Cet article date de plus de huit ans.

A Bastille, tout "Rigoletto" de Verdi tient dans une boîte en carton

A l'Opéra Bastille, "Rigoletto" revient et dans le règles de l'art. Si elle est parfois étonnante, la mise en scène de Claus Guth construit de jolies scènes, poétiques et mystérieuses, dans l'écrin insolite d'une boîte en carton. Et permet, surtout, à la musique de Verdi de faire éclore la tragédie, comme l'étincelle amoureuse, sous la direction du chef Nicola Luisotti.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
"Rigoletto" de Verdi à l'Opéra Bastille, dans une mise en scène de Claus Guth.
 (Monika Rittershaus/OnP)

Un homme gît sur scène, le visage grimé de blanc tel un clown triste et vieillissant. Dans ses bras, une boîte en carton dont il sort avec désolation son habit d'arlequin et une robe blanche maculée de sang. Voici ce qu'il reste de la vie de Rigoletto. D'un côté, sa carrière de bouffon du Duc de Mantoue, faite d'arrivisme et d'arrogance. De l'autre, sa plus grande souffrance, la mort de sa fille. Tout est dit, dès cette première scène, dans le prélude orchestral de ce "Rigoletto" de Verdi présenté à l'Opéra Bastille. La suite est un long flash back. La boîte en carton s'ouvre en grand, géant écrin dans lequel le metteur en scène allemand Claus Guth reprend le déroulé du drame. Pour guide, toujours ce vieux témoin (le comédien Pascal Lifschutz), silhouette fantôme, double décati tour à tour pleurnichard, hilare et aviné, du personnage central incarné avec conviction et force par le baryton américain Quinn Kelsey.

Le drame du bouffon de cour

"Malediction" : ce mot (qui devait initialement servir de titre à l'opéra) est l'un des fils conducteurs de Claus Guth pour raconter le drame. Librement inspiré du "Roi s'amuse" de Victor Hugo, décrivant le célèbre Triboulet, bouffon à la cour du roi de France, l'œuvre trace le bilan d'une réussite triste et pesante : car à force de divertir en se moquant, sans scrupules, des courtisans du Duc de Mantoue, son maître, Rigoletto se fait littéralement maudire par l'un d'eux. Sa fille, Gilda, est enlevée par des nobles humiliés et croyant le Duc derrière cette conspiration, Rigoletto cherche à se venger de son maître. Mais ce faisant, il se prend à son propre piège et met en danger sa fille. Ah, malediction !
Rigoletto (Quinn Kelsey), en habit d'arlequin, et son double (Pascal Lifschutz).
 (Monika Rittershaus/OnP)

Dans le très bel air du "Pari siamo", après sa rencontre avec le tueur à gages Sparafucile (l'excellent Rafal Siwek) qui propose ses services, Rigoletto avoue avec amère honnêteté son échec : "Nous faisons la paire, j'ai la langue, lui a le poignard. (...) Ce vieillard m'a maudit ! Ô hommes ! Ô nature ! Vous avez fait de moi un vil scélérat !". Beau moment de cette production. La boîte en carton donne aussi des scènes éclatantes, comme l'enlèvement de Gilda, portée sur les épaules d'un des courtisans, membres d'un chœur réellement remarquable.    

La relation père-fille

Autre fil conducteur de ce "Rigoletto", la relation père-fille. Bouffon méprisant et cynique, Rigoletto n'en est pas moins un père aimant et attentif, mais surprotecteur. Gilda, jeune femme et déjà orpheline de sa mère, est traitée comme une gamine et tenue enfermée chez elle. Pas étonnant qu'elle cueille la première occasion pour tomber dans les bras d'un séducteur comme le Duc de Mantoue ! La soprano russe Olga Peretyatko (Gilda) fait preuve d'une grande finesse dans ses aigus lors du duo avec Quinn Kelsey (donc son père Rigoletto) de "Ah, veglia o donna", où justement, Gilda demande : "que craignez-vous, mon père ?" Nul n'ignore alors que la fille ment à son géniteur…
Gilda (Olga Peretyatko), fille de Rigoletto.
 (Monika Rittershaus/OnP)

De sa soumission psychologique à Rigoletto, Claus Guth fait un élément central, voire obsessionnel du récit. Sur scène, Gilda – toujours vêtue d'un blanc virginal - est représentée en petite fille, en adolescente, en danseuse mécanique… Et comme si cela ne suffisait pas, la même petite fille apparaît constamment dans une vidéo, courant dans les champs…

Libertinages

A l'opposé de la tragédie que vivent le bouffon et sa fille, "Rigoletto" est également le prétexte d'une incursion dans le monde de la fête et de la débauche, portrait en creux d'une caste courtisane dissolue. D'ailleurs l'opéra, faisant référence à l'œuvre de Hugo et donc à la cour du roi de France a eu du mal, en cette moitié du 19e siècle, à passer le cap de la censure, pour cause d'immoralité. Le Duc de Mantoue collectionne les aventures, dans la simplicité et la gaîté, comme Don Giovanni ! Sa légèreté et son irresponsabilité sont d'ailleurs très proches du héros de Mozart : "Questa o quella, per me pari sono" (celle-ci ou celle-là, pour moi c'est pareil), chante avec conviction le ténor américain Michael Fabiano.
Le Duc de Mantoue (Michael Fabiano), couché, avec Maddalena (Vesselina Kasarova).
 (Monika Rittershaus/OnP)
Si Claus Guth restitue cette atmosphère avec une grande sobriété dans l'acte 1, la célèbre scène de la taverne de Sparafucile, à l'acte 3 ("La donna è mobile"), se permet des folies : après avoir sniffé un rail de cocaïne, le Duc y vit ses libertinages entouré de danseuses d'un cabaret digne du Crazy Horse ! Enfin, peu avant la conclusion de l'opéra, le magnifique quatuor "Bella figlia dell'amore", réunit habilement les tensions opposées : d'un côté la légèreté érotique (le Duc tentant de séduire encore une fois Maddalena incrédule – parfaite Vesselina Casarova, toute en latex noir), de l'autre le cœur meurtri (Gilda amère et triste) et le désir de vengeance (Rigoletto à sa fille : "Tais-toi, et laisse-moi le soin de hâter la vengeance").


"Rigoletto" de Verdi
Direction musicale de Nicola Luisotti
Mise en scène de Claus Guth
Jusqu'au 30 mai
A l'Opéra Bastille

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.