"On communique le moins possible" : comment les salles qui accueillent Bertrand Cantat font face à la pression
Après l'annulation de la tournée d'été de l'ancien chanteur de Noir Désir, des directeurs de salles expliquent pourquoi ils ont décidé d'annuler, ou au contraire de maintenir, les concerts de Bertrand Cantat, condamné pour le meurtre de Marie Trintignant en 2003.
"A quatre jours [de l'événement], ça fait ch..." Au bout du fil, Jean-Marc Pailhole est amer. Le directeur artistique de L'Usine à Istres (Bouches-du-Rhône) a appris, lundi 12 mars, que le concert de Bertrand Cantat, prévu vendredi, était annulé. Décision du conseil d'administration, composé essentiellement de responsables politiques locaux. "Le concert était programmé depuis novembre, pourquoi l'annuler si tard ? s'interroge Jean-Marc Pailhole, persuadé que "les élus ont cédé face à l'ambiance actuelle" : "Il y a un public qui réclame Bertrand Cantat, c'est dommage de l'en priver." Un millier de personnes avaient prévu de venir applaudir l'ancien chanteur de Noir Desir ce soir-là. Elles seront remboursées, et la salle restera fermée.
Quelques heures plus tôt, c'est Bertrand Cantat lui-même qui annonçait renoncer à une dizaine de concerts programmés cet été dans le cadre de festivals. Dans un communiqué, il explique vouloir "mettre fin à toutes les polémiques" et "faire cesser les pressions sur les organisateurs". Il maintient en revanche toutes les dates de sa propre tournée entamée le 1er mars à La Rochelle. Il donnera ses dernières représentations à l'Olympia, à Paris, les 29 et 30 mai.
Pétition et pression des mécènes
Le chanteur, condamné à huit ans de prison pour avoir tué sa compagne Marie Trintignant en 2003, est depuis plusieurs semaines la cible de protestations grandissantes de plusieurs collectifs, notamment féministes, qui réclament l'annulation de ses concerts. Plus de 75 000 personnes ont ainsi signé une pétition en ligne pour demander l'annulation de sa venue en mai au festival Papillons de nuit, dans la Manche. "En mettant en lumière Bertrand Cantat, vous banalisez les violences faites aux femmes et vous les cautionnez", peut-on lire dans le texte qui accompagne la pétition.
Elles ont obtenu gain de cause lundi. Dans l'émission "Stupéfiant !" diffusée le soir même sur France 2, le directeur du festival et sa directrice de communication défendaient pourtant l'invitation. "L'association est un diffuseur culturel et n'a pas d'autre vocation que ça, expliquait Muriel Jacquemin. On n'a pas vocation à juger quelqu'un qui a déjà été jugé et condamné."
Que des gens soient sensibles à la venue de cet artiste, je peux le comprendre... Mais de là à nous accuser de promouvoir la violence contre les femmes, c'est beaucoup plus dur à avaler.
Patrice Hamelin, directeur du festival Papillons de nuitdans "Stupéfiant !" sur France 2
Le 7 mars, les organisateurs de l'Ardèche Aluna Festival avaient eux aussi annulé la venue du chanteur, prévue en juin. Selon nos informations, la pression des mécènes était devenue trop forte. Le festival Les Escales de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) avait, lui, jeté l'éponge dès le mois de janvier.
"Aucun commentaire"
A vrai dire, rares sont les programmateurs qui ont accueilli favorablement les demandes d'interview de franceinfo. Au Rétro C Trop, dans la Somme, où l'artiste devait se produire fin juillet, on ne fait "aucun commentaire". Au Silo, à Marseille, on nous renvoie directement vers l'entourage de l'artiste. Au Rockhal, à Luxembourg, où Bertrand Cantat se produira le 23 avril, l'attaché de presse n'a trouvé "personne de disponible" pour répondre à nos questions. Ni aujourd'hui, ni demain, ni après-demain. Quant aux Docks de Lausanne (Suisse), où le chanteur viendra les 19 et 20 avril, ils se contentent d'un court communiqué.
En programmant, nous adoptons une position artistique. (...) Nous considérons un groupe, un artiste. L'homme, quant à lui, a été jugé pour son crime, nous laissons de côté – sans effacer – ses actes et nous écoutons la musique.
Les responsables de la salle des Docks de Lausannedans un communiqué
"Le nom Cantat cristallise les débats"
Eric Boistard, directeur de Stereolux, à Nantes, a accepté de nous répondre. Sa salle accueillera Bertrand Cantat les 2 et 3 mai. "Le simple fait de prononcer le nom Cantat cristallise les débats, observe-t-il. On a donc choisi de communiquer le moins possible sur ces deux dates." A ce jour, il ne voit "pas pourquoi" il annulerait le concert : "On s'y pliera uniquement s'il y a décision administrative. Pour l'heure, il n'en est rien. De toute façon, on n'a pas à avoir de plan B."
On n'est pas un tribunal, ce n'est pas notre fonction. Nous jugeons l'artiste, pas l'homme.
Eric Boistard, directeur de Stereoluxà franceinfo
Pour l'instant, aucune mesure de sécurité supplémentaire n'est prévue. L'artiste est déjà venu plusieurs fois dans la ville, notamment en 2014, comme leader du groupe de rock Détroit. "Tout s'était bien passé", se souvient Eric Boistard. Cette année, c’est sous son propre nom qu’il se produit. Les deux dates sont complètes depuis un mois : près de 3 000 personnes ont acheté une place.
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