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La Fnac se lance dans le streaming : mais où met-elle les pieds ?

Alors que le streaming prend le dessus sur le téléchargement de musique, l'enseigne française lance son propre service, dans un marché en ébullition.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La Fnac a annoncé, le 2 mars 2014, le lancement de sa plateforme de streaming musical. (BOB DEWEL / ONLY FRANCE / AFP)

On vous a ri au nez quand vous avez demandé où se trouvaient les CD 2 titres ? ("Cela n'existe plus, brave homme du passé.") Vous ne vous remettez pas de la disparition du rayon country au profit d'un stand dédié aux machines à café design ? Bref, vous ne reconnaissez plus votre Fnac ? Rassurez-vous, l'enseigne n'a pas entièrement renoncé à la vente de biens culturels (en général) et musicaux (en particulier). Dimanche 2 mars, elle a annoncé le lancement de son propre service de musique en streaming.

Nommée en hommage à l'outil d'écoute le plus rétro juste après le phonographe, cette "Fnac Jukebox" débarque dans un marché en ébullition. Avant de prendre (ou pas) votre abonnement, regardez bien où la Fnac met les pieds. Car dans le monde du streaming musical, l'agitateur de talent a intérêt à s'accrocher pour réussir.

Un nouvel eldorado

Le streaming, soit l'écoute en flux continu de musique en ligne, sans téléchargement, est un usage plébiscité par ces gros consommateurs de son appelés "les jeunes". "Ils sont habitués à écouter de la musique dématérialisée", explique à francetv info Lionel Kaplan, directeur de Mediatrium et auteur de plusieurs études sur le streaming pour le compte de la Cité de la musique. "La logique du Cloud [qui permet de tout stocker en ligne] s'est développée. Pour les usagers, le streaming donne accès à une bibliothèque de plusieurs millions de titres, instantanément. Enfin, le développement de la 3G/4G pour les smartphones lui a permis de se démocratiser." En d'autres termes, la Fnac débarque là où elle était attendue : dans le troisième millénaire.

Surtout, il s'agit d'un marché émergent, indique à francetv info François Moreau, professeur à Paris-13 et spécialiste de l'économie numérique, "contrairement à celui de la vente au titre [via le téléchargement] qui stagne." Pour la première fois, en 2013, en France comme aux Etats-Unis, les ventes de musique en téléchargement ont baissé alors que le streaming a progressé. L'an dernier, ses revenus ont gagné 4% en France et il touche 1,4 million d'utilisateurs. Un résultat bien, mais pas top : seuls 8% des Français sont abonnés à une plateforme de streaming.

"Il existe encore une grande marge de croissance sur le marché numérique" dans l'Hexagone, note l'économiste. "En Suède [où est née la plateforme Spotify], un tiers des ménages y sont abonnés. Si une même proportion de Français souscrivaient à une offre Premium, comme celle du Français Deezer par exemple, le streaming générerait un chiffre d'affaires équivalent à celui que pouvait générer la musique à sa grande époque", résume-t-il. Période située vers l'an 10 av. La Macarena.

Une jungle impitoyable

Résultat : en 2014, plus de dix sociétés ont prévu de se lancer dans ce business porteur, a rapporté samedi le site du Christian Science Monitor (en anglais). Même Napster est revenu d'entre les morts pour pondre sa plateforme de streaming musical.

Ces cinq dernières années, des petits jeunes nés en ligne [les "pure players"] comme Spotify, Deezer ou l'Américain Pandora ont bâti un modèle auquel les géants de la culture doivent s'adapter. "Jusqu'alors, Fnac.com reproduisait dans le monde numérique ce que faisait l'enseigne dans le monde physique : vendre des contenus. L'abonnement est un modèle complètement nouveau, explique François Moreau. Les pure players, eux, n'avaient pas cette contrainte historique." Du coup, les mastodontes comme Apple (maître du téléchargement légal, via l'iTunes Store) ou Google ne sont arrivés sur le segment de la musique en streaming qu'en mars 2013. Quant au champion du commerce en ligne, Amazon, il réfléchirait seulement à entrer en scène, a rapporté fin février le site américain Re/code (en anglais).

Tout ce beau monde espère faire trembler le roi du streaming : YouTube, le service de vidéos racheté par Google dès 2006. Le site qui a révélé Psy (merci ?) a promis le lancement de sa plateforme de streaming musical pour 2014.

Un retour aux sources

A qui s'adresse la Fnac dans cet univers archi-concurrentiel ? A M. et Mme Tout-le-Monde, soit les quelque 92% de Français qui n'ont encore souscrit aucun abonnement. Ceux qui n'achètent plus de CD, mais ne seraient pas contre un petit Daft Punk de temps en temps. "Il n'y a pas encore d'offre grand public, beaucoup de gens ne connaissent pas ce mode d'écoute ou font du streaming par hasard", a ainsi plaidé Frédérique Giavarini, directrice de la stratégie de la Fnac. Ces messieurs Jourdain du numérique pourront opter pour l'abonnement "low cost" de l'enseigne, à 2 euros par mois pour les 200 titres de leur choix.

Pour François Moreau, ce tout premier prix, "seule innovation marketing, (...) pourrait toucher une part significative de personnes, à qui 200 titres suffisent". Soit "des consommateurs plus âgés, moins high-tech". Et donc plus sensibles à la "marque" Fnac, son "atout principal sur le marché français", estime Lionel Kaplan : "L'enseigne a brouillé son image ces dernières années, mais elle reste une marque forte. La Fnac cherche à rebondir sur son métier historique, et si cela ne fonctionne pas, elle pourra au moins se prévaloir d'avoir tenté le coup avant d'abandonner définitivement la culture."

La moindre des choses pour un groupe qui récolte aujourd'hui le fruit de douloureuses transformations initiées ces dernières années. Dans ce bilan de l'année 2013 publié par Zonebourse.com, le groupe se félicitait notamment de sa politique de diversification de l'offre. Espaces dédiés aux jouets, au petit électroménager, à la papeterie ou encore au design : le succès de ces nouveaux rayons, pourtant synonymes de perte d'identité pour le géant de la culture, a contribué aux récents bons résultats de l'enseigne.

Une galère absolue

Eldorado, jungle... Pour Lionel Kaplan, le marché de la musique en streaming, "c'est plutôt le Far West". "Le problème, c'est que, comme l'industrie de la musique en général, ce marché est très peu rentable. Même les leaders, comme Spotify et Deezer en France, ne le sont pas. Tous recherchent le Saint Graal", explique le spécialiste. Ainsi, Qobuz mise sur la qualité de son catalogue, tandis que Beats fonctionne sur le mode de la recommandation. Innovation = survie. "Même Spotify a changé de modèle récemment. Son offre ressemble désormais davantage à celle d'une radio, et propose entre autres de diffuser en mode aléatoire des playlists élaborées au préalable par l'utilisateur", explique-t-il. Certaines plateformes sont exclusivement disponibles sur abonnement, tandis que d'autres se financent par la publicité. Bref, "tous ces services se cherchent encore et opèrent régulièrement des virages stratégiques".

La Fnac est-elle prête à jouer la carte de l'innovation ? Alors même "qu'elle n'a pas su maintenir une plateforme de vente de musique en ligne [activité qu'elle a fini par céder à iTunes] à Apple ?" note François Moreau. Par ailleurs, le groupe est loin d'avoir l'aura d'un Amazon ou d'un Google à l'international. Un handicap à l'heure du numérique, par définition sans frontières, abondent les deux spécialistes. Dans ces conditions, la Fnac a peu de chances de retrouver son attrait d'antan auprès des mélomanes. Cependant, la naissance de cette plateforme de streaming aura au moins l'avantage de rentabiliser son catalogue, récemment numérisé.

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