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Interview Salif Keita, un dernier album et une tournée pour l'"Autre Blanc"

Après un demi-siècle de carrière, le chanteur malien Salif Keita, légende de la musique africaine, est de retour en France pour une série de concerts à partir du mois d'avril, dont une date au festival Banlieues Bleues. L'occasion de présenter son album "Un Autre Blanc", sorti à l’automne 2018 et dont il assure qu'il sera le dernier de sa carrière, et de partager quelques souvenirs… Rencontre.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8 min
Salif Keita
 (Thomas Dorn)

Sorti le 26 octobre 2018 chez Naïve, le dernier album de Salif Keita porte un titre éminemment autobiographique. Cet "Autre Blanc", c’est lui-même. "Je suis un Black avec du sang noir bien que j’aie la peau blanche", dit-il. Pour ce disque dense et foisonnant, si spécial, qui marque aussi cinquante ans de carrière, il s’est entouré de plusieurs invités parmi lesquels Angélique Kidjo et Alpha Blondy.

L’album comporte des chansons autobiographiques comme "Itarafo" (en hommage à sa mère), "Lerou Lerou" (écrite pour un ami en Guinée, en hommage à ceux qui l’ont soutenu dans sa vie) et d'autres, engagées, comme le titre d'ouverture "Were Were" (écrit pour "encourager, remercier les gens qui font du bien" en Afrique) ou "Syrie" qui dénonce la guerre.

Salif Keita se produit dans diverses villes de France en avril et en juin, notamment le 16 avril au festival Banlieues Bleues qui démarre ce vendredi.

Culturebox : L’album "Un Autre Blanc" est-il vraiment le dernier ?
- Salif Keita : Oui. Ce n'est plus la mode de faire des albums. Rares sont ceux qui en font aujourd'hui. Tout le monde fait des singles, des morceaux isolés. De toute façon, quand vous faites un album, les gens ne prennent pas tout. Ils choisissent que ce qui leur plaît, téléchargent seulement certains morceaux. Faire un album, chercher des mélodies, des rythmes, écrire les textes, ça prend du temps. Après, il faut courir pour faire des tournées, attraper des avions, des bus, des trains, tout cela est fatigant à mon âge, j'ai bientôt 70 ans... Mais je donnerai des concerts ponctuellement et je ferai des collaborations avec d'autres musiciens.

Quand vous avez commencé l'écriture du disque, aviez-vous un thème, un fil conducteur en tête ?
- Le fil conducteur, c'était de me dire : "Comme il s'agit du dernier album, je ne serai pas seul à le faire." J'ai imaginé des featuring [ndlr : des morceaux avec des invités] avec pas mal de gens. J'ai décidé de ne pas prendre de producteur et que ce serait nous, les artistes, qui produirions l'album, avec Paco Sery [batteur], Hervé Samb [guitariste], Alune Wade [bassiste], Djelimady Tounkara [guitariste]... C'est un bon moyen de dire au revoir. Je voulais faire ce disque de manière collective, avec des amis, des grands musiciens africains. Je n’ai pas trahi la musique de Salif Keita, ni l'esprit des groupes avec lesquels j'ai joué par le passé. J’y tenais.

Vous fêtez aussi vos cinquante ans de carrière. Si vous deviez retenir des grands souvenirs, quels seraient-ils ?
- Par exemple, quand les musiciens se sont rassemblés pour venir au secours de l'Éthiopie au moment de la famine dans ce pays [en 1984-85]. Nous avons enregistré "Tam tam pour l'Éthiopie" avec Manu Dibango, Youssou N'Dour, Toure Kounda, beaucoup de groupes africains, et ça a marché. Je me souviens aussi des débuts de Solidays, ainsi que du concert pour la libération de Mandela en 1988 à Wembley devant 72.000 spectateurs. Ensuite, Mandela a été libéré. Ça fait partie des fiertés de la musique africaine et de mes très bons souvenirs.

Je crois savoir que votre notoriété en tant qu'artiste international vous a préservé de certaines difficultés liées à votre condition d’albinos...
- Tout à fait. Au début, j'ai été protégé par mes parents. Mon père a toujours lutté pour que je ne cultive pas [ndlr : dans les champs] afin que je ne sois pas exposé au soleil, ce qui m'aurait fait courir le risque d'attraper un cancer de la peau. En dehors de ça, j'ai traversé des moments très difficiles avec les autres enfants, à l'école... Ils ne comprenaient pas que l'on puisse être blanc de peau avec un père et une mère de couleur noire. Pour eux, cela s'expliquait soit par un maléfice dû à un sorcier, soit par le fait que j'étais doté d'une puissance surnaturelle, donc je faisais peur.

- Votre mère vous a beaucoup protégé... Vous lui rendez hommage dans la chanson "Itarafo"…
- Oui. Quand vous êtes albinos, on dit toutes sortes de choses à votre maman : "Débarrasse-toi de cet enfant..." Il y a des mauvaises croyances, des mauvais croyants qui ont toujours des histoires à raconter et qui nous rendent la vie difficile. Mais elle a tenu, elle a résisté à ces pressions. Je crois que j'ai eu une maman vraiment courageuse qui m'a aimé inconditionnellement.
Salif Keita
 (Thomas Dorn)
Plus tard, vous avez voulu devenir enseignant, mais votre condition vous en a empêché...
- J'ai fait une école pour devenir enseignant. À la fin de l'année scolaire, mes professeurs, qui étaient français, sont allés voir les médecins scolaires. On leur a dit : "Monsieur Keita ne peut pas travailler dans l'enseignement parce qu'il fait peur aux enfants." On m'a refusé. C'est très dur. Je voyais mes collègues de promotion sortir de l'école en tant qu'enseignants alors que moi, j'étais au chômage. Mes professeurs se sont cotisés pour me payer des lunettes avec verres correcteurs teintés et sont revenus voir le médecin scolaire. Sans succès. Ils ont insisté : "Vous ne pouvez pas le faire travailler, même comme un planton ? Comment il va vivre ?" En vain. Ces professeurs qui m’ont soutenu, je m'en souviendrai toujours, il y avait Alfred Garçon, Madame Cherdan, Madame Diallo.

D'où est venue l'idée de faire de la musique, sachant qu’étant issu d’une lignée princière, cette activité vous était interdite au regard de la tradition de votre pays ?
- Je n'avais pas le choix. Je me suis retrouvé avec une guitare, je connaissais quelques morceaux. J'ai commencé à jouer de bar en bar, les gens glissaient de l'argent dans les trous de la guitare, j'en vivais. Un jour, le fondateur du Rail Band [ndlr : orchestre malien créé en 1970] m'a vu dans un bar. Il m'a dit : "On m'a demandé de créer un orchestre pour les chemins de fer, je voudrais que tu viennes avec moi." J'ai d’abord refusé parce que c'était honteux pour moi. Si mon père l'apprenait, je savais qu'il s'y opposerait. Au bout de quelques mois, j'ai finalement accepté. Puis j'ai quitté le Rail Band et j'ai rejoint le groupe des Ambassadeurs.

- Votre famille a mal réagi...
- Oh oui, ils n'ont pas aimé ça ! C'était un autre problème à résoudre... Puis, quand ils ont vu des gens m'applaudir et des journalistes venir faire des reportages sur moi, ils ont commencé à accepter la situation tout en me disant : "Nous souhaitons que tu puisses vivre de quelque chose d'autre qui ne soit pas la musique."

Qu'est-ce que la musique vous aura apporté de plus important ?
- La popularité. Le moyen de m'exprimer, de communiquer… et de dire aux gens que j'ai mal à la tête ou que j'ai des problèmes ! [Il rit] C'est vrai. Et le moyen d'aider les autres. Ça, c'est réconfortant et ça me donne envie de vivre.
- Maintenant que vous ralentissez votre activité musicale, quels sont vos projets, vos envies ?
- Je prendrai beaucoup plus de temps pour me reposer, afin d'avoir du recul par rapport à tout ça. J'ai acheté des terres dans mon pays. J'ai vraiment envie de m'occuper d'agriculture ou de quelque chose qui soit lié à la nature. Je ne vais pas arrêter de travailler pour la fondation pour les albinos [qu'il a fondée en 2005]. Je pense qu'ils ont besoin de moi. Je n'ai pas besoin de faire des tournées ou des albums pour les aider.

Comment la situation des albinos évolue-t-elle en Afrique ?
- Il y a une amélioration. Avant, il y avait beaucoup plus de violence à leur égard, et elle ne se cachait pas. Il y a eu un changement en Afrique de l'Ouest quand l’Onu a fait du 13 juin la Journée de l'albinisme. Ça nous a donné un gros coup de pouce. Mais aujourd'hui encore, à chaque élection par exemple, des albinos sont tués. Les gens pensent que les albinos ont une puissance, et pour se l'accaparer, il faut les sacrifier. Vous pouvez dire : "J'ai besoin d'un cœur d'albinos, ou d'un foie, ou d'une tête d'albinos..." Quelqu'un fera tout pour vous l'apporter. Une petite fille de 5 ans, Ramata Diarra, a été sacrifiée à Fana [durant la présidentielle 2018 au Mali].

Dans une interview, vous déploriez le manque d'aide de la part du gouvernement...
- C'est eux, les pyromanes. C'est eux qui font ça.

Vous avez été élu local il y a quelques années. Avez-vous réfléchi à l'idée de revenir en politique pour essayer de faire avancer les choses ?
- Oui. La société a besoin de gens francs et de gens qui ne mentent pas quand ils disent qu'ils aiment le peuple. De plus en plus, on a des gens corrompus, hypocrites, qui viennent en politique pour s'enrichir illicitement. Le peuple ne sait plus où donner de la tête. Ce n'est pas facile, mais je crois que quand on a besoin de vous, il faut faire signe.

Salif Keita en concert en France
Samedi 13 Avril 2019 : Orléans, festival Jazz or Jazz, 20H
Mardi 16 Avril 2019 : Gonesse, festival Banlieues Bleues, 20H30
Vendredi 26 Avril : Biarritz, festival Les Beaux Jours, 20H30
Dimanche 23 Juin : Moissac, Festival des Voix
Jeudi 27 Juin : Blainville, festival Archéo Jazz

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