Marathon musical de 24h à la Maison de la Radio par le pianiste Nicolas Horvath
Entièrement vêtu de noir, un homme fait courir inlassablement ses mains sur les touches d'un piano multicolore. Pas de mélodie, pas d’harmonie définie, les notes s’enchaînent et transportent les auditeurs curieux, hasardeux ou attentifs à travers un périple sonore aussi fascinant que répétitif. De temps en temps, le pianiste humecte le bout de ses doigts, saisie une feuille numérotée et l’envoie valser à terre. Il se remet alors à jouer et puis ne tarde pas à répéter cette même routine… pendant vingt-quatre heures. La première feuille portait le numéro 1. La dernière à fouler le sol le lendemain, portait le numéro 840.
C’est cette expérience hors du commun qui s’est déroulée pendant vingt-quatre heures dans le hall de la Maison de la Radio entre le 30 juin 20h et le 1er juillet à la même heure. L’homme derrière le piano qui a décidé de se lancer dans ce périple incroyable, c’est Nicolas Horvath. Adepte des concerts fleuves et des projets hors formats, le pianiste de 38 ans à la renommée internationale a défié pour la dixième fois l’œuvre inouïe du compositeur Erik Satie intitulée Vexations en l’honneur de l’anniversaire des 90 ans de la mort du musicien.
Reportage à Radio France sur le marathon Satie, entamé hier à 20 h. Fin de la prestation à 20h avec Nicolas Horvath pic.twitter.com/bk7xCsFFo8
— christophe richert (@crichert) July 1, 2015
Composée en 1893, l’œuvre consiste en 840 exécutions d’un fragment musical de 152 notes. "Selon le tempo choisi par l’interprète, ce fragment peut durer entre 50 et 100 secondes environ, ce qui porte le temps total d’exécution des Vexations entre 12 et 24 heures. Cette durée constitue une véritable épreuve pour l’interprète, soumis à une exigence d’endurance et de concentration hors du commun ", explique le musicologue Nicolas Southon, spécialiste de la musique en France aux XIXe et XXe siècles.
Préparation physique pour jouer 840 fois de suite le même motif
Cette partition des vexations s'aborde comme un défi, comme un exploit. Le compositeur Erik Satie a d’ailleurs laissé la consigne suivante à tous ceux qui voudraient tenter l’aventure : "Pour jouer 840 fois de suite ce motif, il sera bon de se préparer au préalable et dans le plus grand silence, par des immobilités sérieuses" . Un conseil, que Nicolas Horvath a décidé de ne pas ignorer. Pour lui, "l’immobilité sérieuse" , "c’est comme une charade, une devinette que nous laisse Satie, une sorte d’indice pour pouvoir affronter les Vexations, puisqu’il n’y a qu’en se préparant physiquement qu’on peut arriver à tenir les 840 répétitions" . Cette préparation a consisté en un jeûne de trois jours, sans nourriture mais également "sans boisson" .
La "zone du désespoir" autour de la 500e répétition
S’il n’aime pas parler de performance car il assure faire de l’art et non du sport, les sensations que décrit Nicolas Horvath ressemblent à celles d’un marathonien face à la souffrance et à la jouissance. "Il y a ce que j’appelle la zone de désespoir qui est toujours avant 400 – 500 (répétitions), c’est-à-dire un moment où on se pose de grandes questions" , confie-t-il tout en continuant de faire virevolter ses mains sur le clavier. "Dépasser les 700, vous avez comme une illumination. En fait vous comprenez tout sur la vie" , déclare ensuite le soliste. Evoquant une ancienne performance, il ajoute: "J’ai compris un grand nombre d’erreurs que j’avais faits avec mes proches et certaines des personnes qui ont partagé ma vie et la première chose que j’ai fait en terminant c’est de leur demander pardon, en général ce n’est pas vraiment joyeux" .
Pendant que Nicolas Horvath poursuit sa quête intérieure et solitaire, les auditeurs se succèdent pour un court moment ou pour des heures. Parmi eux, se trouvait une enseignante à l’allure bohème. Assise sur un banc derrière le pianiste, elle médite. "Qu’est-ce que je fabrique là ? Du bonheur…" , raconte la femme vêtue d’une robe indienne, assurant qu’elle n’en est pas à son premier concert fleuve. "Quand il joue comme cela pendant des heures, j’essaie de le suivre. Donc j’ai déjà écouté du Philip Glass (compositeur américain) pendant douze heures et Satie je l’avais écouté pendant six heures au Palais de Tokyo" . A côté d’elle sur le banc : un coussin. "J’ai dormi là cette nuit" , révèle-t-elle assurant aimer l’expérience car elle la déconnecte de la réalité. "Je sors du monde", déclare-t-elle enfin.
A quelques mètres de là, les agents de sécurité de la Maison de la Radio ont aussi pu profiter involontairement du récital insolite, tout en filtrant les entrées des visiteurs et du personnel. Ainsi, grâce à une performance originale, un pianiste fou, des auditeurs assidus et éphémères, des employés de passage et travaillant dans le hall, ont réussi à communier ensemble, sans qu’un seul mot soit échangé.
Fin de la performance de @nicolas_horvath et ses 24h de piano solo en hommage à #ErikSatie #Bravo pic.twitter.com/pjLlb0QOH2
— Radio France (@radiofrance) July 1, 2015
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