
 (Sung Yull Nah)

Le précédent album de Youn Sun Nah, "Same Girl" (sorti en 2010 sur le label allemand Act), avait connu un grand succès, sacré disque d'or en France avec 50.000 copies vendues, un exploit de nos jours pour un album étiqueté jazz. L'avenir s'annonce au moins aussi radieux pour le splendide "Lento", paru le 12 mars (toujours chez Act). L'album comporte des compositions originales et des réappropriations de musiques pop ("Hurt" de Nine Inch Nails), classique (le 4e prélude de Scriabine), western ("Ghost Riders in the Sky") ou traditionnelle coréenne, dans cet univers épuré, poétique, dont la vocaliste sud-coréenne a le secret.
 


Le nouveau disque, qui s'inscrit dans la continuité du précédent, semble compléter une trilogie entamée avec "Voyage" (Act, 2009). Côté musiciens, Youn Sun Nah demeure fidèle à l'équipe constituée avec le guitariste Ulf Wakenius, le contrebassiste Lars Danielsson (tous deux suédois) et le batteur Xavier Desandre Navarre. Une nouvelle recrue, l'accordéoniste Vincent Peirani, a composé certaines musiques du disque.
 

La rencontre
Lumineuse Youn Sun Nah, à la ville comme à la scène. Entre deux interviews radio, dans un timing très chargé au moment de la sortie de son album (nous étions le 13 mars), elle consacre trois bons quarts d'heure à Culturebox. Son sourire, sa simplicité, sa modestie, sa capacité d'écoute et d'empathie, vous laissent un souvenir impérissable.

 

Youn Sun Nah
 (Sung Yull Nah)


- Culturebox : Votre dernier album remonte à 2010. Comment avez-vous traversé ces dernières années ?
- Youn Sun Nah : J'ai beaucoup voyagé. J'ai rencontré plein de gens. J'ai fait à peu près 250 concerts, j'étais toujours sur la route...

- Avec un tel rythme, comment faites-vous pour entretenir votre voix ?
- Je pense que j'ai un peu de chance. Mes parents sont musiciens, ma mère est chanteuse et pour moi, elle chante mieux que Maria Callas (rires) ! Après des études de chant lyrique, elle a fait partie de la première génération de chanteurs à se lancer dans la comédie musicale en Corée. Mon père est chef de choeur. Je pense que la voix que je possède, c'est eux qui me l'ont donnée. J'ai beaucoup de chance de pouvoir chanter un peu tous les jours, même si je n'ai pas un truc spécial pour entretenir ma voix. Déjà toute petite, je chantais. Mais je n'osais pas le faire devant mes parents, parce qu'ils étaient professionnels. Je chantais au lycée, à l'université, avec les copains... La première fois qu'ils m'ont vue chanter, c'était en 1989, quand j'ai participé à un concours de chanson française en Corée. Et je me suis mise au jazz à partir de 1995, quand je suis arrivée en France.
 


- Avez-vous des modèles de chanteurs et chanteuses, à part votre mère ?
- Quand j'étais petite, j'aimais beaucoup Barbra Streisand. En Corée, on n'avait pas l'occasion d'écouter du jazz à l'époque. Quand j'ai commencé à étudier le jazz à Paris, j'ai eu un choc quand j'ai découvert Ella Fitzgerald, Billie Holiday et Sarah Vaughn. J'ai essayé de les imiter au niveau du sens du rythme, du swing, mais ce n'était pas possible... J'étais désespérée de ne pas chanter comme elles, je me suis dit que je devais peut-être rentrer en Corée... Tout ce que je faisais sonnait faux pour moi, je trouvais que je n'avais pas une voix assez grave... Mais en vérité, tout le monde peut chanter du jazz, c'est ce qui fait la beauté de ce genre musical. Alors que j'envisageais de rentrer chez moi, mes professeurs m'ont dit : "Youn, tu peux faire du jazz avec ta propre voix. Ecoute plutôt les chanteurs et chanteuses européens." Ils m'ont donné plein d'albums. Thierry Péala, mon prof à l'école CIM, m'a fait découvrir la chanteuse britannique Norma Winstone. La première fois que je l'ai écoutée, ça a été un choc. Elle avait une voix de soprano et pouvait chanter un standard du jazz, ou des choses plus contemporaines, comme s'il s'agissait de sa propre musique ! Je me suis dit alors que peut-être, si je travaillais bien, je pourrais faire du jazz à ma manière. J'ai beaucoup écouté, aussi, la chanteuse brésilienne Elis Regina, j'adore les choses très profondes, expressives, je peux pleurer même si je ne comprends pas les paroles. J'essaie de faire comme elles, même si je n'y arriverai jamais !

- A quel moment avez-vous ressenti l'envie de retourner en studio ?
- J'y pensais depuis un an, en fait, mais je n'avais pas le temps de le faire. Finalement, le rendez-vous en studio a été fixé pour octobre, j'ai eu un mois pour m'y préparer. En même temps, quand je fais un album, je n'ai jamais de concept, les morceaux qu'on va enregistrer vont sonner différemment dans trois, quatre mois. Pour moi, c'est l'instant qui est plus important. Mon album n'est pas un produit, c'est un truc naturel, avec des défauts.

- Est-il vrai que toutes les chansons ont été enregistrées en une seule prise ?
- Oui, même si ce n'est pas ce que je voulais... J'aurais bien aimé faire dix prises, pour pouvoir choisir. C'est Ulf (Wakenius, le guitariste, ndlr) qui m'a conseillé de faire comme ça. Quand on a enregistré "Voyage", notre premier album ensemble, j'ai fait plusieurs prises. En milieu de séance, il m'a dit : "Ce n'est pas une bonne idée de faire le morceau quatre, cinq fois. Tu verras, tu ne choisiras que la première prise." Et il avait raison. Du coup, on a gardé le principe du "one shot" avec l'album suivant, "Same Girl", et le dernier. J'ai confiance en les musiciens avec qui je travaille. La première prise est celle où on a le moins d'informations sur la façon dont les autres vont jouer, alors du coup, c'est le moment où on est vraiment concentré, où on écoute vraiment le groupe. J'ai décidé d'enregistrer comme s'il s'agissait d'un album live.
 


- Vous signez ou cosignez pas mal de morceaux... Vous avez confié récemment à un magazine que c'était un processus difficile pour vous...
- Je compose d'abord, puis je mets des paroles. Mais n'étant ni compositrice ni parolière, c'est toujours très difficile, ça me prend beaucoup de temps et je n'ai pas confiance en moi. Je n'en ai pas davantage quand je chante, d'ailleurs. Je me pose beaucoup de questions, pas seulement dans la musique... Il y a tellement de grands musiciens, de grands chanteurs, j'aimerais bien faire comme eux. Peut-être que je vise trop haut... Heureusement, quand on fait de la musique, on ne le fait pas seul, on le fait avec d'autres qui vous encouragent, vous supportent, vous poussent. Je me souviens de la première fois que j'ai vu jouer Keith Jarrett. Je me suis dit : "Je vais arrêter la musique, ça ne sert à rien que je continue à chanter !" Mais le lendemain, j'avais un concert, j'étais donc obligée d'aller sur scène. A la fois, la musique me déprime et me recharge en énergie !

- Est-ce que ce problème de confiance s'atténue à force de recevoir tout cet accueil, si positif, du public et des critiques, toute cette reconnaissance ?
- Je pense que je ne changerai pas. Mais je suis bien sûr consciente de la chance que j'ai ! C'est incroyable. Je n'ai pas commencé à étudier la musique pour être chanteuse, juste pour étudier. Je n'avais aucun projet précis. Je suis venue à Paris pour trois ans, en 1995, puis j'ai voulu rentrer chez moi, mais on m'a donné une bourse, donc je suis restée un an de plus. Puis on m'a proposé de donner des cours au CIM. Le directeur m'a dit : "Quand tu es arrivée ici, tu n'y connaissais rien. Maintenant, tu donnes des concerts, on veut juste que tu transmettes ton expérience." Puis j'ai rencontré des musiciens avec qui j'ai joué pendant dix ans... Oui, je mesure la chance que j'ai. Aujourd'hui, des jeunes musiciens coréens viennent me demander s'ils auront la même vie que moi s'ils partent étudier à Paris...
 


- Revenons à vos compositions. J'espère que ce n'est pas parce que c'est si difficile pour vous de composer que vos chansons sont assez tristes...
- J'aime les chansons comme ça, en fait ! Pourtant, j'aime beaucoup rire, j'aime les gens qui ont de l'humour. Mais quand je compose, je peux rarement écrire un truc gai, sauf si c'est une commande. C'est toujours sombre, lent, minimaliste. Je pense que cela correspond à un côté de ma nature. Je préfère ce genre de chansons aux ballades, aux morceaux rapides. Il y a un de ces morceaux, "Lament", que je ne voulais pas mettre dans l'album, je trouvais qu'il était trop simple, mais mon agent et manager m'a incité à le prendre pour le disque.

- Alors qu'il s'agit d'un des morceaux les plus forts du disque !
- Oui ! (rires) Je l'avais écrit en pensant à Vincent Peirani et à ce qu'il pouvait apporter au niveau instrumental, avec un crescendo. Les musiciens m'inspirent pour composer, en fait. Pour "Lento", chanson écrite à partir d'une mélodie de Scriabine, j'ai pensé à Ulf.
 


- Pourriez-vous me décrire ce que vous ressentez, ce que vous voyez, quand vous êtes en train de chanter ?
- On ne m'a jamais posé cette question auparavant... (elle réfléchit) Je deviens un personnage, comme si je faisais un monodrame, seule. Pour chaque chanson, je deviens quelqu'un d'autre. Après, il y a le public. Quand je chante quelque chose d'assez énergique, les visages des gens changent aussi. Quand je chante une chanson triste, ils pleurent aussi. Le sourire, les rires, les larmes, c'est vraiment contagieux. Sur scène, je souris parce que les gens sourient, parce que Ulf sourit, parce que le personnage que je joue sourit également. En fait, j'absorbe tout comme une éponge. Si quelqu'un est malade à côté de moi, je suis malade. Quand je regarde le journal télévisé, si je vois quelque chose de tragique, de violent, j'ai mal physiquement. Donc quand je chante, les choses ne se passent pas au niveau de la tête, mais du corps, c'est physique.

(propos recueillis par A.Y.)

En concert au Théâtre du Châtelet, à Paris
Lundi 25 mars 2013, 20H
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