La reine de la samba Elza Soares, en tournée mondiale, chantera "jusqu'au bout"
C'était en 1953, à Rio. Elza Soares, adolescente maigrelette, mal fagotée dans des habits trop grands pour elle, entra dans le studio de la radio Tupi pour chanter dans une émission populaire, moyennant une rétribution symbolique qu'elle comptait utiliser pour acheter des médicaments pour son bébé.
"Je viens de la planĂšte Faim"
"Et toi, de quelle planĂšte viens-tu ?" lui demanda l'animateur, le compositeur Ary Barroso, en se moquant de sa tenue. "De la mĂȘme que toi", rĂ©pondit Soares. "C'est-Ă -dire ?" insista Barroso, sans savoir que la rĂ©ponse allait entrer dans les annales de la musique populaire brĂ©silienne. "De la planĂšte Faim", rĂ©pondit la jeune fille.Â
Quelques minutes plus tard, sidéré par la voix qui émanait de cette jeune fille des favelas, l'animateur décrétait la naissance d'une nouvelle étoile.
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"Je n'oublierai jamais cet échange", explique la chanteuse, mélange d'Aretha Franklin et de Tina Turner, aujourd'hui ùgée de 79 ans, dans un entretien téléphonique depuis Rio avant son spectacle au Town Hall de New York vendredi intitulé "A Mulher du fim do mundo" ("La femme de la fin du monde")
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Le concert, premier d'une tournĂ©e mondiale, s'appuie sur son dernier album, vainqueur d'un Grammy latino en 2016, une espĂšce de samba futuriste mĂȘlant Ă©lectronique, art-rock et bossanova. "Je veux chanter jusqu'Ă la fin", dit-elle dans le titre Ă©ponyme de l'album.
Sacrée chanteuse brésilienne du millénaire par la BBC
Pour revenir Ă son Ă©change avec Ary Barroso, "je n'Ă©tais pas fĂąchĂ©e, juste un peu triste", dit-elle. "J'Ă©tais une enfant pauvre, mal habillĂ©e. Simplement je chantais bien", se rappelle la chanteuse, dont la voix caverneuse, cassĂ©e, envoĂ»te depuis le BrĂ©sil des millions de fans dans le monde entier : la BBC l'a sacrĂ©e en 1999 "chanteuse brĂ©silienne du millĂ©naire".Â
AprÚs plusieurs opérations de la colonne vertébrale, Soares ne chante plus qu'assise, mais déborde toujours d'énergie. AprÚs New York, elle a prévu de se produire d'ici fin juillet à Barcelone, Porto, Rotterdam et Roskilde, au Danemark.
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La vie lui a rarement été tendre, faisant d'elle un symbole de courage et de résistance. A 12 ans, son pÚre l'oblige à se marier, et elle aura un premier fils dÚs 13 ans. Suivront six autres, mais les deux premiers, nés prématurés et sous-alimentés, mourront trÚs jeunes. Elza Soares a reconnu avoir dû voler pour nourrir ses enfants. A 21 ans, elle était veuve.
Le footballeur Garrincha, son "plus grand amour"
Vint ensuite sa rencontre avec Garrincha, l'un des meilleurs joueurs de l'histoire du football brĂ©silien. Bien qu'ils aient eu une relation orageuse, parfois violente, Garrincha "fut mon plus grand amour", confie Soares. Son meilleur souvenir de lui ? "Le voir jouer au football. Pour moi il Ă©tait le meilleur joueur brĂ©silien, le meilleur", dit-elle.Â
Ils furent mariés 17 ans, mais Garrincha, un des héros du Brésil de Pelé qui remporta la Coupe du Monde en 1958 et 1962, était alcoolique et mourut d'une cirrhose à 49 ans.
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Avec Garrincha, Soares adopta une fille et eut un fils. Surnommé "Garrinchinha", il mourut à neuf ans d'un accident de la route, alors qu'il se rendait sur la tombe de son pÚre.
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Malgré tous ces coups du sort, la chanteuse, qui aime le maquillage marqué, les tenues de cuir, les perruques immenses et les talons vertigineux, ne s'est jamais plainte. "Oui, la vie a été dure avec moi, mais je vois beaucoup de gens qui ont la vie dure. Je crois que la vie est dure pour tout le monde", nuance-t-elle.
Contre le racisme, le machisme, les violences conjugales et l'homophobie
Pendant la Coupe du monde 1962, au Chili, Elza Soares fit "une rencontre mer-vei-lleuse", celle du trompettiste et chanteur de jazz amĂ©ricain Louis Armstrong. "J'Ă©tais encore trĂšs jeune, il m'a proposĂ© de m'emmener chanter aux Etats-Unis. Je lui ai dit que je ne pouvais pas car j'avais des enfants, et il ne m'a pas cru, j'Ă©tais si jeune", raconte-t-elle.Â
La légende veut qu'Armstrong, impressionné par sa voix, ait dit un jour qu'elle avait "un saxophone dans la gorge".
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Avec sa musique, Elza Soares a toujours lutté contre le racisme, le machisme, les violences conjugales et l'homophobie. Aujourd'hui, elle dénonce aussi la situation politique et économique "chaotique" de son pays. Que l'actuel gouvernement du président brésilien Michel Temer soit entiÚrement blanc et masculin est "horrible", dit notamment Soares, qui a défendu jusqu'au bout la présidente de gauche Dilma Rousseff, destituée l'an dernier.
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Quant Ă sa propre carriĂšre, malgrĂ© son Ăąge, Soares n'est pas prĂȘte Ă y mettre fin. "Je veux chanter jusqu'Ă la fin", rĂ©pĂšte-t-elle. "Chanter est ce qui me plaĂźt le plus au monde."
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