L'opéra de Lyon fait revivre le très politique "Cercle de craie" d'Alexander von Zemlinsky
Allemagne 1933. "Le Cercle de craie", dernier opéra achevé d'Alexander von Zemlinky doit être créé simultanément dans plusieurs théâtres allemands mais... l'arrivée des nazis au pouvoir remet tout en question.
Il faut dire que l'opéra, adapté de la pièce de Klabund (pseudonyme de l’écrivain et poète Alfred Henschke) tirée elle-même d'un drame chinois du 13e siècle a de quoi déclencher quelques poussées d'urticaire. "Le Cercle de craie" suit le parcours de la jeune Haïtang vendue par sa mère au propriétaire d'une maison close jusqu'à son "accession" au statut d'impératrice. Une trajectoire, de la déchéance au happy hend, pendant laquelle elle va connaître prostitution et soumission, jalousie, abus de pouvoir, corruption et même condamnation à mort.
Maison close et karaoké
Le rideau se lève sur la maison de thé de Monsieur Tong. Terme pudique qui cache la réalité d'une maison close. Richard Brunel a voulu placer cette fable politique dans l'ambiance de la Chine d'aujourdhui. Dans une ambiance de karaoké les corps à peine couverts de voiles colorés se frolent et se percutent. C'est ce monde que la jeune Tschang Haitang découvre brutalement après avoir été vendue au maître des lieux. Ilse Eerens, en jogging gris avant dêtre déshabillée pour être vêtue dans le style de la maison, joue parfaitement la candeur et la timidité d'un personnage dont le destin commence à se dessiner. Elle a le temps de connaître "l'amour" avec un prince, client fougeux de la maison Tong, dont elle croisera à nouveau le chemin.Mais Haitang est aussitôt vendue à Monsieur Ma, un autre client important de la maison close, dont elle va devenir la deuxième épouse. Le baryton-basse Martin Winkler, vu et entendu à Lyon dans "Une tragédie florentine" du même Zemlinsky, est parfait dans ce rôle de mandarin omnipotent auquel il apporte son physique imposant et sa puissance vocale.
Contre toute attente la timide Haïtang va prendre une grande place dans le coeur de Monsieur Ma... en lui donnant ce fils que sa première épouse n'a pu lui donner. Un bonheur de courte durée car Yu Pei, sa rivale (la soprano allemande Nicola Beller Carbone parfaite de machiavélisme), va la faire accuser de la mort par empoisonnement de leur époux Monsieur Ma, qui s'apprêtait à faire de Haïtang sa seule héritière.
C'est là que la vie de Haïtang bascule. Arrêtée sans ménagement elle va subir un simulacre de procès où tous les acteurs, du juge aux témoins, sont corrompus grossièrement par la première épouse de Monsieur Ma. Richard Brunel a choisi de rassembler dans un même lieu glaçant, tribunal et salle d'exécution par injection. Le message est clair : la justice sera expéditive. Elle est rendue, si l'on peut dire par le juge Tschu-Tschu. Le comédien suisse Stefan Kurt est parfait d'ignominie en juge corrompu.
Dépossédée de son enfant et condamnée à la peine capitale, Haïtang échappe à la mort, oh ironie de l'histoire, grâce au décès de l'empereur et à l'amnistie générale décidée par son fils qui lui succède. Le spectateur l'apprend par la télévision, en mode info en continue.
Du réalisme à l'onirisme
Un retournement de situation qui fait basculer l'oeuvre, du réalisme social assez noir à l'onirisme. Un passage contenu dans la partition de Zemlinsky et que Richard Brunel choisi d'accompagner en "abandonnant" Haïtang dans une forêt enneigée. On a changé de monde et d'ambiance. Le nouvel empereur n'est autre que le prince fougeux croisé un court instant dans la maison de thé. Il va rendre pleinement justice à Haïtang.Richard Brunel réussit par la sobriété de sa mise en scène et par son parti-pris à rendre très actuel ce conte chinois du 13e siècle. Il amplifie savamment la charge contre l'injustice et la corruption. Avec la complicité du chef Lothar Koenigs, il surmonte l'écueil que peut représenter un opéra où le parlé et le chanté sont très imbriqués. "Le Cercle de craie", une oeuvre rarement jouée à découvrir sans faute.
"Le Cercle de craie"
Opéra en trois actes et sept tableaux d'Alexander von Zemlinsky, 1933.
Mise en scène Richard Brunel
Direction musicale Lothar Koenigs
Tschang Haitang : Illse Eerens
Ma : Martin Winkler
Yu Pei Nicola Beller Carbone
Tschu Tschu Stefan Kurt
Prince Pao Stefan Rügamer
Tschang Ling : Lauri Vassar (Touché aux cordes vocales, le baryton estonien était "doublé" ce soir-là avec talent par Julian Orlishausen
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