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A Bastille, un "Barbier de Séville" pétillant révèle un metteur en scène

Rossini, homme de l’année lyrique ? Après "La pietra del paragone", "Otello", "Tancrède", voici "Le barbier de Séville" (d’après Beaumarchais), évidemment son chef-d’œuvre. Dans une mise en scène survitaminée du jeune vénitien Damiano Michieletto. Un opéra à déguster en replay sur Culturebox, à partir du 26 septembre.
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le Barbier de Séville, mise en scène de Damiano Michieletto
 (Bernard Coutant/Opéra national de Paris)

On a assisté vendredi soir à une sorte de miracle : un metteur en scène qui non seulement n’est pas hué par le public de Bastille mais se voit chaleureusement applaudi avec son équipe. Le bonheur de la soirée doit beaucoup, il est vrai, à la précision, à l’invention, à la vivacité de son travail.

Chaque air est un tableau vivant

Un décor superbe (de Paolo Fantin, et qui occupe tout l’espace) de rue hispanique, peut-être Séville, peut-être Madrid (un des inspirateurs de Michieletto est Pedro Almodovar), peut-être… La Havane, que rappellent la vieille voiture américaine d’Almaviva, la touffeur de l’air et la silhouette fatiguée des habitants. Au centre l’immeuble où vivent Rosine et Bartolo, son tuteur, qui la cloître pour mieux l’épouser. Mais c’est le comte Almaviva (déguisé en homme du peuple) qui séduira la belle, à la barbe du barbon –puisqu’avec l’aide du barbier Figaro! On connait l’histoire… 

L'immeuble où vivent Rosine et Bartolo
 (Bernard Coutant/Opéra national de Paris)
Mais voilà qu’au grand air de Figaro, «Largo al factotum », l’immeuble pivote sur lui-même, dévoilant ses escaliers, ses passerelles, ses appartements en coupe. Figaro chante dans le mouvement, monte, descend, traverse des pièces, croise des résidants et, pile à la dernière mesure, ressort et l’immeuble se referme : c’est la méthode Michieletto, une implacable horlogerie mise au service de l’œuvre, de la fantaisie qui en déborde, de la vie qui s’y engouffre.

Car chaque air est un tableau vivant, mais dans le respect de l’intrigue. Pendant le duo de Figaro et du comte une femme rêve à son balcon, un vieillard ivre dort dans son fauteuil, des maçons travaillent, la serveuse du bar essuie ses tasses. La vie même d’une ville où l’enfermement de Rosine se fait au vu de tous, leçon d’indifférence sociale où les interventions de la police se font non pour demander des comptes au docteur Bartolo amoureux d’une jeunesse mais pour « tapage », qui trouble la paix et le silence des honnêtes gens.  
Chaque air est un tableau vivant
 (Bernard Coutant/Opéra national de Paris)
Beau et joyeux spectacle

Damiano Michieletto souhaite « raconter fidèlement l’histoire, sans complexifier, rechercher forcément la double lecture, avec une attention soutenue au rythme, si essentiel chez Rossini » Il fait de ses chanteurs des acteurs formidables de présence et d’attention aux détails (l’impayable leçon de musique !). La star montante des ténors, René Barbera (aux faux airs de Cyril Hanouna), voix ravissante et bien projetée, à l’exquise facilité, fait surtout passer une joie (de jouer et de chanter) qui est un bonheur. 
Des acteurs-chanteurs formidables de présence
 (Bernard Coutant/Opéra national de Paris)
Carlo Lepore, en Bartolo, est très bien, Orlin Anastassov, très honnète Basile, ne met pas assez de noirceur dans son fameux air « de la Calomnie » (belle idée que ces tracts qui inondent le plateau, liant la calomnie à la rumeur dont elle est la sœur dévoyée!). Karine Deshayes déçoit un peu dans le fameux « Una voce poco fa »: graves sourds, aigus pris par en-dessous mais la voix est ronde et chaude, la ligne de chant impeccable. Elle n’est pas aidée (c’est notre vraie réserve) par sa tenue d’adolescente grunge (sa chambre tapissée de posters) qui en fait au final une gamine flattée qu’un « de son âge» (Almaviva) s’intéresse enfin à elle. Et non une jeune femme qui s’éveille à l’amour et à la féminité. Est gommé du même coup tout ce que nous savons du destin de ce couple qui ne restera pas longtemps joyeux. Almaviva trompant sa femme qui est devenue « la comtesse », sans prénom, soupirant après sa vie passée: ce sont « Les noces de Figaro » de Mozart, concentré d’amertume que Michieletto se refuse à rappeler, même d’une formule. 
Avec René Barbera (Almaviva), Carlo Lepore (Bartolo), Karine Deshayes (Rosina)
 (Bernard Coutant/Opéra national de Paris)
Dalibor Jenis, présence écrasante, est un Figaro un peu gitan, cheveux longs, veste rose et chemise rouge. La voix est d’une rare puissance mais en lançant ses vocalises à pleins poumons… il se décale. C’est compter sans le chef, Carlo Montanaro, qui réussit assez bien à maintenir orchestre et chanteurs dans la rythmique et l’esprit rossiniens, ce qui n’est pas toujours aisé. Il nous fait même entendre des détails inhabituels dans la célèbre ouverture, chef-d’œuvre orchestral construit sur une série de mélodies dont aucune n’est reprise dans l’opéra lui-même!

Oui, malgré l’absence de tout nuage, de toute ombre mauvaise (avec un Bartolo « même pas peur »), ce parti-pris délibéré de montrer le triomphe immédiat de l’amour, sans les lendemains qui l’accompagnent, fonctionne. Et ce beau et joyeux spectacle nous laisse bien augurer de l’ère Lissner (même si Nicolas Joël, son prédécesseur, y est lui aussi pour beaucoup).


Le "Barbier de Séville" de Rossini à l'Opéra Bastille
Place de la Bastille, Paris XIIe
Tél : 01 40 01 19 70
Jusqu’au 4 octobre dans cette distribution.
Du 14 octobre au 3 novembre, avec une autre distribution pour les cinq rôles principaux mais le même chef.


En replay sur culturebox à partir du 26 septembre

                                       

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