Aux 50e Nuits musicales d'Uzès, un grand festival dans une petite ville, Laurence Equilbey enchante la Cour du Duché avec Mozart
Comment une petite ville comme Uzès (Gard), 9000 habitants, a-t-elle réussi a créer une scène musicale à dimension internationale ? Éric Desnoues, son directeur et Laurence Equilbey, qui y dirige cette année son orchestre Insula orchestra sur un programme Mozart (une merveille), expliquent à franceinfo Culture les raisons de ce petit miracle.
Uzès fête cette année la cinquantième édition de ses Nuits musicales, lancées par l'organiste Marie-Claire Alain à la fin des années 70, autour de l'orgue de la Cathédrale, un instrument du XVIIe siècle -l'un des plus beaux de France- classé monument historique. Annulé l'an dernier à cause de la crise sanitaire le festival propose, du 16 au 29 juillet pour cette édition anniversaire toujours soumise à la prudence, un programme resserré de neuf concerts dans deux lieux : la Cour du Duché, et l'Ombrière, nouvelle salle de spectacle de la ville.
Clair-obscur
En cet d'après-midi caniculaire, s'échappent de derrière le grand portail vert olive de la Cour du Duché quelques notes, une voix de baryton, des violons… C'est l'heure de la répétition. Dans l'ombre de la tour du Duché, Laurence Equilbey prend possession des lieux, règle les détails, donne des dernières indications aux musiciens de son orchestre Insula Orchestra. "C'est la troisième fois que je viens au festival, mais c'est la première fois que nous jouons dans la Cour du Duché", confie la cheffe d'orchestre.
"Nous avons joué dans la cathédrale, qui a une acoustique extraordinaire. La Cour du Duché, on découvre, c'est un endroit magnifique, mais le son est un peu sec. Comme il y a peu de réverbération, le son s'arrête vite, donc il faut soutenir les notes, et puis le son peut changer beaucoup aussi à la tombée du jour. Mais c'est comme ça, les musiciens doivent s'adapter", explique Laurence Equilbey. Elle redoute aussi le vent, qui fait s'envoler les partitions et le son. "Ce n'est pas idéal, j'espère qu'il va s'arrêter !" dit-elle, souriante.
Au programme, Mozart le Magnifique une version adaptée du spectacle Magic Mozart crée à la Scène musicale, où son orchestre est en résidence. "C'est une partie de ce spectacle, pour lequel nous avons gardé seulement deux solistes (Olga Pudova, soprano et Armando Noguera baryton), et auquel nous avons ajouté la 40e symphonie, que nous aimons beaucoup. Un programme pour se faire plaisir et pour faire plaisir", confie la musicienne. "Mais attention, c'est beaucoup de travail aussi, on veut faire ça bien, on ne fait pas ça par-dessus la jambe", s'amuse-t-elle.
Un programme "en clair-obscur" pour Eric Desnoues, le directeur artistique des Nuits musicales. "Avec cette 40e symphonie intimiste, en sol mineur, mélancolique, où l'ombre le dispute à la lumière des grands airs d'opéra joyeux, pleins de gaieté, d'énergie, extraits des Noces de Figaro, de Don Giovanni ou de La Flûte enchantée. C'est un bon résumé de Mozart, sa part sombre et son côté lumineux", estime-t-il. "Quand Laurence Equilbey vient au festival, je ne retouche à rien dans le programme qu'elle nous propose, c'est toujours parfait", confie-t-il. "Elle a le sens du public, elle propose toujours des choses qui vont correspondre aux attentes des spectateurs".
"J'aime beaucoup les festivals d'été, et les projets d'ouverture, avec des gens qui ne vont jamais au concert dans l'année. C'est un public très concentré, très respectueux, parfois il y a des enfants, c'est très sympa", s'enthousiasme Laurence Equilbey, qui propose à Uzès un programme court, une heure quinze sans entracte, avec des œuvres connues, qu'elle appelle des œuvres "repérées", autrement dit, des tubes. "Il faut penser au public", estime la musicienne qui confie adorer venir à Uzès, une ville qu'elle trouve "très belle, pleine de charme, poétique, et très propre, la mieux protégée de la région".
Pointillisme
Quelques heures plus tard, alors que la nuit tombe doucement, que les cigales se taisent en même temps que la chaleur se dissipe, l'orchestre s'installe sur la scène. Le duc ou ses amis sont au balcon (cela fait partie du spectacle). Le concert peut commencer. Les premières notes de la 40e symphonie de Mozart prennent leur envol dans la fraîcheur du soir.
Laurence Equilbey dirige sans baguette, mais avec tout son corps, dans une chorégraphie mettant en mouvement ses pieds, ses jambes, ses bras, ses mains, jusqu'à l'extrémité de ses doigts, son cou et sa tête, et même sa chevelure. Alternant gestes secs, larges mouvements, et ondulations comme si chaque cellule d'elle-même dirigeait sa partie, elle donne avec une précision d'horloger les indications à chacun de ses musiciens mais aussi au groupe, à ce corps que les membres de l'orchestre composent tous ensemble.
Le résultat est d'une précision extraordinaire, une œuvre pointilliste dessinant des contours à la musique, lui prodiguant un relief étonnant, une matière palpable qui donne au spectateur l'impression de saisir chaque note, chaque nuance, autant que l'harmonie symphonique toute entière, sans aucune zone floue, avec le sentiment d'entendre Mozart pour la première fois.
Un "petit miracle"
"Ce festival est un petit miracle", s'enorgueuillit Éric Desnoues, qui en a pris la direction il y a près de trente ans. "Dans les années 80, toutes les stars du monde de la musique venaient se produire à Uzès, et c'était bien avant la vague festivalière que l'on connaît aujourd'hui !", raconte le fondateur du festival de musique baroque de Lyon. Il avait alors seulement vingt ans.
Au début des années 90, les Nuits musicales périclitent. "Le festival n'avait plus de directeur et la ville l'office du tourisme qui essayaient tant bien que mal de maintenir l'événement". Mais à cette époque les choses changent, la concurrence s'installe, "et surtout, les festivals se professionnalisent" explique Éric Desnoues.
"Avec de nouvelles contraintes administratives, financières, techniques, c'était compliqué pour une petite ville comme Uzès (9000 habitants) et une trop grande responsabilité pour la municipalité, de gérer un événement comme celui-là. Ils cherchaient une nouvelle équipe pour mettre en œuvre le festival", se souvient Desnoues, qui accepte d'en prendre la direstion, tout en poursuivant son travail sur le festival de Lyon, entre temps devenu la Saison des Grands Concerts de Lyon. Les deux entités sont indépendantes, mais cette double casquette bénéficie aux Nuits musicales, ainsi "adossées" aux Grands Concerts de Lyon. "Ce qui fait la valeur d'un directeur artistique, explique Éric Desnoues, c'est son carnet d'adresses".
C'est ainsi que dans cette petite ville, avec un staff d'une petite trentaine de personnes (permanents et saisonniers) un budget serré (essentiellement composé sur la base de la billetterie, des subventions de la ville, du département et de la région, ainsi que les dons des Amis des Nuits musicales, le festival accueille chaque année les plus grands musiciens du monde, des habitués des grandes scènes internationales tels Laurence Equilbey, Jean-Christophe Spinosi (le vendredi 23 juillet avec un programme autour de Beethoven), ou encore le contre-ténor devenu une star, Jakub Jozef Orlinski, en concert le dimanche 25 juillet à l'Ombrière, la nouvelle salle de la ville, inaugurée par Philippe Jaroussky et la soprane Emöke Barath le 16 juillet dernier avec des airs d'Opéra.
"Je me réjouis de cette nouvelle salle, qui va nous permettre de proposer une programmation sur toute l'année, et pourquoi pas du lyrique, le grand plateau pourrait s'y prêter", s'enthousiasme Éric Desnoues, qui a déjà enrichi depuis quelques années son festival avec des masterclasses, animées par l'ensembre de musique baroque Les Ombres, en résidence à Uzès, destinées à de jeunes musiciens qui se produisent à l'issue des sessions de formation dans divers lieux de la ville, gratuitement.
A l'origine consacré exclusivement à la musique sacrée et baroque, le festival a élargi son répertoire à la musique romantique, et même au jazz, sous l'impulsion de la directrice ajointe du festival, Valérie Faure, et d'Éric Desnoue, invétéré "baroqueux" mais conscient de la nécessité d'ouvrir le festival à d'autres genres musicaux. "Il y avait une frustration pour une partie de la population".
"C'était génial"
La nuit est maintenant complètement tombée sur la Cour du Duché, ses façades à colonnes soulignées par un éclairage aux tonalités jaunes, rouges et bleues. Sur la scène, Olga Pudova, et Armando Noguera voix divines et jeu de cabotins, font le show sur les grands airs de Mozart. La soirée s'achève. Le public est conquis.
"Quand j'ai vu le programme, je me suis dit mais quelle idée elle a eu Laurence Equilbey de choisir ces airs remâchés. Et finalement j'ai adoré ! Ça m'a replongée dans l'enfance", raconte à franceinfo culture Marie André, parisienne installée depuis une quinzaine d'années à Uzès, membre de l'association des Amis des Nuits musicales, une habituée du festival depuis si longtemps qu'elle ne sait plus quand elle est venue pour la première fois. "Et puis j'adore Laurence Equilbey. C'est net, c'est propre, c'est parfait", ajoute-t-elle.
Toujours assis au milieu de la cour du Duché désormais vide, trois spectateurs semblent rechigner à s'arracher à l'atmosphère du moment. "C'était génial !", souffle Jean Reynaud, uzétien de souche, un "inconditionnel" qui vient aux concerts depuis une dizaine d'années. "Extraordinaire ! Je découvre et j'ai adoré", renchérit à côté de lui Isabelle Dolladille, une de ses amies de Nîmes, qu'il a convaincue de venir au festival pour la première fois. Sylvie Morceau, la troisième, une habitante de Vallabrix, un petit village des environs, était déjà venue sur les conseils de Jean il y a deux ans. "J'ai été bien déçue l'an dernier quand tout a été annulé à cause de la pandémie". Elle est revenue cette année, et pourrait bien, elle aussi prendre ses habitudes dans la Cour du Duché d'Uzès.
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