"Don Quichotte" à l’Opéra-Bastille : Christian Van Horn convaincant en écrivain dépressif
Le rideau s’ouvre sur un salon froid, bourgeois. Un homme boit du whisky et froisse rageusement des feuilles avant de les jeter à ses pieds. Don Quichotte, version Damiano Michieletto, donné jusqu’au 11 juin à l'Opéra Bastille, est un écrivain quinquagénaire, bien établi, en mal d’inspiration. Tout en intériorité, le personnage est déserté par la flamboyance, la folie. Il s’ennuie et rêve d’amour pour revenir à la vie.
Christian Van Horn ne se bat pas contre des moulins mais contre ses propres démons. Le baryton américain incarne un Don Quichotte contemporain déprimé qui noie son mal-être dans l’alcool et les barbituriques.
L’équation est insoluble, et donc l’amour impossible entre Don Quichotte et Dulcinée. Le premier rêve de possession et de mariage, la seconde de liberté et d’amours. Gaëlle Arquez propulse Dulcinée dans une dimension tragique.
La mezzo-soprano, à la présence scénique impressionnante, incarne un personnage profond sous ses airs de légèreté, une femme sincère et libre. Dulcinée ne souhaite pas habiter dans un château mais continuer à s’appartenir.
Des moulins et des hommes
Et si Don Quichotte, avant d’être une histoire d’amour, était une "bromance", une amitié très forte entre le chevalier exalté et son fidèle écuyer Sancho Pança ? Don Quichotte est esseulé, solitaire, et sans famille. Son amour pour Dulcinée est une tentative désespérée pour s’éloigner de lui-même et aller vers les autres.
Son serviteur Sancho, interprété par un Étienne Dupuis subtil et narquois, est ce qui le rattache au reste de l’humanité. La complicité entre les deux personnages est criante. Ils ont dépassé la relation hiérarchique entre un maître et son serviteur. Ils sont des amis, des frères, qui ne se cachent rien.
Le trio Christian Van Horn, Gaëlle Arquez et Étienne Dupuis, porté par une direction musicale inspirée de Patrick Fournillier, fonctionne parfaitement. Le chef d’orchestre a reçu de nombreuses ovations par un public enthousiaste.
Autre personnage important dans cet opéra créé par Jules Massenet en 1910 : le décor. Les trouvailles scéniques sont spectaculaires. Les démons de Don Quichotte traversent les murs, sortent du canapé, du sol… Et les décors épousent l’état d’esprit de Don Quichotte, de l’abattement à l’exaltation. Les nuances sont traduites sur scène.
Le Don Quichotte de Damiano Michieletto est un personnage vulnérable, incurablement humain, fragile dans sa quête d’un absolu illusoire. De par son physique et sa voix, Christian Van Horn accentue ce déséquilibre, ce combat entre la pulsion de la mort et le désir de (sur)vivre. Don Quichotte, une oeuvre poétique sur un homme que l'espoir a abandonné.
Fiche
Titre : Don Quichotte
Genre : comédie héroïque en cinq actes
D’après Jacque Le Lorrain, inspiré du roman de Miguel Cervantès
Durée : 2h25, avec un entracte
Musique : Jules Massenet
Livret : Henri Cain
Direction musicale : Patrick Fournillier
Mise en scène : Damiano Michieletto
Décors : Paolo Fantin
Costumes : Agostino Cavalca
Lumières : Alessandro Carletti
Distribution : Gaëlle Arquez, Christian Van Horn, Gàbor Bretz, Etienne Dupuis, Emy Gazeilles, Marine Chagnon, Samy Camps, Nicolas Jones
Lieu : Opéra Bastille, Place de la Bastille, 75012, Paris
Dates : Jusqu’au 11 juin 2024
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