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Les chanteurs lyriques français en voie de disparition sur les scènes tricolores

Les chanteurs lyriques français chantent très peu dans les opéras français. On y entend plutôt des voix italiennes, espagnoles, ou même américaines. Ils sont souvent trop chers, bien que très bien formés.
Article rédigé par Jean-Michel Dhuez
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
  (Le ministère de la Culture estime que la fourchette va de 20 à 40 % de cotisations en moins pour les artistes non résidents français © MaxPPP)

Si vous avez aimé l'histoire du plombier polonais, vous allez adorer celle du ténor étranger. C'est la même petite musique, celle des fameux travailleurs détachés. Cela vaut pour les commerçants, les routiers, mais aussi les artistes. Résultat, les chanteurs lyriques français ont des difficultés à être engagés dans les opéras français. On y entend plutôt des voix venues d'ailleurs en Europe, voire parfois des États-Unis. 

Un problème de qualité ?

Les chanteurs lyriques français ne chantent pourtant pas faux, loin de là. Bien au contraire, il y en a même d’excellents. Seulement, ils ne sont pas suffisamment employés dans leurs propres théâtres, qui recrutent majoritairement des chanteurs venus de l’étranger. Tous les théâtres et opéras ne sont pas concernés, il y a de "bons élèves", c’est le cas par exemple de Marseille, Avignon, Toulon, Saint-Etienne, Reims, ou encore Tours, où les chanteurs français sont bien représentés.

"Il faut arrêter d'aller chercher systématiquement des distributions étrangères"
— Jean-Yves Ossonce, chef d’orchestre, ancien directeur de l'Opéra de Tours

Jean-Yves Ossonce, chef d’orchestre, dirigeait jusqu’en janvier dernier l’Opéra de Tours. Selon lui, le problème n’est pas qualitatif : "Il y a un grand nombre d’artistes lyriques extrêmement bien formés au plus haut niveau qui ne trouvent pas suffisamment de travail sur le territoire français et dans les maisons d’opéra françaises. On ne demande pas de privilégier systématiquement les résidents fiscaux français, mais il ne faut pas aller chercher systématiquement des distributions étrangères",  explique-t-il.

Des situations ubuesques

Cette politique de recours massif à des chanteurs non résidents provoque parfois des situations étonnantes. A Toulouse, en juin prochain, Faust de Gounod est programmé sans aucun chanteur français dans la distribution. C’est comme si on jouait Molière sans comédien français. Cela entraîne souvent des dictions approximatives, il faut donc avoir recours au sur-titrage,  même pour des livrets en Français.

En ce qui concerne la saison en cours à l’opéra de Paris, il n’y avait que 4 % de Français pour les rôles de premier plan selon les relevés du Syndicat français des artistes. Autre chiffre parlant révélé par ce même syndicat : 70 % des artistes engagés n’avaient pas leur résidence fiscale en France pour les saisons allant de 2009 à 2013.

"Beaucoup de maisons françaises se donnent des airs de maisons internationales"
— Jean-Yves Ossonce, chef d’orchestre, ancien directeur de l'Opéra de Tours

Jean-Yves Ossonce ne mâche pas ses mots : "Je pense surtout que beaucoup de maisons en France n’ont pas réfléchi à cette problématique et se donnent des airs de maisons internationales en employant des chanteurs étrangers" lâche-t-il.

Les chanteurs étrangers moins chers ?

D'autres arguments sont avancés : les chanteurs étrangers coûteraient moins chers, grâce à des cotisations moins élevées. Un rapport initié par le ministère de la Culture estime que la fourchette va de 20 à 40 % de cotisations en moins pour les non résidents français. Ce même rapport note que la structure des opéras a beaucoup évolué, et que la plupart des directeurs et directrices ne sont plus originellement des chanteurs. Désormais, des conseillers se trouvent à leurs côtés. Or, en France, bon nombre de ces conseillers viennent de l’étranger, ils ont donc leur propre réseau. "Leur expérience est nourrie essentiellement hors de France" , note ce rapport. 

Des quotas pour faire respecter les règles ?

A l’étranger, le raisonnement des directeurs d’opéras n’est pas le même qu’en France. Il y a des quotas, officiels aux Etats-Unis, officieux en Italie, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Belgique, où l'on privilégie les chanteurs nationaux.

"Il faut instaurer une forme de protectorat"
— Françoise Pollet, ancienne soprane internationale, aujourd'hui enseignante à Lyon

Mais en France, le mot "quotas" est encore tabou, comme l'explique Françoise Pollet, ancienne soprane internationale, aujourd'hui enseignante à Lyon. "Je n'ai jamais prôné la préférence nationale. Simplement, à qualités égales, il faut engager des Français, et il faut instaurer une forme de protectorat". 

Personne ne souhaite de quotas en France, pas même les chanteurs, qui ne contestent pas ce mélange, indispensable et vu comme un échange, une ouverture. Néanmoins, quand la proportion s’inverse, la situation devient dangereuse : "Pour démarrer dans le métier, pour des jeunes chanteurs français, c'est terriblement difficile, explique Françoise Pollet. J'ai toujours plaidé pour le retour des troupes, et je ne vois pas pourquoi ça affole tout le monde. Avoir un contrat de deux ans et être mensualisé revient bien moins cher que d'avoir des gens que l'on paie par soirée presque aussi cher que ce qu'on les paierait par mois." 

L'argent public en jeu

Il ne faut pas perdre de vue que tout cela se joue sur de l’argent public avec des subventions, qu’elles soient nationales, régionales, départementales ou municipales.  Sans compter que l’Etat forme à travers les conservatoires des artistes qui ne sont pas certains de trouver du travail en France à la fin de leurs études. Au ministère de la Culture, on affirme que l’on travaille à ces problématiques, avec prochainement la mise en place d’un tableau de bord de l’emploi des artistes lyriques français ou résidents en France.

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