Au Théâtre des Champs-Elysées, Maria Agresta triomphe dans la "Norma" de Bellini
On se disait ces jours derniers: « Pourquoi donc aller voir « Norma » par une soirée humide, quand on peut, dans la douce chaleur de notre living, l’écouter depuis le gosier de Callas, Caballé, Sutherland, Bartoli, ah! ce « Casta Diva » où Callas replie ses bras maigres sur son étrange décolleté, le collier brillant de tous ses carats sur la gorge nue, le chignon en équilibre…? » Oui, pourquoi ? Pour faire notre devoir de critique ? Mais « Norma », si célèbre, est-elle si souvent représentée ? Certes non.
Bellini est impitoyable !
Et l’on a vite compris pourquoi. Voir « Norma » et entendre « Norma », ce n’est pas du tout la même chose. Voir « Norma », c’est vraiment prendre conscience de l’écrasante difficulté du rôle. Car Norma (« Casta Diva » n’est qu’une sublime mise-en-bouche) est de toutes les scènes, chantant en solo, duo, trio, de la cantilène aux vocalises, gravissant et dégringolant les aigus, s’enfonçant dans les graves, en prêtresse hiératique, furie amoureuse, mère passionnée. Même Violetta, pour qui le premier acte de « Traviata » est si éprouvant, se voit un peu ménagée par Verdi ensuite. Bellini, lui, est impitoyable !Une deuxième chose nous a frappé, que la beauté de la musique et la langue italienne empêche de bien mesurer : la totale invraisemblance (et l’on est gentil !) de l’histoire. Dans cette Gaule qui lutte contre l’occupation romaine, où vit sur un territoire ramassé une petite communauté de druides et de prêtresses ayant, elles, fait vœu de chasteté, Norma, la grande-prêtresse, a trouvé le moyen d’avoir deux enfants dont personne ne soupçonne l’existence (ni même qu’elle a été enceinte par deux fois) et, de plus, de les avoir eus du proconsul romain Pollione dont on se demande comment il se promène si facilement dans les temples de ces Gaulois à qui il fait la guerre. Mieux encore, Pollione a réussi à séduire une amie de Norma, Adalgisa (passe-t-il sa vie de guerrier en voyeur de pucelles ?) qui, bien entendu, oubliant elle aussi ses vœux, tombe amoureuse de lui au premier regard. Cela finira bien sûr, affreusement mal, après maints airs au texte d’une grande niaiserie et à la musique sublime.
La proposition de Braunschweig est cohérente et fermement menée
Stéphane Braunschweig, lui, doit se débrouiller avec tout ça. Il le fait très intelligemment, trouvant dans le livret une ligne directrice qu’il creuse avec habileté : Norma développe une forme de schizophrénie. La Norma publique, prêtresse hautaine (les Gaulois, autre bonne idée, sont, eux, cachés dans des grottes tels les résistants du Vercors), devant l’arbre sacré dont l’ombre immense se mêle à l’ombre de Norma dans une « Casta Diva » scéniquement magnifique, et plus proche, dans son étrangeté, des sorcières de « Macbeth » La Norma privée, implacable amoureuse, prête à sacrifier, telle Médée, ses enfants qu’elle croit promis à un sort sinistre (superbe apparition de ceux-ci dans un grand lit surmonté d’une tenture rouge orangé, sanglante et soyeuse).La dernière scène du premier acte, où Adalgisa va confesser sa faute à Norma, avant de lui révéler le nom de son amant, amant qui survient sur ces entrefaites (on est dans du Feydeau tragique) est un sommet musical, et Braunschweig s’y montre remarquable directeur… d’acteurs. Sommet parallèle, la première scène du deuxième acte, où les deux femmes scellent leur amitié sur le rejet de ce Pollione félon et machiste. La Norma privée et la Norma publique se réuniront enfin, dans le grand aveu final où sa liberté de femme amoureuse la conduit immanquablement à la mort. Même si l’on n’aime pas beaucoup les costumes et la chorégraphie (on est plus chez les cigarières de « Carmen » que chez de sévères vestales), la proposition de Braunschweig et de son équipe est cohérente et fermement menée.
Maria Agresta. Bravissimo !
Quels progrès en deux ans chez Maria Agresta ! Le timbre s’est affermi, la construction d’un personnage affirmée, les aigus sont sans faille, la voix ne tremble jamais, même au bout de ces deux heures et demie incandescentes où elle nous aura dessiné un personnage de chair plus proche de Bartoli que, même, de Callas. Bravissimo ! Sonia Ganassi est une Adalgisa très émouvante, presqu’un peu trop victime, dans une tessiture assassine qui est celle d’une mezzo avec des notes… de soprano lyrique. On est plus réservé sur le Pollione de Marco Berti (on n’est pas le seul, il s’est fait siffler !) : la puissance, la projection de la voix, certes. Mais il « détimbre » souvent ses aigus (ennuyeux pour un ténor !), relâche la ligne de chant, parfois même de manière anarchique; il réussit cependant la scène finale du sacrifice des deux amants. Riccardo Zanellato est très bien en Orovese, ce chef des druides dont on découvre sur le tard… qu’il est le papa de Norma ! On voudra réentendre le joli timbre de Marc Larcher, quand il aura appris à en développer l’ampleur.Des râles de bonheur
Bon travail de Riccardo Frizza à la tête d’un orchestre de chambre de Paris dont les cordes ont beaucoup progressé (les vents pas assez encore) : l’ouverture est menée comme une œuvre du jeune Verdi, avec vigueur et puissance et c’est la vigueur qui l’emporte ensuite, parfois au détriment de la poésie. A la fin, quand revient Maria Agresta, on entend de la part de certains des râles de bonheur. Si, si, on ne vous ment pas ! C’est l’effet que produit « Norma » sur les amateurs. Mais pour ça, il faut une Norma. On l’a.«Norma » de Vincenzo Bellini au Théâtre des Champs-Elysées
Jusqu’au 20 décembre
Mise en scène de Stéphane Braunshweig, direction Riccardo Frizza
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