Grand format

GRAND FORMAT. Johnny Rock, Johnny Success, Johnny Franck… Ces sosies qui ont envie de l'avoir en vie

Raphaël Godet, Clément Parrot, franceinfo le jeudi 7 décembre 2017

Toujours le même rituel. Le blouson de cuir, la paire de santiags et la gomina dans les cheveux. Puis la scène, et ce public venu voir ces vrais-faux Johnny Hallyday. Aux quatre coins du pays, des sosies de "l'idole des jeunes" proposent leurs services pour animer des kermesses, des fêtes d'anniversaire, des mariages, des séminaires... Au lendemain du décès du chanteur français, dans la nuit du mardi 5 au mercredi 6 décembre 2017,  franceinfo leur a demandé comment ils vivaient la disparition de leur "maître". Et ce qui allait changer, désormais, dans leur vie. Il y a Philippe, le coiffeur, Richy, le champion de France de sosies, Johnny Franck, l’ancien employé d’hypermarché, Johnny Success, dont la vocation est venue sur le tard, et Johnny Rock, le numéro 1.

Philippe, le coiffeur

Philippe Clabaut, le 4 juin 2003, dans son salon de coiffure à Lille (Nord). (FRANCOIS LO PRESTI / AFP)

Johnny Hallyday, c'est ma plus belle histoire d'amour. Elle a commencé il y a un demi-siècle. J'avais 14 ans, lui 19. Ça a commencé avec un blouson noir acheté pour faire comme lui. Puis, un jour, je suis allé plus loin : je suis rentré à la maison avec sa coupe de cheveux, la mèche sur le devant et les pattes sur les côtés. Ça n'a pas du tout fait rire mes parents. Ils me sont tombés dessus et m'ont dit : "Hors de question, tu retournes chez le coiffeur !" Je n’ai pas bronché, je suis revenu avec une coupe plus classique. Pas la boule à zéro, mais presque.

Je m'en fiche, je me suis rattrapé depuis : je suis devenu coiffeur à Lille et je mets du Johnny en fond sonore dans mon salon. Sauf quand ça énerve quelqu’un, je change. Il m’arrive aussi de pousser la chansonnette pour rire, je teste les connaissances de mes clients. Dans mon salon, on n’est pas obligés de se coiffer comme lui. Je fais tous les styles, mais j’ai un bon coup de ciseau pour la banane.

Vous n’allez pas me croire si je vous dis que mon fils aussi est un sosie de Johnny ! Son nom de scène, c’est Johnny Halloway. Lui, il est dans l’Hérault ; moi, dans le Nord. Niveau physique, je ne sais pas qui est le plus ressemblant. Niveau vocal, c’est moi. Clairement. C’est grâce à la clope. Mon fils ne fume pas.
Et vous n'allez pas me croire non plus si je vous dis que j’ai eu plusieurs femmes, comme Johnny !

Vous allez me demander combien. La vérité, c'est que je ne sais plus le nombre exact. Mais l’actuelle, c’est la bonne, même si elle n’apprécie pas beaucoup que je sois aussi fan de Johnny. Je crois que c’est de la jalousie, parce que je connais du monde, donc elle se fait des films... 

Philippe Clabaut

J'aurais bien aimé recevoir Johnny dans mon salon. Je lui aurais fait une coupe gratis. Mais imaginez la pression : chacune de ses mèches vaut de l'or. Il m'arrive que des clients me demandent de les coiffer comme lui, donc comme moi. Ce n'est pas la majorité, mais ça arrive.

Maintenant, il faut que je pense à l'après. Quelqu’un m’a demandé si sa coupe allait gagner en notoriété, maintenant qu’il est parti vers l'au-delà. Je ne sais pas... J'aimerais bien, mes ciseaux sont prêts. Si ça se trouve, la banane va revenir à la mode !

Philippe Clabaut, 69 ans, Lille (Nord)

Richy, le champion de France

Richy, le 10 octobre 2008, à Cahors (Lot). (MAXPPP)

Mon téléphone a sonné à 5 heures ce matin. Normalement, il ne sonne jamais à cette heure-là. Je savais que c’était grave. Au bout du fil, une amie. Ça s’est passé en quelques mots : "Richy, sincères condoléances, ton boss est parti." Elle n’a pas eu besoin de prononcer son nom, j’avais compris. J’étais effondré, dévasté. J’ai pleuré, beaucoup pleuré. On y pensait, on savait que ça allait arriver. Et voilà, le 6 décembre 2017, paf ! Le maître est parti. La bonne nouvelle, s’il y en a une, c’est qu’il ne souffre plus.

Depuis sa mort, je n’ai envie de rien, juste d'être seul et de penser à lui. Je me recueille, j'écoute ma chanson préférée "L’Envie d’avoir envie".

Richy

Je vis comme Johnny depuis 25 ans. Depuis ce jour où on m’a dit que je lui ressemblais, que j’avais son timbre de voix. C’est vrai qu’il y a quelque chose. Je fais une centaine de concerts par an. En France, dans les pays francophones… Ma fierté, c'est de donner du bonheur aux gens qui sont fans de Johnny mais qui n'ont pas les moyens de se payer une place avec le vrai. Alors ils se rabattent sur le plus vrai des faux Johnny. Moi, en l'occurrence.

Regardez, je suis triple champion de France de sosies. 2005, 2006, 2007... C'est vrai qu'il y a un truc, c'est flagrant ! A la fin d'un spectacle, ils ne font plus la différence. Et moi, ils peuvent me toucher sans que des vigiles les attrapent.
Je fais tout comme lui, même la manière de tenir le micro, c'est des heures et des heures de répétition. J’ai eu la chance de lui parler plusieurs fois. La dernière fois, c’était en 2016, lors du tournage du film Chacun sa vie de Claude Lelouch. Il est venu me voir et m'a dit : "J’aime bien ce que tu fais, continue". J’étais, j’étais… pfff... aux anges !

Etre sosie, ça a des avantages, notamment avec les femmes. Et puis au resto parfois,tu manges et tu bois à l'œil, le patron te rince. Mais désormais, l’avenir me fait peur, oui. J'ai du mal à imaginer une France sans Johnny. C'était mon idole, mon remède contre les difficultés de la vie. J'ai envie de continuer de lui rendre hommage. Encore plus qu'avant. Quitte à casser les prix si ça fonctionne moins. Aujourd'hui, c'est 1 500 balles pour une fête d'anniversaire. Vous avez droit à une heure et quart de show. Soit une douzaine de chansons.

Richy Tarroux, alias Richy, 62 ans, Montpellier (Hérault)

Johnny Rock, le précurseur

Johnny Rock a commencé à imiter son idole dès 1967. (AFPHOTOGRAPHY / ALEXANDRE FAUCHEUR)

Mon téléphone n'a pas arrêté de sonner à partir de 4 heures pour me dire qu'il était parti. Je me suis levé, j'ai regardé à la télé, puis sur internet, et j'ai vu que l'information était confirmée. Pour moi, c'est une catastrophe. J'ai perdu une partie de ma vie. Johnny, c'était mon grand frère, mon maître à penser, mon Dieu.

Il est mon amour, je l'aime.

Johnny Rock

Johnny, c'est toute ma vie depuis 1966. Je l'ai découvert dans l'émission "Âge tendre et tête de bois", animée par Albert Raisner. J'ai commencé à l'imiter devant les copains en 1967, j'avais 12 ans. J'organisais des petits concerts avec 4 ou 5 chansons. Mes parents m'avaient aussi acheté une mobylette et je l'avais customisée comme dans le film A tout casser dans lequel jouaient Johnny et Eddie Constantine.

J'ai commencé à vivre de cette passion en 1984. Un patron de discothèque m'a remarqué et m'a dit de venir faire des concerts. J'ai rempli la discothèque avec entre 800 et 900 personnes tous les soirs. Mais au bout de 2 ans, j'avais envie de voler de mes propres ailes et je suis monté à Paris. J'ai suivi son look au fil des années : cheveux longs, avec barbe, sans barbe... J'ai aussi une couturière professionnelle pour reproduire les costumes. Au début, c'était ma femme mais ça lui prenait trop de temps. Le plus dur, c'est de retrouver les mêmes tissus.

En 1984, j'étais le seul à faire ça. J'ai d'ailleurs pris le nom de Johnny Rock parce que c'était le nom qu'il aurait dû prendre à ses débuts. Ensuite, je pense que Johnny m'avait adoubé comme sosie numéro 1.

<span>Il appréciait ce que je faisais, parce qu'il m'a dit plusieurs qu'il avait entendu parler de moi en bien.</span>

Johnny Rock

Ma première rencontre avec lui, c'était en 1992, à côté de Cherbourg dans une salle omnisports. J'étais là dès le matin pour aider à monter la scène. Le patron de la salle me demande si je peux trouver une Harley Davidson. Je lui ai trouvé une Harley, mais j'ai dit qu'en échange je voulais rencontrer Johnny. Il a fini son concert à 23h30 et j'ai fini par réussir à le voir à une heure du matin. Il est arrivé au bout du couloir avec sa démarche chaloupée et ses yeux perçants. Quand il m'a regardé les yeux dans les yeux, c'était... Wahou ! On a fait des photos, discuté de la moto et puis il m'a raccompagné. Après ça, je l'ai rencontré à huit reprises mais la plus belle rencontre, c'était chez Michel Drucker dans l'émission "Vivement dimanche", au début des années 2000.

Johnny a tout changé dans ma vie. A la base, j'étais ouvrier charpentier à Cherbourg et grâce à lui, je suis devenu professionnel du spectacle. J'ai fait des voyages extraordinaires, j'ai vécu des choses extraordinaires. Je dois avouer que j'ai eu aussi beaucoup de passe-droit. Par exemple, avec les flics et les gendarmes, j'ai eu des faveurs grâce à ma gueule, notamment des excès de vitesse et des amendes qui ont sauté. Parfois, ils m'ont même escorté pour rentrer chez moi.

Avec les femmes aussi, j'ai eu du succès, même trop. J'ai eu un profil Facebook pendant quelques mois et j'ai été obligé de le fermer. Parfois, certaines fans ont fait des kilomètres pour tenter de venir dormir à côté de ma chambre d'hôtel. Ce n'est pas facile à gérer, c'est la folie. Heureusement, que ma femme n'est pas trop jalouse ! Pour certains fans, je représente Johnny et comme ils ne pourront jamais le toucher, ils se raccrochent à moi.

J'ai toujours dit que j'étais une sorte de placebo de Johnny.

Johnny Rock

Je viens de voir ma messagerie et j'ai déjà beaucoup de demandes de concert. Je ne m'en satisfais pas, car j'aurais préféré que mon idole soit encore vivante. Je ne souhaite pas profiter de la situation pour m'enrichir, mais je vais chercher à perpétuer son image du mieux que je peux. J'ai eu une belle vie grâce à lui. Je ne remercierai jamais assez Johnny d'avoir existé.

Denis Le Men, alias Johnny Rock, 63 ans, Cherbourg (Manche)

Johnny Franck, le professionnel

Johnny Franck, le 19 novembre 2017, à&nbsp;Cormontreuil (Marne). (ALAIN HOUSSEAU)

J’ai allumé la télé comme tous les matins. A l'écran, il y avait mon Johnny, et ce mot : "mort". Je n’arrivais pas à y croire. Je me disais : "Non, pas Johnny, pas Johnny…" C’est un monument, une légende, un mythe qui s’en est allé. Quand j’ai allumé mon portable, j’avais, je ne sais pas, vingt appels en absence de fans. Vous entendez les trémolos dans ma voix ? C’est comme si je perdais un être cher, un grand frère. J’ai l’impression de le connaître par cœur ; d’ailleurs, je le connais par cœur. Allez-y, posez-moi une question, j’aurai la réponse.

Ce ne sera désormais plus jamais pareil. Depuis sa disparition, je mange mal, je dors mal… C’est comme une rupture, ça va prendre du temps. Le deuil me fait peur. Je me dis : "Est-ce que je vais tenir ?" Alors je regarde, je lis, j’écoute tout ce qui se dit sur lui. Je me repasse des chansons, des extraits de concerts. Ma préférée, c’est Essayez, sortie en 1970. Johnny, c’est celui qui m’a permis d’avoir une autre vie. Avant, je faisais la mise en rayons dans un hypermarché. Sans lui, je serais encore dans la boutique.

Je fais une centaine de shows par an. J’ai de la chance, j’arrive à en vivre. Ce n’est pas rose tous les mois, mais globalement, c’est bon.

Johnny Franck

Quand je me présente, je dis que je fais Johnny dans la vie. Parfois, on me reconnaît dans la rue, ça fait plaisir. Ça veut dire que je suis quelqu’un qui compte dans le milieu. Pour bien faire comme lui, je suis allé le voir plusieurs fois en concert. Je dirais plus de 80 fois. Je me souviens d’un concert au Stade de France en 2009 : j’étais au premier rang, on a échangé quelques gestes. Chez moi, j’ai une pièce qui lui est dédiée, il y en a partout, au sol, au plafond, sur les murs. Des tableaux, des bagues, des photos…

OK, ressembler à Johnny, c’est un peu d’argent : 450 euros la paire de santiags, 400 euros le pantalon de cuir et 200 euros la veste pailletée. Mais ce n’est pas de la camelote, elle est sur-mesure. Personne n’a le droit d’y toucher, pas même mes 4 enfants. Eux ne connaissent pas Johnny. Ils ont entre 13 et 20 ans. Ils ne savent pas ce qu’ils ratent. Johnny, c’est la personne que je l’aime le plus au monde. Après ma femme et mes gosses. Je vis Johnny, matin, midi et soir. Même dans mes mails il y a du Johnny. Je signe chaque message de la même manière : "Kiss Johnny Franck". 

Les premiers concerts vont être étranges. Je lui rendrai hommage au début des spectacles.  Je dirai quelque comme : 'pour toi, mon Jojo, merci d'avoir existé.' Je ne sais pas si j'aurai plus de travail à l'avenir, mais je l'espère. Nous, les sosies, on doit continuer le travail. Il nous a tout apportés. Franchement, je n'aurai pas assez d'une vie pour lui dire merci.

Franck Debusschere, alias Johnny Franck, 47 ans, Outreau (Pas-de-Calais)

Johnny Success, le petit dernier

Johnny Success, en avril 2017, à Barcelone (Espagne). (DR)

J'ai appris sa mort par SMS à 3 heures du matin et j'ai pleuré, tout simplement. En plein milieu de la nuit, on se dit que c'est un cauchemar, que ce n'est pas possible. On le savait très affecté par la maladie, mais on ne s'attendait pas à ce que cela soit aussi brutal. C'est une grande claque dans la gueule. On va mettre un certain temps à s'en remettre, il va y avoir plusieurs jours de décalage avant de réaliser.

Il laisse une œuvre extraordinaire, avec plus de 50 albums. Des gens se sont rencontrés sur ses chansons, se sont mariés sur ses chansons, ont fait des enfants sur ses chansons... C'est juste un monument, quelqu'un qui est gravé à jamais dans le cœur des Français. On en a encore pour des décennies à écouter Johnny et à l'aimer.

La première fois que je l'ai vu, c'était à la télévision sur TF1, lors d'un concert au Pavillon de Paris en 1979. Il transmettait tellement de force, d'énergie… J'ai commencé à le suivre.

Puis en 2007, j'ai commencé à jouer ses chansons, d'abord en amateur. Au début, j'ai eu du mal à me faire à l'idée de reprendre ses tubes car tellement de gens le faisaient déjà. Ce sont mes proches qui m'ont poussé en me disant que j'avais les épaules et ensuite on s'est forgé l'expérience sur scène avec mon groupe.

Je ne cultive pas la ressemblance, c'est naturel.

Johnny Success

J'aime bien comment il s'habille, son look. Il ne faut pas que ça devienne la croix et la bannière de s'habiller comme Johnny. Ensuite, je ne vais pas jusqu'à refaire le moindre tatouage, il faut quand même garder sa personnalité. Les gens savent bien qu'ils viennent voir un sosie et il ne faut pas devenir une caricature, car ce n'est pas bon, ni pour l'artiste, ni pour soi-même. Au niveau de la voix, c'est naturel aussi, je ne fais pas d'imitation. J'ai quand même pris des cours de chant pendant deux ans pour chanter juste et régler ma voix.

Pour la suite, on va d'abord prendre le temps de s'en remettre, puis on va continuer. On est déjà sollicités pour des concerts l'an prochain en Suisse, en Belgique, au Maroc et bien sûr en France. La mort de Johnny devrait augmenter les sollicitations, on est un vrai groupe avec de vrais musiciens. Attention, on n’est pas des opportunistes, on rend hommage à Johnny depuis déjà 10 ans. Mais aujourd'hui, après sa mort, ce que l'on fait prend encore plus de sens.

Gilles Glab, alias Johnny Success, 50 ans, Dole (Jura)

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