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À Bastille, un "Roi Arthus" où de bien belles voix compensent la mise en scène

Ce devait être l’événement de l’année lyrique : un opéra français rarissime défendu par trois stars du chant, Alagna soi-même, Thomas Hampson et Sophie Koch. Dans une mise en scène de Graham Vick.
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Roberto Alagna dans "Le Roi Arthus" à l'Opéra Bastille
 (Opéra national de Paris)

Opéra rare, oui ! Ce « Roi Arthus » n’avait JAMAIS été représenté sur une scène parisienne. Rare et maudit : une composition épuisante de dix années, de vains efforts pour le faire jouer. C’est Vincent d’Indy qui, quatre ans après la mort de Chausson, en supervisera la création à la Monnaie de Bruxelles, le 30 novembre 1903. Au Palais Garnier, on n’en jouera jamais qu’un acte, en 1916, sous la direction du fidèle d’Indy. 

Un sujet abracadabrantesque ? Même pas. Ce sont les amours de Lancelot et de Genièvre, leur fuite du royaume d’Arthur (Arthus), le repentir de Lancelot, le suicide de Genièvre abandonnée par son amant, Lancelot qui refuse de se battre contre son roi et préfère se faire tuer. Arthus, désespéré, aspire lui aussi à mourir et implore le Ciel. 

Des voix très sûres, très belles 

Paysage désolé des sentiments, désolé et brumeux de la Cornouaille. Musique très française, et même très « Chausson », dans ses nappes lyriques qui balaient l’orchestre. Mais dans son « Roi Arthus » Chausson n’a pas résolu le « problème Wagner » qui obsèdait tout compositeur de cette époque: «Wagner me hante, me bouche toutes les voies. Je me fais l’effet d’une fourmi qui rencontre une grosse pierre glissante sur son chemin. Il me faut la contourner, trouver un passage… » Et ce qu’il trouve… ce sont des principes wagnériens. Expliquons : chez Bizet, Verdi, Puccini, la mélodie est à la voix, l’orchestre est l’accompagnateur. C’est (presque) l’inverse chez Wagner, l’orchestre a le thème, le fameux leitmotiv, la voix tresse son chant en se modelant, se modulant sur lui. Écoutez « Tristan et Isolde » dont « Le roi Arthus » est bien proche par le sujet, écoutez la mort d’Isolde… Il faut donc des voix très sûres, très belles, et constamment à l’écoute du tissu instrumental. Ces voix, on les a ici.

La légende vue comme un drame bourgeois

Mais on a eu peur. L’acte 1 s’ouvre sur un décor et surtout des costumes (nous caftons : de Paul Brown) qui rappellent un peu ceux des Deschiens. La mise en scène, elle, a un côté « Petite maison dans la prairie » qui n'est pas au premier abord ce que l'on imagine de la Légende du Roi Arthur et de ses compagnons, Perceval ou Lancelot. Ensuite nos amoureux batifolent dans un bout de prairie planté de jonquilles, ce qui réduit là encore l'histoire de Lancelot et de Geniève, qui a fasciné notre enfance, à un drame bourgeois.
La mise en scène rappelle « La petite maison dans la prairie »...
 (Opéra national de Paris)

Le chant merveilleux de clarté d'Alagna 

Après, on se laisse emporter par la beauté, la puissance de l’œuvre. Les angoisses d’Arthus, les adieux des amants, la mort de Genièvre, celle (sublime) de Lancelot, sur un champ de bataille sinistre : scènes magnifiques et magnifiées par des chanteurs qui doivent surmonter la difficulté de la partition, changements constants de mode et de tonalité, ligne mélodique souvent brisée. Alagna évite très justement le bel canto au profit d’un chant merveilleux de clarté, jamais forcé, exactement l’esprit de Chausson. Son Lancelot est la franchise même : il aime. Il souffre d’aimer. Il souffre de trahir. Il assume ce dilemme terrible en mourant. 
Le chant merveilleux d'Alagna
 (Opéra national de Paris)

La ligne de chant royale de Sophie Koch 

Sophie Koch, aigus parfaits, présence, projection, ligne de chant royale, est une Genièvre droite, guerrière, décidée. On ne saura jamais pourquoi elle s’est détachée d’Arthus. C’est ainsi, l’amour, ou le désamour, ne se commande pas. Un destin de femme libre. Hampson, voix de bronze, est bouleversant. Derrière la trahison des êtres chers, c’est tout l’écroulement des valeurs de la Table Ronde auquel il assiste, conclu par le triomphe de Mordred, le neveu détesté. 
Sophie Koch, une Geneviève droite, guerrière, décidée
 (Opéra national de Paris)

Une mise en scène signée Graham Vick 

Quant à la mise en scène de Graham Vick qu'on a commencé à évoquer, elle ne réussit pas à se montrer à la hauteur de la distribution. On est surpris qu’un homme de ce talent parle de la légende arthurienne avec une si vive intelligence et la concrétise si peu, à l'exception de la scène entre Arthus et le fantôme de Merlin (très bon Peter Sidhom) et la mort de Lancelot où il passe une vraie grandeur. 
  (Opéra national de Paris)

Le sans-faute de Philippe Jordan 

Magnifique Stanislas de Barbeyrac en Lyonnel, l’écuyer de Lancelot : voix superbe et juste émotion. Joli travail de Cyrille Dubois dans l’air mélancolique et archaïsant du Laboureur. Mordred sans relief d’Alexandre Duhamel. Belle prestation des chœurs. Philippe Jordan est le dernier triomphateur de la soirée : il ne tombe pas dans le piège de diriger du Wagner, lui qui le dirige si bien. Mais du Chausson, dont le style est si reconnaissable. L’énergie, le lyrisme, la relance du discours : un sans-faute de presque trois heures. Peut-être un chouïa de volupté sonore ?... Mais le cor anglais est bien beau, qui concentre la poignante mélancolie d’une œuvre à la fin (et très longuement) applaudie sur notre scène nationale, 112 ans après sa création.


« Le roi Arthus » d’Ernest Chausson à l’Opéra-Bastille
Mise en scène de Graham Vick, direction Philippe Jordan, du 16 mai au 14 juin 2015.
Pour les représentations des 8, 11 et 14 juin, Zoran Todorovich succèdera à Roberto Alagna dans le rôle de Lancelot.
Réservation : 08 92 89 90 90


Diffusion en direct sur Culturebox le 2 juin 2015



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