Cet article date de plus de dix ans.

"Adamah", le chant d'amour et d'alarme de Do Montebello

La chanteuse Do Montebello a sorti au printemps son premier album intitulé "Adamah", un disque poétique, politique, empreint de ses convictions écologistes et de ses inquiétudes pour l'avenir de la Terre. Elle présente ce disque très brésilien, essentiellement enregistré en portugais, trois soirs de suite à Paris. Rencontre avec une citoyenne du monde.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Do Montebello
 (Vincent Copyloff‏)

Native d'Albi, installée à Paris depuis des années, Do Montebello a grandi bercée par les musiques arabo-andalouses, la chanson française puis le jazz, avant que son cœur ne s'ancre au Brésil où elle a passé plusieurs années.

Chanteuse voyageuse et baroudeuse, voyant la nature de plus en plus malmenée, cette écologiste dans l'âme a pensé ce disque comme un appel à destination de ses prochains, les enjoignant à se souvenir de leur connexion avec la nature et à reprendre leurs esprits avant qu'il ne soit trop tard.

Dans son disque, Do Montebello signe les paroles portugaises de chansons composées par le pianiste Patrice Favre et les guitaristes Sergio Farias et Ivans Silva. L'album comporte aussi une chanson de Luis Gonzaga ("Juazeiro") et deux de Tico Da Costa ("Estrelas", "Travessas dos Calafates"). Presque tout le disque est en portugais - le livret du CD renferme les traductions - excepté un titre en anglais ("Mankind has its way") et un couplet de la chanson "Adamah" récité en français.

- Culturebox : Que signifie "Adamah" ?
- Do Montebello : C'est un terme hébreu qui parle de la terre rouge dans laquelle l'Adam, c'est-à-dire le coeur de la vie, l'être, est enfermé. Il est dedans et à un moment donné, cette terre le nourrit, le fabrique. L'être est à la fois fabriqué de cet Adamah et s'en nourrit. J'ai voulu à la fois crier mon amour pour cette Terre et le péril que nous lui faisons vivre.

- Pourquoi avoir employé l'hébreu ?
- Parce que ce mot est venu, je l'ai rêvé, curieusement. Je me suis réveillée avec ce mot, je suis allée voir ce qu'il voulait dire. Or je connais très peu l'hébreu. Je connais surtout, comme tout le monde, la magnificence de certains auteurs, les Écritures, j'essaye de comprendre un peu, même si je suis néophyte.

- Avez-vous écrit les paroles directement en portugais ?
- Absolument. Pour rappeler une phrase de Valéry, le premier vers est un don des dieux. C'est comme pour le mot "Adamah". Quand cela me vient, je le prends, comme un enfant. On ne le choisit pas, on est choisi. Je suis le canal. Quand j'ai reçu par exemple les mots "Terra, você me devora" (première phrase de la chanson "Terra", ndlr), je n'ai pas pensé une seconde "Terre, tu me dévores". C'est venu en portugais, comme tout le reste. Je parle tout le temps le portugais. Je le parle à la maison.
Et la musique brésilienne est le genre musical de prédilection dans lequel vous vous exprimez depuis des années...
- Quand j'entend les accords de la musique brésilienne, j'ai l'impression de nager dans des draps en soie ! Je ne vais pas me priver de luxe ! Surtout que c'est un luxe gratuit, une chose vaporeuse, subtile, intelligente, fine, racée... Je ne vais pas dire non à ça, je ne peux pas.

Toutes les chansons vous sont-elles inspirées par des vers et des mots ?
- Oui, ou par des images. Patrick Favre (pianiste et compositeur, ndlr) me dit souvent que dans mes textes, on voit des séquences de films. J'ai toujours des images qui me viennent. C'est le cas pour "Hilda Francisco Acena", le texte que j'ai écrit pour les migrants. La première image qui m'est venue, c'est une fille qui marchait, que je voyais de dos. Il s'avère que la photographe Clara Antonelli, qui a travaillé pour l'album, avait photographié une femme de dos qui m'a interpellée et m'a rappelé cette image (la photo illustre les paroles dans le livret du CD, ndlr). Pour moi, migrer, ça ne veut pas dire se courber, ça veut dire regarder vers son destin. C'est l'image que j'ai eue, cette femme face à son destin.

- Votre disque semble donc raconter une véritable histoire...
- C'est venu comment on fabrique un enfant, c'est d'abord un ovule et un spermatozoïde. Quand la vie naît, l'ovule n'est pas passif, contrairement à ce qu'on croit. Tous les principes sont actifs, homme, femme. Les chansons se sont fabriquées comme un être humain. Petit à petit, la terre Adamah s'est faite. L'être Adamah s'est fait. L'album s'est fait.
- L'enchaînement des chansons était donc mûrement réfléchi...
- J'ai voulu commencer par les courants ("Correnteza"), je crois que nous ne sommes que courants. Le sang qui circule, la salive que nous avalons, les larmes que nous versons... La mer humaine ("Mar humana"), c'est aussi ça, un mouvement, comme la musicalité ("Musicalidade"). Ensuite, l'ancrage. De ce mouvement, naissent les choses, les arbres ("Juazeiro" de Luis Gonzaga, "Aveleira"), les forêts primaires... Ensuite, parler du péril. Donc il y a "Adamah". Puis "Hilda Francisco Acena", pour parler de ces migrants qui viennent nous aider, et sur qui on tire à bout portant.

- C'est alors que surgit un titre en anglais. Pourquoi ce choix ?
- Parce que quand on ne ratifie pas les accords de Kyoto et qu'on s'appelle l'Amérique, quand on est aussi intelligent que ce pays, je veux croire que les Américains portent en eux une force incroyable de retournement, qu'ils peuvent nous surprendre. J'ai voulu leur dire en anglais ce qu'ils pouvaient entendre, et ce vers, "Mankind has its own way", m'est venu ainsi. C'était politique. Bien sûr, l'humanité a ses raisons, et le sang existe dans la naissance comme dans le crime, nous ne sommes qu'à notre balbutiement d'existence. Je demande à cette Amérique de bien vouloir amener le monde à évoluer, puisque c'est elle qui a la parole forte actuellement, qu'on le veuille ou pas.

- Le disque s'achève sur une touche plus optimiste...
- Il arrive cette chose incroyable, au-delà du péril qui plane... "Estrelas", c'est quand on peut regarder la voûte étoilée, ces étoiles qui guident nos pas et qu'on devrait regarder tout le temps, comme dit Tico Da Costa, l'auteur de la chanson. Enfin, "Minas", c'est cette Terre qui m'a tellement appris. Et "Travessas dos Calafates" parle de ces bateaux, les jangadas, qui prennent la mer. Avant, les barques étaient réparées avec du goudron et de l'étoupe, cette espèce de chanvre : pour ne pas que le bateau prenne l'eau, on le "calfatait". Tico compare les calfats à son père qui avait réparé sa guitare pour qu'elle prenne la haute mer... C'est une très belle image. Et en effet, j'ai envie de dire que je suis optimiste parce que je pense que les millions de personnes que nous sommes sont beaucoup plus nombreuses que les intrigants au pouvoir. J'espère que cela nous donnera la chance, à un moment donné, de renverser la vapeur.

(Propos recueillis par A.Y. le 15 septembre 2014 à Paris)

Do Montebello en concert à Paris
> Vendredi 19 septembre, samedi 20 septembre 2014, 21h30
Autour de Midi et Minuit
11, rue Lepic, 18e
Réservation : 01 55 79 16 48

> Dimanche 21 septembre, 21H
Théâtre de Nesle
8, rue de Nesle, 6e
Réservation : 01 46 34 61 04

> "Adamah", album sorti le 28 avril 2014 chez Frémeaux et Associés

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.