"Carmen" de Georges Bizet à l’Opéra-Comique : les seconds rôles donnent de la voix
L’opéra le plus populaire de tous les temps, Carmen, revient sur son lieu de naissance, près d’un siècle et demi plus tard, et quinze ans après la dernière production. A l’applaudimètre, il est parti pour jouer à guichets fermés, contrairement à l’originel qui a été froidement accueilli par le public et éreinté par la critique. Le 3 mai 1875, à l’Opéra-Comique, jour de la première, Georges Bizet est abattu par l’accueil glacial. La bonne société est choquée. Son opéra-comique en quatre actes, sur un livret d'Henri Meilhac et Ludovic Halévy d'après la nouvelle de Mérimée, crée le scandale. Le compositeur décèdera trois mois plus tard. Son œuvre lui survivra et sera jouée dans le monde entier.
Délicatesse
La nouvelle production de Carmen, signée Andreas Homoki et dirigée par Louis Langrée, revient aux fondamentaux. Le metteur en scène allemand a opté pour le minimalisme et le patron de l’Opéra-Comique pour une "musique de théâtre", subtile, qui accompagne plus le texte qu’elle ne l’étouffe. "Carmen est un opéra délicat à aborder parce que la musique a une telle force qu’elle imprègne la mémoire collective. Bizet avait une inspiration si vaste que sa partition, véritable succcesion de tubes, semble pouvoir accueillir toutes les significations, toutes les formes d’interprétation", s’enthousiasme Louis Langrée.
Sur la scène, le choix est à l’épure. Pas de décor gigantesque ou révolutionnaire, tout est dans la sobriété. Quelques chaises, des ballots de marchandises pour évoquer la contrebande lors du troisième acte et un mur en briques pour situer la manufacture de cigares… Andreas Homoki semble dire aux spectateurs de se concentrer sur le jeu et la voix des artistes.
Seconds rôles essentiels
Et la magie opère, les voix présentes lors de la première, ce 24 avril, emportent la salle. La mezzo-soprano Gaëlle Arquez, habituée au rôle de Carmen, incarne une femme affirmée, sûre d’elle-même, sans tomber dans le cliché de la femme fatale. Elle flirte même avec une certaine fragilité du personnage, laissant transpercer des fêlures. A ses côtés, les seconds rôles ne font pas dans la figuration. Loin s’en faut, avec une mention spéciale pour l’émouvante Elbenita Katjazi qui incarne une Micaela amoureuse et intrépide. La soprano kosovare a été longuement applaudie au troisième acte quand, avec sa voix cristalline, elle parvient à convaincre Don José, soldat déserteur fou amoureux de Carmen, de la suivre auprès de sa mère mourante. Et que dire de Jean-Fernand Setti en Escamillo, toréro flamboyant ? Sa présence physique et vocale est impressionnante. Tous les seconds rôles (Matthieu Walendzik, Paco Garcia, Norma Nahoun et Alienor Feix) ont donné une intensité et une épaisseur denses à Carmen.
Liberté
Il faut se méfier de Carmen quand elle se met à parler d’elle-même à la troisième personne. « Jamais Carmen ne cèdera, libre elle est née, libre elle mourra », chante-t-elle. Un constat et une promesse. Parce que Carmen n’est pas qu’un corps fantasmé, désiré par les hommes. Elle est surtout liberté. Elle n’est pas à posséder. Don José, rendu fou par la jalousie, n’arrive pas à la faire sienne malgré ses menaces. Libre, Carmen l’est. Jusqu’à la mort. «Elle est à elle seule un concept utopique de femme anticipée. Cette femme représente donc un danger pour l’homme qui travaille et vit en se pliant aux règles », observe Andreas Homoki. Carmen, un spectacle poignant à voir l'Opéra-Comique avant sa diffusion sur Arte Concert à partir du 21 juin.
Fiche technique
Direction musicale : Louis Langrée (24, 26, 28, 30 avril), Sora Elisabeth Lee (2 et 4 mai)
Mise en scène : Andreas Homoki
Distribution : Gaëlle Arquez, Frédéric Antoun, Elbenita Kajtazi, Jean-Fernand Setti, Norma Nahoun, Aliénor Feix, François Lis, Jean-Christophe Lanièce, Matthieu Walendzik, Paco Garcia, Sylvia Bergé
Orchestre : Orchestre des Champs Elysées
Durée : 3 heures (entracte compris)
Synopsis : les cigarières de Séville, Carmen la bohémienne est la plus séduisante et la plus fantasque. Appréhendée pour avoir agressé une camarade, elle subjugue le brigadier Don José qui la laisse s’échapper. Pour elle, il perd son grade puis déserte, embrassant dès lors la vie aventureuse des contrebandiers.
Carmen, jusqu’au 4 Mai à l’Opéra-Comique, Paris.
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