"Alcione" de Marin Marais à l'Opéra comique : poétique et acrobatique
La soirée était spéciale, mercredi 26 avril, Salle Favart, signant la réouverture de l’Opéra comique, après vingt mois de travaux. Mais à part quelques statues et des luminaires rénovés ou encore le "rouge Favart" sur les murs qui sautera désormais aux yeux des fins observateurs, aucun signe n’est particulièrement visible pour les spectateurs, souligne le directeur Olivier Mantei dans un court discours qui a évité toute solennité : les travaux ont visé à améliorer le fonctionnement (et notamment, l'aération dans la salle) et la sécurité de l’ensemble, coulisses et bureaux en priorité.
Jalousie, quand tu nous tiens
Pas de salle ultra-clinquante donc, mais pour cette réouverture, la présentation d’une œuvre importante et rare, "Alcione" du compositeur baroque Marin Marais, qui fut disciple de Sainte-Colombe et de Lully. Rare, car "Alcione" a connu un destin tronqué : créé en 1706, il est joué à guichet fermé jusqu’en 1771, puis, plus rien. Jamais plus interprété en version scénique à Paris. Jusqu’à ce jour où cette oeuvre est enfin montée, à la faveur sans doute de la tendance actuelle qui est à la redécouverte du patrimoine enfoui ou oublié : pensez à "Eliogabalo" de Cavalli (présenté à l’Opéra Garnier, en septembre dernier), à "Fantasio" d’Offenbach (en février au Châtelet), ou encore aux "Fêtes d’Hébé" de Rameau (en mars à l’Amphithéâtre Bastille), pour ne citer que ces exemples-là. On doit la résurrection d’"Alcione" à Jordi Savall, immense musicien baroque (notamment) et spécialiste consacré de Marin Marais depuis le film "Tous les matins du monde" qui narre son histoire, dont il a signé la musique.Le thème de cette "tragédie en musique" (on ne parle pas techniquement d’opéra, mais ça se rapproche beaucoup) touche aux sentiments humains : comment un amour sincère entre deux êtres peut-il susciter autour de lui de la jalousie au point de déchaîner tant de haines et de coups bas ? L’histoire, pas si complexe malgré son terreau mythologique, est tirée des "Métamorphoses" d’Ovide. L’idylle est celui qui court entre Céix, le jeune roi de Trachines en Grèce, et Alcione, fille du dieu du vent Eole. Mais leur mariage contrarie d’abord l’ami le plus cher de Céix, Pélée, secrètement amoureux d’Alcione, puis deux magiciens, Phorbas (qui ambitionnait le même trône) et Ismène, duo infernal prompt à toutes sortes de malveillances. Ces trois-là vont se liguer pour détruire l’union. Première étape d’envergure : à peine le mariage est-il prononcé qu’un énorme coup de vent, concocté par les Furies s'abat sur le lieu de la cérémonie écrasant tout sur son passage. Deuxième étape : l’apparition des Enfers, particulièrement effrayants, est censée inciter les tourtereaux à rebrousser chemin – mais en vain. Troisième étape : une autre tempête, plus violente encore que la première, va secouer Céix et son équipage embarqués en mer pour rejoindre Apollon à Claros, condition sine qua non pour que le roi ne perde pas son élue. Ah, cette fameuse tempête, clou du spectacle à sa création ! Se déroulant sur terre autant que sur mer, le récit se veut haletant et dynamique.
Ecriture savoureuse et expressive
Il est également porté par une écriture musicale qu’on savoure à l’Opéra comique. A la manière d'un Lully, Marin Marais sait sublimer le chant avec quelques très beaux airs : celui, acte 1, scène 2 "Que rien ne trouble plus une flamme si belle", réunit les deux amants, Céix et Alcione qui s'apprêtent à s'unir, mais aussi sournoisement Pélée, l'ami jaloux. Remarquables, dans leurs rôles respectifs, le ténor Cyril Auvity, la mezzo-soprano Lea Desandre (révélation artiste lyrique lors des dernières Victoires de la musique classique) et le baryton Marc Mauillon. L'acte 3 regorge de jolis moments lyriques comme, scène 1, le solo de Pélée (à qui son ami naïf Céix confie son aimée avant d'embarquer) : "Ô mer dont le calme infidèle attire les humains sur tes perfides flots" et surtout l'air du choeur "Régnez Zéphirs sur la liquide plaine" alors que l'équipage s'installe pour le périple, ou encore ce magnifique duo des amants emplis de tristesse avant la séparation : "Qu'est devenu l'espoir qui séduisait nos coeurs ?".Mais il n'y a pas que ça : certes "Alcione" possède beaucoup de "divertissements", moments propices à la danse (des mélodies populaires médiévales), parfois répétitifs et interminables, et on regrette ces longueurs pesantes. Mais l'écriture de Marais est également très expressive, voire narrative, notamment lors des moments "d'action" que Jordi Savall avec son formidable Concert des nations sait porter à merveille.
Comme dans la scène de la tempête : la tension est portée par les cordes, le danger signalé par les percussions et le vent par cet étrange instrument circulaire, l'éoliphone....
Le cirque fait irruption à l'opéra
On écoute, on tend l'oreille, mais l'oeil est, lui, irrémédiablement attiré par la scène où dès le prologue, on chante, mais on danse également, debout, au sol, suspendus à des cordes, on saute, on fait des cabrioles et des acrobaties... Les arts du cirque font irruption à l'opéra.Et cela surprend au début, car leur raison d'exister est encore floue. La metteuse en scène, Louise Moaty a imaginé un univers original à mi-chemin entre le monde de la marine, très présent dans le récit d'Alcione, le monde du théâtre et celui du cirque. Cordage, agrès, voiles et toiles sont très présents sur le plateau. Et après tout, les marins des contes et de la mythologie ne sautent-ils pas entre deux mâts autant que les acrobates sous un chapiteau ? En tout cas l'effet que donnent les huit danseurs-circassiens dirigés par la chorégraphe Raphaëlle Boitel notamment lors des scènes d'embarquement de l'équipage de Céix est saisissant et extrêmement plaisant. Le théâtre aussi est à l'honneur, regard sur la fabrique du spectacle avec tous ses mécanismes à vue.
Tout en suivant apparemment avec précision le livret d'"Alcione" d'Antoine Houdar de la Motte, Louise Moaty (qui signe aussi la scénographie avec Tristan Baudoin) offre sa propre vision du baroque par des costumes, des couleurs, une lumière, bref des tableaux d'une très grande poésie.
Celui, dans le prologue, d'Apollon suspendu en l'air en une pose christique rappelant la peinture baroque est mémorable. Le tableau du mariage dans le palais royal qui place les époux à l'intérieur d'une architecture d'arcs de cercle construite sous nos yeux est étonnant. La scène des Enfers, plongée dans les ténèbres grâce à la formation d'un monticule de corps entrelacés en un clair-obscur pictural est également saisissante.
Notre préféré est sans doute le tableau à l'acte 4, de la prière au temple de Junon. Sorte de Madone candide enveloppée dans une superposition de toiles immaculées, Alcione s'y recueille et avant de s'endormir, chante le très joli "Amour, cruel amour, sois touché de mes peines, écoute mes soupirs et vois couler mes pleurs".
"Alcione" de Marin Marais
Jusqu'au 7 mai à l'Opéra comique
Et à partir du 6 mai sur Culturebox.
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