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La Corée du Nord utilise les girls bands pour changer son image

Les girls bands nord-coréens qui viennent chanter à la frontière chinoises séduisent le public : elles adaptent sur des airs pop les classiques du répertoire socialiste. Cette musique, au style révolutionnaire en Corée du Nord, est une arme de diplomatie douce pour le régime de Pyongyang
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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Un girl band nord-coréen, inspiré des célèbles Morabong en concert dans un hôtel de Yanji, au Nord-Est de la province chinois du Jilin, le 26 juin 2015.
 (GREG BAKER / AFP)

Comme beaucoup d'hôtels chinois, le Kunlun International offre des prix très bas, des chambres avec des lits ronds et des spectacles émoustillants de pole dance. Mais aussi un "rock band" de filles nord-coréennes qui s'époumonent tous les soirs sur "L'Hymne au Parti des travailleurs" et autres classiques du répertoire socialiste.

Le groupe est la copie conforme du Moranbong, premier groupe de rock-pop nord-coréen entièrement féminin, qui fait un tabac dans son pays depuis 2012. Le jeune leader suprême, Kim Jong-un, 30 ans, a sélectionné chacune des chanteuses et musiciennes.

"Soft Power"

Elles ont visiblement fait école et les imitatrices arrivent maintenant de Pyongyang pour se produire dans les villes à la frontière chinoise, dans ce qui ressemble à une tentative du régime pour changer son image et s'attirer une aura culturelle, une forme de "soft power".

En Asie, des centaines de restaurants et de groupes musicaux nord-coréens sont implantés depuis longtemps, destinés à fournir au régime les devises dont il manque cruellement. Mais les nouveaux spectacles venus de Pyongyang semblent, eux, vraiment voués au divertissement.

Un public chinois conquis

A l'hôtel de Hunchun, ville chinoise proche de la frontière nord-coréenne et russe, les sept jeunes rockeuses, enveloppées sur scène des volutes des fumigènes, sont pour certaines en pantalon avec un haut rouge vif, pour d'autres en robe longue scintillante. Sous la lumière mauve des spots, elles crachent leurs décibels sur des airs de musique populaire traditionnelle coréenne et de chants patriotiques, pimentés de solos à la guitare, à la basse, à la batterie ou aux claviers.

Le public chinois ne résiste pas à leur interprétation du "Sans Parti communiste, pas de Chine nouvelle" - tout Chinois la connaît par coeur depuis l'enfance - sur fond de vidéo de drapeaux rouges ondoyants. Des quadragénaires se lèvent bras tendus et lancent des "bravo !".

"La Corée du Nord est tellement pauvre, ils ont vraiment besoin de s'ouvrir économiquement comme l'a fait la Chine", commente dans l'assistance Zhao Dongxia, un touriste chinois. "Mais le groupe était drôlement bon. C'est la première fois que je vois des Nord-Coréens. Ils n'avaient pas l'air si pauvres".

Morabong, la révolution pop

Les artistes passent quasiment tout leur temps dans l'hôtel et s'aventurent rarement à l'extérieur, raconte la chanteuse Lim Tae-jeong, une édition à la main du magazine Vogue en version chinoise. "Je ne sais pas lire le chinois, mais j'adore regarder les photos, les habits sont très différents, très modernes", dit-elle dans un chinois hésitant. "Bien sûr que j'aime le groupe Moranbong... Mais on est loin d'être aussi bonnes qu'elles", lâche-t-elle encore.

En Corée du Nord, il est dit que les rues se vident partout où les Moranbong donnent un concert et tout étudiant connaît leur répertoire par coeur. Leur style, qui marie pop, rock et disco sur des tempos rapides, est radicalement différent de la musique nord-coréenne autorisée jusque-là.

Populaire tant que Kim voudra

Pekka Korhonen, professeur de sciences politiques à l'Université finlandaise de Jyväskylä, tient un site web dédié au groupe. Pour lui, l'explication tient au fait que Kim Jong-Un a vécu et étudié en Europe. "Les Moranbong sont incroyablement populaires, mais qu'est-ce que populaire veut dire en Corée du Nord ?", s'interroge-t-il. "Le groupe est un symbole de la nouvelle ère de Kim et donc il sera populaire tant que Kim en décidera ainsi".

Beaucoup de ces musiciennes envoyées à la frontière ont suivi des études musicales poussées, même si certaines prestations ne sont pas loin du karaoké. Dans un des restaurants nord-coréens de Hunchun, les trois chanteuses sont les trois seules serveuses. Elles poussent des duos pendant que les clients dînent, empochant sans ciller leurs billets de 100 yuans (14,7 euros) dans un pays où les pourboires sont quasi-interdits.

Musicien, un métier à risques

Dans la ville voisine de Yanji, de jeunes femmes en uniformes rouge et blanc donnent un sage spectacle de claquettes à l'hôtel Ryugyong, qui tire son nom du gigantesque établissement de 105 étages au coeur de Pyongyang, dont les travaux entamés en 1987 ne sont toujours pas terminés. Si toutes les artistes interrogées s'expriment fièrement à propos de leur pays, le métier de musicien peut s'avérer périlleux en Corée du Nord.

L'orchestre philharmonique Unhasu, longtemps au pinacle de la musique en Corée du Nord, a été dissous en 2013 et, selon les services sud-coréens de renseignement, quatre de ses membres ont été passés par les armes cette année pour espionnage. Pyongyang n'a jamais confirmé l'information.

En Chine depuis bientôt deux ans, Ryu Seol-sin songe à son retour au pays. A 28 ans, elle est diplômée de l'Université de musique de Pyongyang Kim Won Gyun, comme beaucoup des artistes du groupe Moranbong. "Je voulais travailler très dur pour arriver à jouer devant des foules immenses", dit-elle. "Mais maintenant, je pense que je vais enseigner la musique. C'est une façon plus stable et plus sûre de servir mon pays".

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