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Aurélie et Verioca, les voix françaises du Brésil

Leur amour pour la musique brésilienne les a réunies. Aurélie Tyszblat, chanteuse et parolière, et Véronique Lherm, guitariste, chanteuse et compositrice, écrivent leur musique en s'inspirant des rythmes et styles du Brésil. Elles présentent en tournée leur deuxième album "Pas à pas". À cette occasion, elles nous racontent une histoire de passion et de détermination.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 28min
Aurélie et Verioca
 (Diana Gandra)

Aux origines du duo Aurélie et Verioca, il y a d'abord une artiste singulière et habitée : Véronique Lherm. Native d'Aurillac. Brillante guitariste, chanteuse à la voix profonde et feutrée, Pierrot lunaire au féminin avec son visage d'éternelle enfant, dotée d'un talent de beat-boxer, elle semble venir d'une autre planète. Tombée amoureuse du Brésil et de sa musique au début des années 80, elle a troqué son prénom bien français pour le pseudonyme Verioca, contraction de "Véronique" et "Carioca", le nom des habitants de Rio. Elle a enregistré deux albums en solo, "Brasileira de Coração" en 1999 et "Carioca de Coração" en 2005, dans lesquels elle explorait les rythmes et styles musicaux du Brésil, chantant surtout en portugais, usant d'onomatopées et de percussions vocales. Dès le départ, il n'était pas question de se contenter de reprises des succès de la bossa nova, de la samba ou de la "MPB" (toute la "musique populaire brésilienne" qui ne rentre pas dans des cases précises). Verioca compose sa propre musique.

Fin 2009, Verioca s'est associée à Aurélie Tyszblat, native de Paris, de quelques années sa cadette. Cette dernière, ancienne scénariste, a apporté ses textes en portugais et en français, la brillance de son timbre de voix, mais aussi son sens de la communication et une persévérance d'acier. Leur recette : des chansons écrites sur des rythmes allant de la samba à la bossa en passant par le baião nordestin, combinés à des techniques européennes comme le contrepoint, et des textes qui parlent de l'humain.

Aurélie et Verioca, c'est un duo acoustique - une guitare, deux voix, des percussions - et l'histoire d'une passion et d'une détermination sans faille. Le duo a sorti un premier album, "Além des Nuages", en 2011. Bien avant d'avoir séduit les brésilophiles de France, elles avaient capté l'attention d'éminents artistes brésiliens : Egberto Gismonti, Guinga, Joyce Moreno ou le groupe Casuarina. Pour chaque reprise, elles ont veillé d'abord à présenter personnellement leur travail aux compositeurs. Pour chaque texte en portugais, Aurélie a fait vérifier la syntaxe et la prononciation auprès d'un coach vocal. Leur exigence, leur rigueur et leur intégrité ont suscité le respect des artistes sollicités, dont certains sont présents sur leurs disques et les rejoignent sur scène au Brésil. Le duo a attiré l'attention des médias brésiliens qui leur ont consacré articles et reportages.

Le 6 novembre 2015, Aurélie et Verioca ont sorti leur deuxième album, "Pas à pas", avec des invités comme Joyce Moreno ou le percussionniste Zé Luis Nascimento. Elles le présentent en tournée en France, avec une date parisienne ce dimanche 30 octobre 2016 à la Péniche Anako.


- Culturebox : Verioca, vous venez du monde de la guitare classique. Racontez-moi votre découverte de la musique brésilienne.
- Verioca : J'ai commencé la guitare classique à 14 ans. Dans ce répertoire, on aborde pas mal de compositeurs sud-américains parmi lesquels Heitor Villa-Lobos. Je me suis acharnée sur son Choro n°1 et sa Suite populaire brésilienne ! En 1980, un peu par hasard, j'ai écouté Tânia Maria. Sa voix, son piano surtout, son groove... Et là, je suis tombée... J'ai fini gentiment mes études classiques et parallèlement, je me suis intéressée à la musique brésilienne en général. J'ai eu aussi un déclic avec un disque de Beth Carvalho où l'on trouve un très bon répertoire de samba. J'ai passé mon bac musical à Clermont-Ferrand où je me suis inscrite au conservatoire et où j'ai formé plus tard mon premier groupe de musique brésilienne, Atabaque, qui a duré six ans. En 1990, je suis partie vivre à Montpellier.

- Comment vous êtes-vous formée à la pratique de la musique brésilienne hors du répertoire classique ?
- Verioca : Je passais mon temps dans les magasins de disques pour acheter, écouter, relever à l'oreille autant que possible. Je suivais aussi une formation de jazz, du coup je savais chiffrer les accords des morceaux que je repiquais à l'oreille. J'ai rempli des cahiers et des cahiers, des centaines de morceaux... Quand on est seule, on ne sait pas évaluer les difficultés, on ne sait pas par quoi commencer. Pour ça, João Gilberto, c'est pratique parce que c'est relativement simple au niveau de la guitare. Son disque blanc (le fameux album "João Gilberto" de 1973, ndlr) est assez facile à repiquer. J'avais essayé de repiquer Baden Powell et je n'y arrivais pas, tu parles ! C'était assez normal ! Ensuite, j'ai pris des cours de guitare brésilienne avec Roland Dyens. Ça m'a beaucoup aidée pour savoir comment on passait les accords, ainsi qu'au niveau rythmique. Pendant trois ans et demi, chaque lundi, je partais à 6h du matin de Clermont-Ferrand, j'arrivais à 10h à Paris, à 10h30 j'allais prendre son cours rue Vasco-de-Gama, puis je repartais dans l'autre sens.

- Vous possédez aussi une parfaite maîtrise des percussions brésiliennes !
- Verioca : Quand on est étranger, c'est incontournable de passer par la case percussions. C'est là qu'il y a pratiquement tous les codes qui donnent les spécificités de chaque style musical. J'ai fait des progrès énormes en guitare grâce aux percussions. Pour le samba (ndlr : au Brésil, c'est un nom masculin), vous ne pouvez pas ne pas connaître le tamborim, le surdo... Ça fait un langage commun avec les autres musiciens avec qui vous jouez.

En 1985, j'ai suivi un stage au festival d'Antibes Juan-les-Pins. Cette année-là, côté programmation, il y avait dans la même soirée Jobim, entouré du groupe qui incluait sa famille et Jaques et Paula Morelenbaum, João Gilberto, Gal Costa... La veille, il y avait eu Egberto Gismonti et Naná Vasconcelos. Il y avait aussi Paulo Moura, Raphael Rabello, c'était fou... De mon côté, avec l'école de samba Mocidade Independente qui encadrait le stage, je me suis plongée dans la batucada. Ensuite, j'ai commencé à apprendre le cavaquinho en repiquant Beth Carvalho. J'ai étudié pendant vingt ans le cavaquinho toute seule. J'ai commencé à prendre des cours avec Luciana Rabello il y a seulement quatre ans.


- Quand avez-vous commencé à composer ?
- Verioca : Dans les groupes où j'ai joué, petit à petit, je me suis mise à composer l'intro du morceau qu'on reprenait, puis un petit gimmick au centre, puis la coda (ndlr : passage menant à la fin d'un morceau musical)... Pendant des années, je n'ai pas osé composer, j'étais persuadée que je n'étais pas capable de le faire...

- Pas capable ou pas légitime ?
- Verioca : Les deux. C'est exactement ça. Après Jobim et Gismonti, qu'est-ce que vous voulez faire ? Et en musique classique, que faire après Stravinsky que j'aime énormément ? Ce n'est même pas la peine d'essayer ! Je m'y suis quand même mise petit à petit. Il y a des choses que je compose sur la guitare. Et parfois, quand je marche dans la rue, si j'ai une mélodie dans la tête - ce qui m'arrive souvent - que je n'arrive pas à identifier tout de suite comme étant du Edu Lobo, du João Bosco, etc, j'en déduis que cette mélodie est la mienne ! Si elle me plaît, je rentre chez moi, je l'écris, je l'enregistre, ça va me prendre un quart d'heure. Après, je l'habille avec la guitare et le reste. J'aime composer les chansons de cette façon, à partir d'une mélodie qui s'impose à moi, sans que je l'aie demandé. D'une part, c'est plus fort, et d'autre part, c'est très facile de trouver les harmonies, car j'ai déjà la couleur des accords, le rythme, dans la tête.

- Votre passion vous a-t-elle vite menée au Brésil ?
- Verioca : En 1982, une semaine après ma médaille d'or en guitare classique, j'ai cassé ma tirelire et je suis partie au Brésil pour deux mois avec mon compagnon. Je me suis rendu compte qu'il fallait que je connaisse en profondeur le samba, le choro... Il me fallait savoir comment ces musiques se jouaient là-bas, connaître les musiciens qui jouaient sur les enregistrements... Je me suis débrouillée pour y prendre quelques cours, et j'ai continué depuis. Depuis 1982, je suis allée dix-sept fois au Brésil.


- Comment avez-vous appris le portugais ?
- Verioca : J'ai commencé sur le tard avec la méthode Assimil. Et aussi avec Roland Dyens : quand il nous enseignait comment jouer "Corcovado" à la guitare seule, il nous expliquait aussi les paroles. J'ai appris le portugais comme une mosaïque, une phrase par-ci, par-là, à l'oreille. Avant de pouvoir tenir une conversation, il faut un temps fou et comme je suis assez timide, j'ai mis très longtermps à oser parler portugais... J'achetais aussi les petites bandes dessinées de Zé Carioca pour enfants qu'on trouve là-bas. C'est des dialogues tout simples, mais c'est plus facile à sortir dans une conversation que "Um cantinho, um violão" (les premiers mots de "Corcovado", ndlr) ! Ça fait au moins dix ans que je pense à faire une chanson avec ces bribes de phrases...

- Aurélie, à votre tour de raconter votre histoire avec la musique brésilienne.
- Aurélie : Mon premier contact, c'était à 13 ans, du temps du collège, chez une amie née au Brésil. Elle écoutait Chico Buarque et Vinícius de Moraes sur sa platine vinyle. Mon premier disque brésilien à cette époque, ça a été "En la Fusa", ce concert que Vinícius a enregistré à Buenos Aires avec Maria Creuza - ou Maria Bethânia lors d'une autre édition - et Toquinho. Pour moi, c'est le disque fondateur. Par ailleurs, mon père jouait du piano jazz et avait le nez dans ses real books (recueils de partitions de standards de jazz, ndlr). On y trouvait des bossas traduites en anglais... J'ai eu assez vite envie de chanter tout ça. Puis il y a eu une rencontre décisive avec Eduardo Lopes (ndlr : musicien et pédagogue brésilien installé en France) à Crest, où plusieurs stages de chant sont organisés en août. À l'époque, je travaillais dans le cinéma où j'ai débuté comme productrice, puis scénariste. Ça 'est passé en pleine canicule de l'été 2003. Je faisais un stage de chant dans un autre domaine que la musique brésilienne. À chaque pause, j'allais écouter ce que faisaient les élèves du stage animé par Eduardo. Ça me faisait envie ! À la fin, je suis allée le voir pour lui dire que je souhaitais travailler avec lui. Il donnait aussi des stages à Paris, je m'y suis inscrite trois ans de suite. Entre-temps, j'avais commencé à chanter en amateur, j'ai monté un quartet de jazz, puis, plus tard, un quartet de musique brésilienne, Yemanja'zz. À partir de là, j'ai plongé dans cette musique au point où je n'avais plus envie de chanter en anglais, ni envie de faire autre chose.

Au premier plan, le rire d'Aurélie
 (Diana Gandra)

- Votre premier voyage au Brésil ?
- Aurélie : C'était en 2005. Comme je ne parlais pas portugais, après mon retour, j'ai suivi deux ans de cours à la Mairie de Paris. En 2007, alors que j'avais moins de travail en tant que scénariste, j'ai reçu un cadeau du ciel : les éditions Hachette m'ont demandé de réactualiser un guide sur le Brésil. Ils m'ont envoyé trois mois là-bas refaire tout l'itinéraire du Nordeste. C'était un énorme travail, je ne suis pas sûre que je le referais aujourd'hui ! Depuis 2005, je pars tous les ans au Brésil pendant un à trois mois. En 2009, on s'est retrouvé à Rio, avec Véro (Verioca, ndlr) et toute une bande dont les musiciens Thierry Peala et Laurence Saltiel, pour un stage avec Eduardo Lopes. À mon retour, j'ai dit adieu à mon dernier contrat de scénariste...

- À quand remontre votre première rencontre, Aurélie et Verioca ?
- Aurélie : À 2002. J'ai rencontré Véro à un stage Jazz et Brésil encadré par Isabelle Carpentier et Daniella Barda. J'avais complètement craqué pour sa musique et son premier album.
- Verioca : Et quand Eduardo Lopes, que je ne connaissais pas, est venu donner des stages à Paris trois ans de suite, Aurélie a organisé la deuxième et la troisième édition. Et elle m'a invitée à y participer en tant qu'accompagnatrice.

- Avez-vous commencé à travailler en duo dès cette époque ?
- Aurélie : Non, cinq ans plus tard. D'abord, Véro n'est pas très facile à apprivoiser ! Et moi, j'avais encore mon travail de scénariste. En 2007, on a eu envie de monter ensemble un répertoire de Guinga.
- Verioca : On l'a joué au Neuf (un club de jazz parisien qui n'existe plus aujourd'hui, ndlr).
- Aurélie : À ce moment, je n'envisageais toujours pas de devenir professionnelle. C'était juste pour le plaisir de jouer les morceaux de Guinga qui nous plaisaient et nous rassemblaient.


- À quel moment cette collaboration s'est-elle muée en projet professionnel ?
- Aurélie : Au moment où j'ai commencé à écrire des textes sur des musiques de Véro, fin 2009.
- Verioca : La première chanson en duo, "Inexorablement", a été écrite le 30 décembre 2009. [À Aurélie] Ensuite, tu m'as déposée à la gare et on s'est dit : "C'est super qu'on ait déjà pu faire ça ! Si ça s'arrête là, tant pis..." En fait, on avait très envie de continuer ce travail commun, même si à ce jour, la chanson "Inexorablement" n'a jamais été enregistrée. On l'a juste jouée au Forum Léo-Ferré d'Ivry lors d'un concert autour de la chanson française.

- En tout cas, cette journée vous a marquée...
- Verioca : Ah ben oui ! C'est très émouvant quand quelqu'un met des paroles sur votre musique... En plus, ce texte me concernait. C'était un texte pour moi, il racontait un peu mon enfance.
- Aurélie : Ce n'était pas un premier essai. J'avais déjà mis des paroles sur un morceau de Guinga, écrit une version française de "Tomara" de Vinícius... J'aimais tellement la musique de Véro que je lui proposais de m'envoyer des musiques depuis quelques années déjà. Finalement, elle l'a fait au bon moment et ça a marché. Et tout s'est enchaîné assez vite.
- Verioca : On a fait une dizaine de chansons coup sur coup.

- Il n'y avait plus qu'à en faire un disque...
- Aurélie : Les morceaux du premier album ont été écrits en trois ou quatre mois. On a pensé à enregistrer quand on a eu une quinzaine de chansons.
- Verioca : En voyant que ça allait aussi vite avec Aurélie, j'ai repêché un tas de morceaux que j'avais enregistrés sur un petit magnéto, juste du chant-guitare, et je les lui ai envoyés. Depuis des années, j'accumulais des thèmes, ou ébauches, enregistrés sur cassettes. Parfois, je les ressortais pour voir si ça me plaisait toujours. Si c'était le cas, je gardais le thème et je finalisais quelque chose. En 2010, j'avais déjà fait mes deux premiers CD. J'avais écrit les paroles en portugais et ça m'avait pris un temps fou. Avec Aurélie, on a dû travailler ensemble nos quatre premiers morceaux communs, et par la suite, j'ai pris l'habitude de lui envoyer des versions à la guitare avec mon chant en onomatopées. Elle arrivait à traduire mes onomatopées en paroles qui restaient proches du son initial !
- Aurélie : C'est des moments un peu étranges où vous ne savez pas trop pourquoi ça vient. Souvent, je me dis que je ne fais qu'extraire ce que la musique a envie de dire et le traduire en mots. Plein d'épisodes d'écriture ont été assez mystiques pour moi, même si ce terme va un peu loin. On tire le fil, on arrive au bout et on se dit : "Ah oui, c'est ça que j'ai dit." Et en général, quand le texte sort d'une traite, c'est qu'il est bien. Je ne suis pas du genre laborieuse. Quand ça vient, ça vient. Par contre, quand ça ne vient pas, on manque un peu d'outils !

- Y a-t-il débat sur le choix du portugais ou du français pour les textes ?
- Verioca : Non. Aurélie le sent et me le dit tout de suite : "Ah, je t'avertis, ce morceau-là, ce sera du portugais, et celui-là, du français !" (elle rit)
- Aurélie : Oui, jusqu'à présent, ça s'est passé comme ça. Il y a un rythme dans les deux langues, une question d'accents, qui détermine les choses. Bien sûr, je le décrète avec une certaine forme d'aplomb, mais il n'est pas impossible que six mois plus tard, je ne choisirais pas une autre langue...


- Comment votre travail est-il perçu au Brésil ? Pour avoir lu certains articles, ils semblent avoir été touchés !
- Aurélie : Oui. Un journal a écrit à notre sujet : "Ce n'est pas deux étrangères de plus qui font de la musique brésilienne." Ils ont su voir, dans la musique de Véro, quelque chose qui était authentique et qui n'appartenait qu'à elle, qu'à nous. C'est aussi un compliment que nous a fait Eduardo Lopes : tout d'un coup, il y a un ingrédient de plus dans la MPB.
- Verioca : Le journal O Globo avait mis en titre : "A música brasileira de duas francesas" (la musique brésilienne de deux Françaises), c'était énorme !
- Aurélie : On a eu un accueil incroyable là-bas. Ici, ça vient petit à petit, mais c'est beaucoup plus difficile [elle réfléchit avant de finir sa phrase] d'aller au-delà de la méfiance des gens qui se demandent : "Qu'est-ce qu'elles ont de plus ?" Heureusement, on a les soutiens de gens qui aiment déjà fondamentalement cette musique et qui sont, comme nous, tombés dedans et comprennent. C'est plus compliqué pour des programmateurs qui ont envie de musiques qui viennent de là-bas...
- Verioca : Ils veulent plutôt connaître la nouvelle coqueluche brésilienne, et pas les Françaises qui font de la musique brésilienne...

- Vos compositions sont très riches, puisant dans divers genres musicaux du Brésil, et pas seulement. Y a-t-il une intention consciente de diversifier votre répertoire ?
- Verioca : Avant de commencer à composer, quand je travaillais sur les répertoires de mes différents groupes, j'avais toujours à cœur de mélanger les styles qui me plaisaient : bossa très sophistiquée, samba, baião... J'observais que les publics étaient assez cloisonnés : les gens de samba ne venaient pas pour la bossa, et inversement, les capoeiristes ne viendront jamais écouter du Guinga... Aujourd'hui encore, je fais partie de plusieurs formations. Parfois, je ne fais que des percussions et je vois le profil du public, parfois je ne fais que du vocal... Dans les compositions, je prends ce qui vient au niveau de l'inspiration, mais c'est vrai que l'une et l'autre, nous tenons à varier les styles. Et ce, d'autant plus que nous sommes limitées au niveau de l'orchestration, car avec juste deux voix, une guitare et des percussions, on ne peut pas élargir la palette des sons. Pour l'instant, je ne veux pas utiliser d'effets. Notre moyen de changer les sons, c'est de changer radicalement de style. À la guitare, on n'accompagne pas un choro de la même façon qu'un baião. Et j'ai aussi développé un peu de contrepoint par-ci, par-là.
- Aurélie : C'est la matière première qui prime, pas ce qu'on va mettre autour... Verioca possède un jeu à la guitare qui est riche, orchestral. L'acoustique, ça reste notre choix jusqu'à aujourd'hui.

Aurélie et Verioca en concert
Dimanche 30 octobre 2016 à Paris, 17h, à la Péniche Anako
Lundi 14 novembre à Digne-les-Bains
Jeudi 17 novembre à Thiais (94), dans le cadre du festival de Bossa Nova
Mardi 22 novembre à Bourg-Achard
Mardi 29 novembre à Paris, 19h30, au Sunset (double concert partagé avec Paula Santoro et Daniel Marques à 21h30)
Samedi 10 décembre à Gray, 19H, dans le cadre du festival Voix-là
> Et d'autres dates en 2017 dans l'agenda-concert d'Aurélie et Verioca

Trois questions : Passion Brésil

- Quelques mots pour expliquer votre passion pour la musique brésilienne ?
- Verioca : C'est d'abord lié au répertoire de cette musique. En guitare classique, il y beaucoup de répertoire pour guitare seule mais assez peu pour musique d'ensemble. Et en musique de chambre, c'est très pauvre, on se retrouve avec un violoncelle, un violon, et la partie écrite pour la guitare est très difficile à jouer, elle ne sonne pas... Alors que le choro, c'est comme une musique de chambre tropicale ! Il y a beaucoup d'œuvres pour ensemble et c'est un bonheur de faire de la musique collective. C'est de la musique vivante, avec l'embarras du choix au niveau des pièces à jouer et des styles, et il y a des compositeurs géniaux qui n'arrêtent pas d'écrire. Le choro, c'est le premier style brésilien qui ait été reconnu vers 1870. Il est encore joué aujourd'hui. La bossa remonte aux années 60, le samba à 1910... Et je n'ai pas fini de découvrir des choses !

Les mélodies sont belles, les harmonies merveilleuses, les rythmes très riches. Ça m'apporte beaucoup de joie, tout simplement. Je pense à des sambas ou à des ballades d'Edu Lobo ou de Jobim dans lesquelles on trouve une espèce de joie contenue... Si parfois j'oublie d'en écouter, je ne suis pas bien, c'est étrange, il y a quelque chose qui me manque... Quand j'écoute des musiques brésiliennes, je me dis : "Mais qu'est-ce que c'est bien ! C'est beau !" Et quand je commence à comprendre les paroles, je me dis : "Mais ces textes sont super !" Pendant un an, je m'étais plongée dans le tango argentin, à la guitare, ça m'intéressait depuis longtemps, j'adore Astor Piazzolla. J'ai dû m'arrêter parce que la musique, même sans les paroles, me minait, elle me faisait chuter le moral, elle m'attaquait physiquement... En trente ans, la musique brésilienne ne m'a jamais fait cet effet ! Ou alors si, elle m'attaque physiquement, mais dans le bon sens !
 


- Aurélie : C'est difficile de faire comprendre ce qu'on ressent à des gens qui, d'abord, pensent que la musique brésilienne, c'est soit le samba du carnaval, soit la bossa nova... soit la lambada... Il faudrait parler des musiques brésiliennes. C'est une musique qui contient toute la diversité de notre humanité, dans ce qu'elle a de terrible, de difficile, de violent, de triste, de rageur, et ce qu'elle a de plus vital, d'enthousiaste, plein d'espérance. Et quand je parle de "musique", je parle de la musique et des paroles, c'est essentiel pour moi. Vous pouvez y puiser des émotions que vous avez pu vivre ou espéré vivre, ou que vous vivrez un jour. C'est une musique qui peut vous inspirer des remèdes à la mélancolie ou à la saudade, une musique qui m'aide tous les jours, elle vous aide à pleurer, à rire, à aimer, à quitter, à comprendre ce qui se passe en vous quand tout d'un coup, vous êtes en proie à une émotion que vous n'arrivez pas à définir. Une mélodie arrive et si vous cherchez à savoir ce que racontent les paroles, inconsciemment, vous êtes allé la chercher parce qu'elle vous apportait un embryon de réponse. Aucune autre musique n'a pu m'apporter quelque chose d'aussi plein, riche, divers.

Votre plus belle rencontre au Brésil ?
- [En chœur] Gismonti !
- Aurélie : Ça a été énorme ! Énorme ! On a mis des semaines à s'en remettre !
- Verioca : C'était le 1er mai 2014.
- Aurélie : C'était au moment où on a enregistré "Lôro", sur une musique de Gismonti, pour le deuxième album. Je l'avais contacté par mail pour lui expliquer notre projet, il n'avait pas répondu, je l'avais relancé. Finalement, il a accepté de nous recevoir chez lui, à Rio, près du Jardin botanique.
- Verioca : On travaille en autoproduction, on n'a pas d'intermédiaire. On est obligées d'aller rencontrer nous-mêmes les personnes.
- Aurélie : Nous sommes allées le voir. On lui a dit : "On a écrit quelque chose, on voudrait l'enregistrer, est-ce que vous pouvez nous dire ce que vous en pensez ?" On pensait qu'on ne resterait pas plus d'une demi-heure...
- Verioca : On est arrivées en fin de matinée, vers 10H... Et on est finalement reparties à 17H, parce qu'on avait été invitées à rester pour une fête...
- Aurélie : Il nous a gardées avec une générosité, une simplicité... Avec cette capacité d'un homme d'une très grande intelligence de ne pas vous faire sentir que vous n'êtes pas du tout à la hauteur ! (elle rit) Au contraire, il vous tire vers le haut !
- Verioca : Il a corrigé la version que j'avais enregistrée, au niveau de la partie guitare, parce qu'il y avait une erreur d'harmonie. Il était très curieux de ce qu'on faisait.
- Aurélie : Il s'était renseigné à notre sujet sur internet. Il nous a donné des conseils, il nous a dit : "Produisez-vous toutes les deux, ne prenez pas d'autres gens avec vous." Il parle très bien français...
- Verioca : Il était ravi de parler français et de discuter aussi de ce qu'il aimait chez les femmes françaises qu'il avait rencontrées.
- Aurélie : À ses débuts, il a fait des tournées avec Marie Laforêt...
- Verioca : Ce qu'il aime chez les femmes françaises, c'est leur côté libre. Il a la saudade de leurs personnalités très singulières à ses yeux.
 


Vos derniers coups de cœur musicaux venus de là-bas ?
- Verioca : le groupe vocal Ordinárius pour la qualité de l'ensemble. Côté compositeurs, Alfredo Del-Penho.

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