"La Vestale" à l’Opéra Bastille : Lydia Steier signe une dystopie sombre et puissante

Pour son retour à Paris après plus d’un siècle et demi d’absence, l’œuvre de Gaspare Spontini est transposée dans une théocratie sanguinaire. Lydia Steier offre une mise en scène plus que convaincante.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4min
Scène de "La Vestale" à l'Opéra Bastille. (Guergana Damianova / OnP)

Adossé à un mur en béton sur lequel pendent par les pieds trois cadavres d’opposants, le général romain Licinius, de retour d’une guerre victorieuse contre la Gaule, se languit de son amour perdu, Julia, forcée par son père à rejoindre les ordres religieux. Le mur, sur lequel est tagué "Talis est ordo deorum" (Tel est l'ordre des dieux), coulisse vers la gauche laissant apparaître comme décor une réplique délabrée de l’amphithéâtre de la Sorbonne. Pour le retour du grand opéra La Vestale de Gaspare Spontini à Paris, après plus de 150 ans d’absence, la metteuse en scène Lydia Steier, qui s’est distinguée avec sa reprise de Salomé de Richard Strauss, signe une dystopie qui s’inspire fortement de La Servante écarlate de Margaret Atwood. À l'Opéra Bastille, jusqu’au 11 juillet 2024.

 

"Tel est l’ordre des dieux"

 

La flamme est alimentée par les autodafés. Le rituel de l’entretien du feu sacré est nourri par la destruction méthodique des livres. Julia est ordonnée prêtresse du temple de Vesta. Elle est interdite de plaisir charnel, elle se doit de conserver sa virginité. Et surtout éviter l’amour. C’est dans cet univers oppressant que pouvoir militaire et pouvoir religieux se côtoient, se soutiennent et maintiennent un système répressif.

La metteuse en scène américaine transpose l’œuvre de Gaspare Spontini dans une théocratie. Les clins d’œil au livre-phénomène de Margaret Atwood sont nombreux. L’amphithéâtre de la Sorbonne pour décor n’est pas un hasard. "Le gouvernement théocratique dans La Servante écarlate s’appelle la République de Gilead et son centre se trouve à l’Université de Harvard, à Boston. (…) Alors que Harvard a une certaine résonance pour le public américain, nous avons cherché un lieu qui aurait une résonance similaire pour le public français. Il s’agit évidemment de la Sorbonne, une analogie parfaite", explique-t-elle. 

 

Des dieux et des hommes 

 

Ce mercredi 19 juin, la soprano franco-sud-africaine Elza van den Heever, souffrante, est remplacée par Élodie Hache dans le rôle de Julia. Elle incarne cette femme partagée entre le devoir et l’amour, et qui, face à une justice qui exige une victime expiatoire, affronte avec bravoure ses accusateurs. Élodie Hache brille par sa présence scénique et vocale. Elle est Julia. Son amour, Licinius, interprété magistralement par le ténor américain Michael Spyres, trahi par son ami Cinna (Julien Behr), fait vaciller l’empire.

Le duo est en osmose, donnant profondeur et épaisseur à leurs personnages. Les chœurs impressionnent en habitant l’espace par leur force.

 

Scène de "La Vestale" à l'Opéra Bastille. (Guergana Damianova / OnP)

Le duo est en osmose, donnant profondeur et épaisseur à leurs personnages. Les chœurs impressionnent en habitant l’espace par leur force. De la fosse jaillit une musique puissante, volumineuse. La direction de Bertrand de Billy est tout en subtilité. Des vagues affluent et se retirent avec finesse et générosité.

La Vestale version Lydia Steier est convaincante et originale. Elle est férocement contemporaine et dit les angoisses et les dangers du monde d’aujourd’hui. Un chef-d’œuvre. 

 

Titre : La Vestale de Gaspare Spontini

Livret : Étienne de Jouy

Direction musicale : Bertrand de Billy

Mise en scène : Lydia Steier

Cheffe des chœurs : Ching-Lien Wu

Distribution : lza van den Heever, Elodie Hache, Michael Spyres, Eve-Maud Hubeaux, Julien Behr, Jean Teitgen, Nicolas Courjal, Florent Mbia

Durée : 3h20 avec deux entractes

Langue : Français

Surtitrage : Français/anglais

Lieu : Opéra Bastille, Place de la Bastille, 75012, Paris

Dates : Jusqu’au 11 juillet 2024

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