Les enregistrements complets du festival de Wattstax, le Woodstock afro-américain de 1972, enfin dévoilés
Pour revivre le Woodstock afro-américain de 1972, jusqu'ici, il fallait se contenter des moments marquants avec deux albums parus en 1973 et la musique du documentaire Wattstax montré la même année et réalisé par Mel Stuart. Insuffisant pour plus de sept heures de show. Un demi-siècle après la sortie du film, le label Stax, à l'origine de l'événement, publie vendredi 24 février différents disques, qui vont du simple best of avec inédits au coffret collector gargantuesque.
"Redonner de la force" à la communauté noire américaine
Tout commence en 1971, quand Stax, antre d'Otis Redding ou Isaac Hayes, basé à Memphis, ouvre une antenne à Los Angeles. Al Bell, dirigeant de Stax, prend alors le pouls des habitants du ghetto de Watts. En 1965, l'arrestation par des policiers blancs d'un jeune noir, Marquette Frye, lors d'un contrôle routier suivi d'une altercation avec des proches, déclenche une révolte dans ce quartier déshérité. Bilan : 34 morts, 4 000 arrestations, des dizaines de millions de dollars de dégâts.
Al Bell, toujours en vie aujourd'hui, décrit dans le livret des habitants ayant "perdu l'espoir" six ans après les affrontements avec les autorités, comme "au bord du suicide". "C'est le déclic : Al Bell rassemble autour de lui pour organiser l'été suivant un événement afin de redonner de la force à cette communauté", explique à l'AFP Guy Darol, auteur français de Wattstax, 20 août 1972, une fierté noire, qui donne des conférences sur le sujet.
"Toujours méconnu du grand public"
Les concerts à but caritatif de ce dimanche-là restent chez les connaisseurs comme le Woodstock noir. Il y a pourtant eu un précédent en 1969 autour de la musique afro-américaine avec notamment Stevie Wonder, Nina Simone, Sly and the Family Stone. Le Harlem Cultural Festival rassemble sur six journées espacées plusieurs centaines de milliers de personnes au total dans un parc en plein air à New York.
Ce rendez-vous, extirpé des limbes récemment par le documentaire Summer Of Soul de Questlove (batteur de The Roots, producteur, etc.), a donc été effacé des tablettes des curieux des musiques afro-américaines par Wattstax trois ans plus tard. "Wattstax, toujours méconnu du grand public, prend le pas chez les spécialistes sur Harlem par son ampleur, avec 112 000 personnes pour une journée à connotation musicale et politique", éclaire Guy Darol.
De grandes figures de la musique afro-américaine
Dans le stade du Coliseum de Los Angeles en 1972, le révérend Jesse Jackson est le maître de cérémonie entre les shows. Cette figure de la lutte pour les droits civiques martèlera sa célèbre formule au micro : "I am somebody" ("Je suis quelqu'un"). "Au départ, le festival devait s'appeler Wattstock, en référence à Woodstock, mais devient Wattstax car l'essentiel des artistes vient du label Stax", rappelle Guy Darol.
À l'affiche, Isaac Hayes, The Staple Singers, Rufus Thomas, Albert King, The Bar-Kays, entre autres. Soit la collection de joyaux gospel, blues, soul et funk de Stax. Il y a deux moments cultes. Isaac Hayes, le "Black Moses" ("Moïse noir"), torse massif sous chaînes en or, entame Shaft devant une foule galvanisée par Jesse Jackson. Un tube joué deux fois de suite en entier, sous prétexte d'un problème technique peu perceptible sur disque.
La tenue d'Isaac Hayes, c'est "le point départ du dress-code dans le hip-hop, y compris dans sa dimension bling-bling, alors que le parcours du chanteur, qui vient de la misère et aide les démunis, le met à l'abri de toute critique", commente Guy Darol. L'autre temps fort, c'est le concert de Rufus Thomas. Le public en délire quitte ses places assises pour se ruer devant la scène, ce qui n'était pas prévu. On entend le chanteur qui improvise des punchlines pour ramener le calme. "L'ambiance ne dégénère pas", raconte Guy Darol, "et Wattstax reste une démonstration de puissance totalement pacifique des Afro-Américains présents ce jour-là".
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