Interview "L'opéra est en chacun de nous, il suffit de le rendre accessible" : le concours Voix des Outre-mer, dénicheur de talents lyriques

La finale de la 7e édition du concours se tient dans la soirée de mercredi à l'Opéra Bastille, à Paris.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 10min
Les finalistes de la 7e édition du concours Voix des Outre-mer, le 4 janvier 2025, à l'Opéra Bastille. Ils s'y produiront le 8 janvier pour la finale du concours à 19h30. (FRANÇOIS VILLA)

Quelque 300 talents, issus de territoires ultramarins, ont été découverts et accompagnés depuis la création du concours lyrique Voix des Outre-mer dont la finale de la 7e édition se déroule dans la soirée du mercredi 8 janvier à l'Opéra Bastille.

Cédric Barabas (Martinique), Orleonne Divo Prince (La Réunion), Helena Lopez (Mayotte), Oksana Mesmin (Guyane), Livio Heafala (Nouvelle-Calédonie), Noémie Collumeau (Saint-Pierre-et-Miquelon), Thalia Garson (Guadeloupe), Mytsuru Kato (Polynésie française), Giovanni Bernabé, Laetitia Volcey, Alice You-Seen et Cassandra Bortalis (Hexagone) sont les douze finalistes de la saison 2024. Ils se produiront devant un jury présidé par Richard Martet, rédacteur en chef d'Opéra magazine et critique d'art lyrique. Ils seront rejoints sur scène par deux prestigieuses lauréates des précédentes éditions : les chanteuses lyriques Axelle Saint Cirel (2023) et Luan Pommier (2020), dont les prestations ont marqué les cérémonies d'ouverture des Jeux de Paris.

Entretien avec le contre-ténor Fabrice di Falco qui revient sur la genèse et les enjeux du concours dont il est le directeur artistique.

Franceinfo Culture : Pourquoi le contrebassiste Julien Leleu et vous-même avez lancé un concours lyrique destiné aux Ultramarins ?
Fabrice di Falco :
J'avais constaté que les artistes noirs étaient souvent Américains ou Sud-Africains sur les scènes d'opéra. Notre absence m'a interrogé et je me suis dit que j'avais beaucoup de chance de faire partie des rares chanteurs français des Outre-mer à faire une carrière internationale. Du vivant de Christiane Eda Pierre [première cantatrice noire française, originaire de la Martinique, à avoir eu une carrière internationale], nous en avions beaucoup parlé et conclu qu'il fallait créer une nouvelle génération de chanteurs qui nous succèdent. Pour cela, il faut les détecter dans les territoires ultramarins, y compris là où il n'y a pas de conservatoire, et montrer que faire de l'opéra n'est pas réservé à une élite.

Julien Leleu était un jeune contrebassiste quand il a intégré mon groupe de jazz, le Di Falco Quartet. Nous avons parcouru ensemble le monde pour la promotion de mon disque en 2016. C'est à la suite de cela qu'il m'a fait remarquer quelque chose qui me semblait logique et naturel : donner de mon temps, gratuitement, à toutes les personnes qui aimaient chanter. Il a attiré mon attention sur cette volonté de transmettre, d'aider des gens à devenir des chanteurs professionnels, comme moi, en leur prodiguant des conseils et en gardant le lien. L'association Les contre-courants, présidée par Julieu Leleu, est née en 2017 et nous avons lancé la première édition du concours Les Voix d'Outre-mer en 2018.

Plus d'un millier de candidats ont postulé pour cette édition. Comment participe-t-on au concours ?
Il suffit d'être originaire des Outre-mer pour s'inscrire. Les candidats nous envoient une vidéo d'eux où ils interprètent une chanson qu'ils aiment et un morceau d'opéra. L'équipe de professeurs référents, qui forment un jury présidé par Richard Martin d'Opéra Magazine, sélectionne une dizaine de candidats dans chacun des territoires des Outre-mer. De Wallis-et-Futuna à Saint-Pierre-et-Miquelon en passant par Mayotte –, partout dans les trois océans, nous détectons des voix que nous formons gratuitement grâce à l'association. Nous n'oublions pas tous les Ultramarins qui habitent dans l'Hexagone. Certains sont déjà inscrits dans des conservatoires nationaux ou régionaux, mais souhaitent profiter des masterclasses données par des stars de l'opéra comme Sabine Devieilhe, Ludovic Tézier ou encore Philippe Jaroussky.

Quel est l'esprit du concours ?
Nous éveillons les candidats à l'opéra et nous faisons ainsi émerger des artistes qui s'y intéressent. Certains perfectionnent leur art vocal pour pouvoir faire ce qu'ils souhaitent, mais d'autres continuent dans l'opéra, alors qu'hier, ils ne s'intéressaient qu'à la musique traditionnelle des Outre-mer, au jazz, au negro-spiritual, à la variété française ou américaine. La démarche est d'autant plus aisée quand on leur explique qu'elle est partie prenante de tous les styles de musique. Michael Jackson adorait la musique baroque et la musique des castrats. Freddie Mercury écoutait beaucoup d'opéras. Patrick Bruel adore chanter avec sa voix de ténor. Pour moi, l'opéra est en chacun de nous. Il suffit qu'il y ait des gens qui vous le rendent accessible. C'est ce à quoi travaille l'association Les contre-courants : l'accessibilité pour tous à une musique, créée en Italie, populaire, mais devenue élitiste quand des têtes couronnées et des dirigeants ont fait des commandes d'opéra.

C'est un concours ouvert qui mène à tout...
Quel que soit le niveau de solfège, le niveau du chant ou l'âge, nous sommes là pour aider chaque candidat à réaliser son rêve comme Marie-Laure Garnier, la première lauréate du concours des Outre-mer en 2019. Elle a été plus tard sacrée révélation artiste lyrique aux Victoires de la musique classique en 2021. Elle a chanté La Marseillaise à la tour Eiffel pour le 14-Juillet en 2023. Tout comme Axelle Saint-Cirel sur le toit du Grand Palais pour la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques et Luan Pommier, soprano et pianiste non voyante, qui a offert une sublime interprétation de l'hymne paralympique lors de l'ouverture des Jeux paralympiques. Le concours Voix des Outre-mers est une compétition, certes, mais aussi une rencontre avec des professionnels pour permettre aux candidats de réaliser leurs rêves : celui de devenir solistes, professeurs de chants ou choristes professionnels.

Et ils sont pris en charge...
C'est le seul concours au monde où vous n'avez pas de frais d'inscription et qui vous offre des masterclasses de perfectionnement avant le concours. Les formations sont ouvertes à tous les inscrits, mais on peut y participer également en auditeur libre. C'est aussi le seul concours au monde qui prend en charge votre transport et votre hébergement pour que vous le passiez. Nous bénéficions depuis le début de soutiens nationaux et régionaux, ainsi que de l'aide de mécènes privés et institutionnels. Par ailleurs, les candidats peuvent se présenter autant de fois qu'ils le souhaitent au concours. C'est au bout de la troisième fois qu'Axelle Saint-Cirel est devenue lauréate des Voix des Outre-mer.

Que va-t-il se passer à l'Opéra Bastille ?
Nous avons six finalistes qui se présentent pour le prix Voix des Outre-mer et six autres qui se présentent pour le prix Jeunes talents. Ils sont arrivés à Paris depuis le 26 décembre et nous avons travaillé à l'Opéra de Paris afin que tous les candidats se perfectionnent. Et chacun apprend la culture de l'autre. Ils ne sont d'ailleurs pas des rivaux, mais forment une équipe. D'autant qu'ils sont déjà gagnants. Ils sont à l'Opéra de Paris et chacun a la possibilité de se faire repérer par un professionnel, un producteur ou un agent. C'est quand même le seul concours au monde où le directeur de l'Opéra de Paris, Alexander Neef, est juré. Ces douze candidats sont impatients de se produire.

Dans quel état se trouve Helena Lopez, originaire de Mayotte qui a été ravagée par l'ouragan Chido ?
Il faut dire que la majorité des Outre-mers a vécu des situations difficiles tout au long de 2024 : la Nouvelle-Calédonie, les Antilles, Mayotte. Helena Lopez est ravagée parce qu'elle est loin de sa famille, parce que ses proches, comme tous les autres Mahorais, ont souffert de cet ouragan. Helena est indubitablement l'ambassadrice de Mayotte. Elle va montrer à tous les Mahorais qu'elle est debout et qu'elle va chanter. En novembre dernier, nous avions choisi un grand air d'opéra de Haendel qui s'intitule Lascia ch'io pianga, c'est-à-dire "Laisse-moi pleurer". Quand il y a eu l'ouragan, je lui ai dit qu'il n'allait pas être changé, car on ne va pas l'empêcher de pleurer. D'autant plus que le peuple mahorais reste debout pour rebâtir. Toutes les voix d'Outre-mer sont à ses côtés, pas pour la plaindre, mais pour partager cette force que les Mahorais ont.

La 7e édition est celle de la liberté où l'on demande à la France entière de respecter tous les outre-mer qui sont très loin de l'Hexagone. Nous savons que nous comptons pour la France. En dépit de tout ce qui s'est passé, que ce soit dans l'Hexagone ou dans les Outre-mer, nous sommes là, à Bastille, place de la liberté, dans ce haut lieu de la culture moderne qu'est l'Opéra Bastille. Un endroit où les candidats ultramarins, quelle que soit leur couleur, leur religion, leur culture, ont leur place depuis huit ans, qu'il soit autodidacte, étudiant au conservatoire, semi-professionnel ou professionnel.

Quels sont les motifs de satisfaction pour vous et Julien Leleu alors que s'achève cette 7e saison des Voix des Outre-mer ? Qu'est-ce qui vous donne envie de continuer ?
Nous n'aurions pas imaginé que l'aventure nous dépasse autant. Nous ne pensions pas avoir les ressources humaines, artistiques et financières pour aller jusqu'à Wallis-et-Futuna pour un concours qui avait démarré dans les Antilles, parce que je suis originaire de la Martinique, la Guyane et en Ile-de-France. Il n'y a pas de satisfaction, mais tout simplement le bonheur et la joie de voir des personnes que nous avons aidées et révélées à faire de leur passion un métier. En plus de les détecter et les former, il faut professionnaliser ces talents en attendant qu'ils trouvent un agent ou décrochent des contrats. Pour cela, nous organisons des concerts dans tous les opéras de France. Au-delà du concours, nous aidons chaque voix des Outre-mer, qu'elle soit finaliste ou gagnante, à se mettre dans la lumière et à réaliser le rêve que je réalise depuis trente-quatre ans.

La finale de la 7e édition se déroule le 8 janvier, à l'Opéra Bastille, à 19h30.

Elle sera diffusée le 21 janvier à 21h sur Culturebox et sur france.tv.

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