Onyeka Onwenu, grande dame de la musique nigériane, est morte à l'âge de 72 ans

Célèbre interprète de l'hymne à l'unité "One Love", elle a mené sa carrière musicale de pair avec ses engagements militants et politiques dans un pays riche en pétrole, mais miné par la corruption.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6 min
L'artiste nigériane Onyeka Onwenu assiste à la projection de "Half of a Yellow Sun" lors du 57e BFI London Film Festival à l'Odeon West End, le 19 octobre 2013, à Londres, (EAMONN M. MCCORMACK / GETTY IMAGES EUROPE)

Onyeka Onwenu, la chanteuse, compositrice, actrice, activiste, journaliste et femme politique nigériane, est morte à l'âge de 72 ans, le 30 juillet, à Lagos, la capitale économique du Nigeria. L'information relayée par les médias nigérians a été confirmée par ses enfants, Abraham et Tijani Ogunlende.

"C'est avec le cœur lourd que moi et mon frère souhaitons annoncer le décès de notre mère, la très aimée Onyeka Onwenu. Elle s'est éteinte hier soir, mardi 30 juillet 2024, à Lagos, au Nigeria", a annoncé la fratrie, rapporte le journal nigérian The Vanguard. Celle que ses compatriotes surnommaient l'"Elegant Stallion" (l'élégant étalon) a marqué la scène musicale, culturelle et socio-politique de son pays durant plusieurs décennies.

La célèbre interprète de One Love (1986), ode à l'unité dans un pays déchiré par les tensions intercommunautaires et les crises politiques depuis son indépendance, est morte dans un centre hospitalier de la mégalopole nigériane.

Elle y avait été conduite d'urgence après s'être effondrée à la soirée d'anniversaire d'une amie, où elle venait d'interpréter quelques titres de son célèbre répertoire.

Trésor national

"Onyeka Onwenu était un trésor national, une icône et une légende qui a inspiré de nombreuses générations de Nigérians et de personnes du monde entier par sa musique, son jeu, sa philanthropie", ont écrit ses fils.

Dans un message relayé sur X, le président nigérian Bola Tinubu a salué la mémoire de "la reine des chansons" aux "paroles édifiantes et mélodieuses". Il a rappelé que son titre Wait for Me, chanté en duo avec un autre vétéran de la chanson nigériane, King Sunny Ade, avait servi de bande originale aux annonces officielles du planning familial. Les deux artistes sont les premiers à avoir initié un duo musical au Nigeria.

Onyeka Onwenu est née le 29 janvier 1952 à Obosi, dans l'état d'Anambra en pays igbo, dans le sud du Nigeria. Son père Dixon Kanu Onwenu était un enseignant et homme politique. Elle ne manquait pas une occasion de rappeler sa fierté d'être une femme igbo, l'un des plus importants groupes ethniques du Nigeria tout en appelant au vivre-ensemble. Elle qui s'est mariée avec un yoruba, un autre grand groupe ethnique avec lequel les Igbos ont des rapports tendus.

L'hommage de son ami, l'écrivain Onyeka Nwelue, souligne ce qu'elle incarnait ainsi. "La nation Igbo a perdu sa fille (...) et la nation Yoruba a perdu sa femme", a-t-il déclaré sur X.

Dans ses mémoires, My Father's Daughter (La fille de mon père), parus en 2020, elle rappelle sa naissance sur les terres de sa mère, Hope Onwenu, qui élèvera seule ses enfants à la mort de son père dans sa petite enfance. Durant toute sa vie, l'artiste sera une championne des droits des femmes. Elle prônait l'éducation pour les jeunes filles, militait pour l'autonomie financière des femmes, les encourageant, y compris à travers sa propre expérience, à sortir des mariages toxiques.

Elle avait également dédié une chanson aux veuves, un hommage qui lui tenait à cœur, car sa mère en fut une. Son engagement social s'est traduit en politique quand elle est devenue, en 2016, la directrice générale du National Centre for Women Development (Centre national pour le développement des femmes).

Championne de l'émancipation des femmes

Après ses études supérieures, notamment en communication aux États-Unis, Onyeka Onwenu rentre en 1980 dans son pays où elle effectue son service civil à la télévision publique nigériane (NTA). Elle y devient une présentatrice vedette. Pour la BBC et la NTA, la journaliste mène l'enquête dans le documentaire Nigeria: A Squandering of Riches (Nigeria : un gaspillage de richesses, 1984), une plongée dans la corruption qui mine ce riche pays pétrolier.

La diffusion du film coïncide avec le coup d'État de 1983. Comme elle le souligne dans le documentaire, le constat est devenu une explication des soubresauts politiques du Nigeria. La journaliste et activiste en connaissait les ressorts et s'est tournée vers la politique pour tenter de faire évoluer les choses. Dans l'état d'Imo, où elle s'investira dans la gouvernance locale, elle n'hésitera pas à dénoncer la corruption des politiques. Les revers sont nombreux, mais ne réussiront pas à faire taire celle qui a fait de la lutte contre l'injustice sociale son cheval de bataille.

L'activiste Onyeka Onwenu s'est rarement fait museler, y compris dans les années 1980 où il était suicidaire d'émettre des critiques contre les militaires au pouvoir. Au travers d'un article, elle le fait pour défendre le père de l'afrobeat, Fela Kuti.

Tout est bon pour arrêter l'ennemi public numéro 1, qui se retrouve encore emprisonné en 1984. Son geste lui vaudra une demande en mariage de l'artiste qu'elle déclinera. Onyeka Onwenu avait confié que Fela Kuti savait qu'elle refuserait, mais que c'était sa manière à lui de la remercier d'avoir pris sa défense. Onwenu défendra également le droit des artistes à garder la propriété intellectuelle de leurs œuvres. Une démarche qu'elle a entreprise très tôt en créant sa propre maison de production, Ayollo Records.

Sa carrière musicale, où elle a exploré l'afropop, le gospel ou encore le R&B, a démarré en 1981 avec l'album Endless Life. Il sera suivi de beaucoup d'autres et de tubes comme Iyagogo. Chanteuse, compositrice et productrice, Onyeka Onwenu était aussi une comédienne. Sa filmographie compte des films comme L'Autre moitié du soleil (2013) de Biyi Bandelé, adaptation du livre éponyme et succès de la célèbre écrivaine nigériane Chimanmada Ngozi Adichie sur la guerre civile du Biagra, un marqueur de l'histoire politique du Nigeria.

Dans ce film qui raconte un conflit qui l'a personnellement endeuillé, elle partage l'affiche avec les Britanniques Chiwetel Ejiofor, Thandiwe (alors Thandie) Newton, John Boyega ou encore la comédienne nigériane Geneviève Nnaji. Elle retrouvera cette dernière dans Lionheart (2018) que l'actrice réalise. Le film est candidat, pour le Nigeria, mais n'est pas retenu dans la catégorie meilleur film international aux Oscars 2020. "Aujourd'hui, nous pleurons la disparition d'une icône, d'une légende dont la voix et la présence ont résonné profondément en nous tous", a déclaré Geneviève Nnaji sur X.

L'annonce du décès d'Onyeka Onwenu intervient alors que les Nigérians manifestent contre la cherté de la vie. Elle avait à maintes reprises fait part de son inquiétude quant à l'avenir socio-politique de son pays. Dans un entretien accordé au média nigérian Radio Now en 2021, à l'occasion de la sortie de sa biographie, la chanteuse n'avait pu s'empêcher de retenir ses larmes alors qu'elle lisait les paroles d'une chanson, One Nation, qu'elle avait composée pour appeler de nouveau à l'unité nationale.

La chanteuse avait profité de l'antenne pour lancer un vibrant plaidoyer aux hommes politiques afin qu'ils fassent du Nigeria un pays de paix où s'épanouissent les multiples talents de leurs concitoyens dont nombre ont conquis le monde avec leur musique et Nollywood.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.