Bratsch en toute liberté
Si le groupe Bratsch ne s'est trouvé un nom qu'en 1973, il existait déjà deux ans plus tôt, à la suite d'une rencontre estivale à Saint-Georges-de-Didonne, près de Royan, en Charente-Maritime. Son répertoire ? Un métissage de musiques aux influences puisant du côté de l'Europe centrale, de l'Arménie, de la Grèce, de France et d'ailleurs, entre chanson, titres instrumentaux et jazz. Son secret ? Un fonctionnement collectif, sans leader, où la concertation est reine.
Au fil des ans, si certains membres fondateurs sont partis, le groupe existe toujours, aguerri par plus de 2000 concerts, 30 pays visités, et riche d'une discographie avoisinnant les vingt albums, soit quelque 250 morceaux enregistrés. Aujourd'hui, Bratsch réunit deux "historiques", Dan Gharibian (guitare), Bruno Girard (violon), deux recrues de 1985, Nano Peylet (clarinette, la touche jazz et klezmer du groupe), François Castiello (accordéon, la touche musette), et le cadet de la troupe, Théo Girard (contrebasse), le fils de Bruno.
Bratsch : flashbacks d'avant scène
Vendredi 31 janvier 2014. À quatre jours de la première à L'Européen, petite conversation avec Dan Gharibian, guitariste et cofondateur de Bratsch, et Nano Peylet, clarinettiste et jazzman qui a rejoint le groupe en 1985. Deux hommes simples, décontractés et malicieux, aux antipodes du star system.
- Culturebox : Si vous deviez résumer l’état d’esprit de Bratsch ?
- Nano Peylet : Il y a la confiance, aussi. On a confiance les uns dans les autres, c'est très important. Sur scène, on ne craint rien.
- Quelques mots pour résumer la musique du groupe ?
- Nano : Une musique contrastée, à la fois légère et profonde, complexe et simple, joyeuse et nostalgique. Une musique dans laquelle des inverses s’attirent. Il y a des compos et des reprises, ça forme un conglomérat. C’est très particulier. Je ne connais pas tellement d’autres groupes qui produisent une musique comme celle-là. Les gens nous disent qu'on fait quelque chose d'unique. On est content quand ils nous disent ça.
- Comment vous êtes-vous rencontrés ?
- Dan : Quand j’ai rencontré Bruno, Alex et Bernard Davois en 1971, on avait tous la vingtaine. Ils jouaient déjà dans un groupe. Ils étaient partis faire la manche l’été, à Saint-Georges-de-Didonne. Moi, j’étais parti faire la manche avec un copain guitariste. On avait vu une boîte de nuit qui ne tournait pas trop. On s’est improvisés animateurs, moi je suis devenu videur. Bruno et les autres jouaient, on a sympathisé. On s’est retrouvés à Paris. On jouait tout et n’importe quoi. On ne pensait qu’à jouer. Le groupe existe depuis cette date, même si ça ne s’appelait pas Bratsch alors. Plus tard, alors qu'on devait jouer à un festival à Tabarka, en Tunisie, on a dû chercher un nom. Bratsch, c’est le nom allemand du violon alto, et par extension le contretemps chez les Tziganes.
- Le mélange d'influences qui caractérise le groupe, l’avez-vous mûrement réfléchi ou est-ce venu naturellement ?
- Le concept de world music n’existait pas encore...
- Dan : Non, à cette époque, en France, la musique folk était à la mode. On nous disait que c’était ringard de faire de la musique d’Europe centrale. Le concept de world music n’existait pas, mais nous, on en faisait ! On était précurseurs. Et d’autres gens en faisaient aussi. Les Tziganes, par exemple, mélangent tout. Si vous leur demandez un morceau grec, ou russe, ceux qui sont en France et fréquentent les cabarets vous le jouent !
- Et vous, Nano, dans quelles conditions êtes-vous arrivé dans le groupe, en 1985 ?
- Nano : Je faisais du free jazz. J’avais envie de mélanger jazz et musique traditionnelle. Dans le groupe où je jouais il y a 35 ans, Arcane V, on jouait des morceaux traditionnels. Je jouais de la flûte à bec. Un jour, Bruno Girard est venu jouer dans un big band où je jouais aussi. Puis il a participé à un spectacle d’Arcane V. On a discuté, il m’a proposé de rejoindre Bratsch. À l’époque, je ne les avais pas vus sur scène, mais sur des affiches. J’étais impressionné par cette bande de barbus ! Je suis rentré dans le groupe, la démarche m’a bien plu, il y avait à la fois des chansons, des instrumentaux, de l’improvisation… J’avais beaucoup de choses à apprendre dans beaucoup de musiques. - Est-ce que vous avez connu des moments de doute ?
- Si je vous demande quelques grands moments relatifs à Bratsch, qu’est-ce qui vous revient en mémoire en premier ?
- Nano : Dans le midi, il y a des jeunes musiciens qui s'inspirent de Bratsch. Quand ils font des arrangements spéciaux sur des morceaux à leur façon, ils appellent ça "faire du Bratsch". C’est passé dans le langage ! - Y a-t-il des rencontres, des voyages qui vous aient marqués ?
- Dan : On a rencontré plein de musiciens, puis d'autres gens intéressants, des tourneurs, comme Berthold Seliger. Il a cru en nous, on a cru en lui, il s’est passé quelque chose avec lui. Tous les ans, on joue en Allemagne. Je me souviens aussi du chanteur Vladimir Vyssotski. En Russie, il était très connu malgré le fait qu'il ait dû chanter dans la clandestinité. Puis il y a eu des voyages. La première fois qu’on est allé à Moscou, à Los Angeles…
- Nano : On a rencontré le danseur étoile Cyril Atanassoff au festival de poésie de Langeac, en Auvergne. Après un concert, on a discuté toute la nuit ensemble. On a aussi rencontré des musiciens qu’on écoutait depuis très longtemps, comme le chanteur Šaban Bajramović. Pour nous, c’est des mythes ! Le musicien klezmer Giora Feidman m’avait aussi fait rêver. Un jour, on s'est retrouvé dans une émission de radio, on a pris une photo avec lui !
- Êtes-vous déjà allé en Arménie, Dan ?
- Nano : Je me rappelle d'un autre temps fort, le festival de jazz de Montréal, en 1994. On a joué devant 80.000 personnes et on se sentait tout petits… On était sur une scène à 20 mètres de haut, il y avait des écrans géants, des grandes scènes installées partout, le centre-ville était fermé à la circulation. On était dans la rue Sainte-Catherine, une grande avenue. Notre sonorisateur nous a dit : "Quand j’ai appuyé sur le bouton de mise en marche, j’avais le trac !"
- Dan : Je ne m'en rappelle plus... J'ai écouté tellement de musique dans ma vie... Un jour, ma fille (Macha Gharibian, ndlr), encore adolescente, m’a dit à propos de notre musique : "Ce n’est pas ce que les gens veulent." Je lui ai répondu : "Il ne faut pas donner aux gens ce qu’ils veulent ! Il faut leur donner ce que toi, tu veux. Si tu leur donnes ce qu’ils veulent, tu vas leur donner tout le temps la même chose, tu ne leur feras rien découvrir, et toi, tu ne vas rien créer." Du coup, aujourd’hui, elle fait sa propre musique. À chaque fois qu’on fait un nouveau disque, les gens disent : "C’était mieux avant…" Forcément, on évolue et les choses nouvelles choquent les gens. Alors il faut attendre deux ans pour que les gens disent : "Ah oui, il était bien, votre dernier disque !" À un moment, on a commencé à chanter en français. Certains ont dit : "Mais pourquoi vous chantez en français ?" On a perdu un peu de public, mais on a gagné un autre public... Puis ceux qu’on avait perdus sont revenus...
(Propos recueillis par A.Y.)
Bratsch en concert à Paris, à L'Européen
Du mardi 4 février au dimanche 9 février 2014
Informations ici
"Il y a une dizaine d’années, une première compilation, Nomades en vol, est sortie sur le label Network. Un producteur allemand a choisi des morceaux surtout traditionnels. On n’a pas voulu reprendre ces morceaux pour le coffret, à une ou deux exceptions près. On a pris beaucoup de compositions originales. Chacun a choisi des morceaux, on a sélectionné en priorité les titres les plus cités par les membres du groupe. S’il restait de la place, on a discuté pour les autres morceaux à intégrer. On a pris 4 titres de trois vinyles qui ne sont pas édités en CD.
Pour le livret, on a demandé à tous les gens qui avaient participé à l’aventure de Bratsch d’écrire quelque chose. L’anthologie regroupe des témoignages qui montrent que rien n’a changé, que le groupe était déjà comme ça au départ."
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