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Johnny Hallyday, Alain Bashung... Quels sont les quatre commandements pour réussir un album posthume ?

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Johnny Hallyday, le 12 février 2016, au Zénith de Paris, lors des Victoires de la musique. (BERTRAND GUAY / AFP)

Le 51e album studio de Johnny Hallyday sort le 19 octobre et celui d'Alain Bashung, le 23 novembre. L'occasion pour franceinfo de s'intéresser à la fabrication de ces disques pas comme les autres.

Il y a une vie après la mort. Les fans de Johnny Hallyday et d'Alain Bashung veulent le croire. Eux qui attendent avec impatience – et anxiété – la sortie des albums posthumes de leurs chanteurs disparus adorés. Mon pays c'est l'amour, sur lequel "le taulier" a travaillé jusqu'à sa mort, sort le 19 octobre. Quant à En amont, il est programmé pour le 23 novembre, près de dix ans après la mort de Bashung. L'enjeu n'est pas seulement artistique, il est aussi financier. Car la postérité d'une star peut rapporter très gros.

En 2017, Michael Jackson était – pour la cinquième année consécutive – en tête du classement du magazine américain Forbes des célébrités mortes générant le plus de revenus, avec 75 millions de dollars. Elvis Presley était lui quatrième, à 35 millions et Bob Marley cinquième, pour 23 millions. Côté Français, Claude François Junior, le fils aîné de "Cloclo", n'avance pas de chiffres précis mais donne un ordre de grandeur. "C'est un chiffre d'affaires à six zéros, plusieurs millions par an quand on compte tout : les ventes de disques, les droits d'exploitation, d'utilisation dans des films des publicités, les reprises", reconnaît-il dans Le Parisien

Voici les quatre préceptes à suivre pour une carrière posthume réussie.

1Respecter les dernières volontés de l'artiste

Sortir un album posthume, c'est souvent achever l'œuvre d'une vie. "Johnny a enregistré son album, malgré son cancer du poumon, pour qu'il sorte, estime le spécialiste musique de franceinfo, Bertrand Dicale. Quand un album est commencé, on le finit. Je pense que pour un artiste, c'est d'une logique absolue. Le dernier album de Daniel Darc est lui aussi sorti à titre posthume. Mais Darc était mort pendant les séances d'enregistrement. Quand un artiste meurt, on ne va pas jeter ce dans quoi il a mis ses dernières forces."

Ce n'est pas un business. C'est une consolation. C'est ce qu'on fait quand on n'a pas le choix, quand on n'a plus l'artiste. C'est un pis-aller.

Bertrand Dicale, spécialiste de la chanson française

à franceinfo

Le 45 tours de la chanson Alexandrie, Alexandra est sorti le jour des obsèques de Claude François, mais Cloclo avait eu le temps de le terminer. (Sittin' on) The Dock of the Bay, le tube légendaire d'Otis Redding, fut aussi le premier single posthume à prendre la tête des charts américains. Il sortit un mois après la mort du chanteur dans un accident d'avion. Et même s'il diffère un peu de la version qu'aurait souhaitée l'artiste, selon sa veuve, "le roi de la soul" l'avait enregistré en studio.

Didier Varrod, journaliste spécialiste de la musique à France Inter, cite un autre exemple sur franceinfo : l'album posthume de Claude Nougaro, La Note bleue, sorti huit mois après sa mort, en 2004. "Claude Nougaro a choisi ses chansons, il a poursuivi l'album jusqu'à son dernier souffle, il a suivi le mixage depuis son lit d'hôpital. Mais il n'a pas pu le terminer, ses proches l'ont fait après sa mort."

Pourtant la tentation est grande aussi de s'affranchir des dernières volontés d'un artiste et de chercher dans ses archives des œuvres non publiées dignes de passer à la postérité. "Franz Kafka avait demandé à Max Brod, son ami et son exécuteur testamentaire, de détruire tous ses manuscrits. Mais Max Brod ne l'a pas fait et a tout publié. Et on a eu l'un des plus grands génies de la littérature. C'est le rêve de tout le monde. On se dit que dans les inédits, il y a peut-être Kakfa", observe Bertrand Dicale. 

2Rester fidèle à l'œuvre

Si la veuve de Johnny Hallyday, Laeticia, et les deux enfants aînés de l'artiste, David Hallyday et Laura Smet, s'affrontent devant les tribunaux, ce n'est pas uniquement pour son héritage pécunier, c'est aussi pour son testament artistique. En avril, le chanteur et l'actrice ont été déboutés par le tribunal de Nanterre de leur demande d'un droit de regard sur son dernier album. L'annonce de son titre a rouvert les hostilités.

L'ultime album du "taulier" a toutefois été réalisé par Maxim Nucci, alias Yodelice, qui avait déjà opéré sur le précédent opus De l'amour, paru en 2015. "Il a scrupuleusement respecté l'ensemble des volontés artistiques de Johnny, pour en faire un véritable album de rock and roll", avait assuré au printemps le manager de Johnny, Sébastien Farran, au Journal du dimanche.

Il faut partir sur les bases de ce que l'artiste, de son vivant, a déjà imposé artistiquement. Il ne faut jamais trahir le sens premier de sa démarche artistique.

Fabien Lecœuvre, spécialiste de la chanson française

à RFI

"Quand on travaille sur un album posthume, on se pose beaucoup de questions, assure le journaliste Bertrand Dicale. Qu'est-ce qu'on est en train de faire ? On est en train de proposer aux fans la possibilité de juger que l'artiste a eu tort, quand on adore une version, qu'on la trouve absolument géniale et que ce n'est pas celle que l'artiste a choisie."

"C'est très particulier comme activité, on ne gère pas une carrière posthume comme on gère la carrière d'un artiste vivant", confirme à RFI le spécialiste de la chanson française Fabien Lecœuvre. L'attaché de presse conseille les ayants droit de Claude François depuis un quart de siècle, après avoir veillé sur les intérêts du défunt Joe Dassin pendant cinq ans.

L'homme énonce une première condition sine qua non"Il faut très bien connaître l'œuvre de l'artiste, son répertoire, pour pouvoir imaginer des événements tout au long de sa carrière posthume, comme par exemple des téléfilms, un film, des timbres, sortir des intégrales, des best of..." Surtout, Fabien Lecœuvre n'envisage pas d'œuvre posthume sans l'implication des héritiers. 

Il faut avoir ce que l'on pourrait appeler de l'ADN à côté de soi. C'est-à-dire qu'il faut impérativement avoir un parent à ses côtés. Vis-à-vis du public, il faut obligatoirement avoir un morceau d'ADN parce que sinon vous n'avez pas réellement de légitimité.

Fabien Lecœuvre

à RFI

Pour En amont, l'album posthume d'Alain Bashung, la maison de disques Barclay a rassemblé des maquettes abouties du chanteur et des morceaux qu'il n'avait pas choisis dans ses précédents albums. Ce matériau a été retravaillé en studio par la productrice et réalisatrice Edith Fambuena, qui fut la collaboratrice régulière de Bashung, notamment sur son chef-d'œuvre Fantaisie militaire, sorti en janvier 1998. Et la veuve du chanteur, Chloé Mons, a donné son autorisation pour la sortie de ces dix titres inédits.

3Ne pas tuer la poule aux œufs d'or

Claude François Junior protège scrupuleusement l'héritage de son père, comme il l'expose au Parisien, et s'attache à ne pas inonder le marché de souvenirs de Cloclo. "J'ai le droit moral sur ses chansons, c'est-à-dire que je donne l'autorisation d'utiliser son répertoire, son image, son histoire dans un film, une publicité ou un spectacle. L'idée est de créer des événements ou de l'actualité, mais pas trop. S'il y a des choses tous les ans, vous êtes sûr de planter un projet sur deux."

"A l'époque de la sortie de Podium en 2004, le film de Yann Moix avec Benoît Poelvoorde qui jouait un sosie de mon père, Antoine de Caunes préparait aussi un biopic", relate l'héritier. "J'ai finalement préféré dire oui à Podium et Antoine de Caunes a abandonné son projet car il pouvait difficilement le mener à bien sans avoir le droit d'utiliser les chansons."

Je cautionne un projet tous les cinq ans.

Claude François Junior

dans "Le Parisien"

Fabien Lecœuvre, lui aussi, assure faire très attention à ce qu'il autorise. "En vingt-six ans sur Claude François, on m'a proposé tout et rien : (...) des fois de mettre des bouteilles de vin avec la photo de Claude François, des cigarettes ou, à l'époque du Minitel rose, des sites de rencontres, liste-t-il. Tout cela, c'est refusé évidemment et à côté de cela beaucoup de choses, notamment des pubs, sont acceptées."

"Il faut une stratégie différente par artiste, précise-t-il. Par exemple, je ne peux pas appliquer la même stratégie à Claude François ou Joe Dassin. Joe Dassin est un immense vendeur de disques mais à l'inverse de Claude François, il ne vend pas d'image. Il n'est pas 'collectionné' comme Johnny ou Cloclo, il n'y a qu'une dizaine de chanteurs en France qui sont 'collectionnés'. Ça dépend donc aussi du public. Il faut savoir qui on représente."

4Fouiller minutieusement les archives

Un artiste disparu n'enregistrera évidemment plus de nouvelles chansons, mais les ayants droit et les fans rêvent tous de découvrir des morceaux inédits oubliés dans un grenier ou des versions alternatives de grands tubes qui auraient été laissées de côté. D'où une fouille minutieuse du passé. 

Une carrière posthume, c'est toujours refaire du neuf avec du vieux.

Fabien Lecœuvre, spécialiste de la chanson française

à RFI

Après la mort de Frank Zappa en 1993, sa veuve, Gail, n'a eu de cesse d'éplucher les archives du rocker expérimental et a publié en moyenne un album par an. Dance Me This, le centième album de l'artiste déjà prolifique de son vivant, est sorti en juin 2015. Peu avant sa mort, Gail Zappa a transmis les commandes du Zappa Family Trust à leur fils Ahmet et a conclu un accord avec le groupe Universal Music prévoyant notamment de futures rééditions. Un quart de siècle après sa mort, l'héritage de Frank Zappa est bien gardé.

Juanita Naima Coltrane, la première femme de John Coltrane, avait quant à elle conservé des enregistrements de la légende du jazz et de son quartet, datant de 1963, réalisés dans le studio du New Jersey où ils étaient retournés un an plus tard pour confectionner le classique A Love Supreme, l'un des meilleurs albums de jazz de tous les temps. Ces sept morceaux ont été retrouvés par sa famille et publiés, fin juin, par le label new-yorkais Impulse! sous le titre de Both Directions at Once : The Lost Album.

Morceaux inédits, raretés, titres connus mais dans de nouvelles versions... Les héritiers de Jimi Hendrix n'ont toujours pas éclusé les stocks, quarante-huit ans après la mort du "guitar heroe". La sortie en mars de Both Sides of the Sky, le troisième album posthume, a fait frémir les fans de celui communément considéré comme le plus grand guitariste électrique de l'histoire. Ils y ont découvert l'existence de $20 Fine, une chanson de 1969 jusque-là inconnue. "C'est la preuve que la famille possède encore des choses dont on ne connaît pas l'existence", veut croire dans Le Point Yazid Manou, le spécialiste français de Hendrix.

Selon Eddie Kramer, fidèle ingénieur du son de Hendrix, en charge des restaurations de ses chansons, Both Sides of the Sky doit être le tout dernier album posthume. "Mais personne ne peut mettre sa main à couper que dans quelques années il n'y en ait pas d'autres. Jimi a passé beaucoup de temps à jouer avec d'autres artistes (...). Donc il y a peut-être des bandes à faire découvrir", espère l'attaché de presse Yazid Manou.

"On en a terminé pour les inédits studio en solo, mais il reste les jam sessions avec de nombreux musiciens stars, tels Taj Mahal, Roland Kirk, Larry Coryell, John McLaughlin, et les enregistrements live, dont le fameux concert au Royal Albert Hall. Hendrix travaillait tout le temps", conclut dans Le Point Yazid Manou, plein d'espoir.

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