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"La fille du Far West" à Bastille : une voix d'or chez les chercheurs d'or

Un opéra de Puccini mal connu chez nous, une star du chant (Nina Stemme), un metteur en scène brillant et iconoclaste (Nikolaus Lehnoff) : trois raisons d’aiguiser notre curiosité. Soirée pas tout à fait réussie quand même…
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Vue d'ensemble La Fanciulla Del West
 (Nederlandse Opera, Amsterdam/ Clärchen & Matthias Baus)

La première de cette « Fille du Far West », le 1er février, avait été houleuse. A la 4e représentation la bronca, l’odeur du scandale, se sont dissipées. Chef et interprètes applaudis et metteur en scène pas trop conspué: les spectateurs, qui avaient lu la presse, s’attendaient sans doute à bien pire…
 
Car c’est au moins une mise en scène qui existe et qui nous en met plein les yeux. Le problème qu’elle nous pose est celui souvent rencontré quand on représente une œuvre très peu connue du public : que le second degré cher au metteur en scène ne soit pas compris puisque le spectateur ignore… le premier degré, qui est l’œuvre elle-même. Ainsi, pour un Français, le second degré pourrait fonctionner avec « Carmen » ou même « Tosca » que nous connaissons par cœur. Mais « La Fille du Far West »…

Vue d'ensemble avec Alexandre Duhamel (Jack Wallace) en blanc 
 (Opéra national de Paris/ Charles Duprat)
Que raconte-t-elle ? L’histoire de Minnie, tenancière de saloon dans la Californie des chercheurs d’or. Premier malentendu : le titre français, qui est absurde puisqu’on n’est pas au Far West. « La fanciulla del West » (titre original) désigne en italien une petite enfant, tant Minnie a gardé justement son âme et sa pureté d’enfant (belle idée de Lenhoff de nous montrer ses trois ours en peluche, le rose, le blanc et l’orange, allusion à « Boucle d’Or et les trois ours » et à la vraie nature de Minnie). Et donc cette « Petite enfant de l’Ouest », mais qui tient tout de même un saloon, aimée du shérif Jack Rance, voit surgir un certain Dick Johnson, dont elle tombe évidemment amoureuse. Or Johnson est en fait le bandit mexicain Ramerrez, que traque justement le shérif. Cela pourrait très mal finir… si le Metropolitan Opera de New York, qui avait commandé l’œuvre pour Caruso et Toscanini, n’avait exigé (on est en 1910) un happy end.
 
Lehnoff, donc, détourne. Il est vrai que l’histoire est bateau, qu’une tenancière de saloon encore vierge et pure au milieu de ce troupeau d’hommes solitaires (à qui, le soir, elle fait la lecture !), n’est pas bien crédible, moins encore le bandit au grand cœur… et qui n’a jamais tué personne, dans cet extrême Ouest sans foi ni loi. Mais il y avait là quelque chose qui a ému Puccini, c’est la solitude et la souffrance de ces misérables mineurs perdus loin de chez eux (c’est l’atmosphère même de « La ruée vers l’or » de Chaplin) et qui trouve en Minnie une mère, une sœur, une amante impossible. Cela, Lehnoff l’escamote complètement… et tout le long du spectacle, on n’est jamais ému.

Le rideau s’ouvre sur un saloon… des années 50, il n’y manque ni les flippers ni les bandits manchots, et sur fond de gratte-ciel. On se demande déjà pourquoi, au milieu d’une si grande ville, les personnages chantent qu’ils sont éloignés de tout ! Quant aux scènes (intimes) entre Minnie, Jack et Dick, elles se feront au milieu d’un fatras de tables et de chaises, ce qui ne les aide guère. Bref, on s’embête un peu.

Le 2e acte est le plus réussi : la roulotte de Minnie est un « dinner » rose bonbon sur fond de paysage de neige, avec aurore boréale et… deux faons en dieux de l’amour : enfin seuls, Minnie et Dick peuvent s’avouer leur flamme avant que la tragédie ne les rattrape. Au 3e acte, un cimetière de voitures où se prépare la pendaison de Dick avant que Minnie ne surgisse sur un escalier doré en star de la Columbia (rugissent les lions de la MGM) pour emporter son amant. C’est toujours aussi hors-sujet mais amusant et spectaculaire d’autant que Puccini nous délivre en conclusion un curieux message christique sur l’amour, détourné évidemment par Lehnoff, cette fois avec raison.
Nina Stemme est une Jonas Kaufmann au féminin. Elle chante tout, Wagner, Verdi, Beethoven. Elle a des aigus magiques, des graves superbes, une ligne de chant parfaite et après un premier acte contraint, elle explose (son cri d’hystérie au 2, quand elle pense avoir sauvé Dick des griffes de Jack, est d’une très grande…). A peine quelques notes vibrées dans le médium du soprano ne sont-elles pas dignes d’une telle prima donna. Marco Berti est un bandit de belle voix malgré un aigu trop serré, Claudio Sgura en shérif a le physique et l’organe sombre et velouté du méchant.
Carlo Rizzi met un acte avant de réduire la puissance de l’orchestre. Il rend très bien les beautés orchestrales de cette musique. Car c’est un autre paradoxe de l’œuvre : crescendo sur deux notes, rythmiques à la Stavinsky ou à la Carl Orff, utilisation superbe du registre grave des bois, il y a quelque chose d’inédit (malgré les rappels de « Tosca » et de « Butterfly ») dans le traitement puccinien de l’orchestre. Mais, pour les amateurs de chant, peu de grands airs, peu de mélodies, ce qui explique aussi pourquoi cette « Fille du Far West » vient si rarement accoster sur nos rivages.    

La Fanciulla Del West (1910), de Giacomo Puccini à l'Opéra Bastille
10 représentations du 1er au 28 février 2014
Direction musicale : Carlo Rizzi - Mise en scène : Nikolaus Lehnhof - Décors : Raimund Bauer - Costumes : Andrea Schmidt-Futterer - Lumières : Duane Schuler - Vidéo : Jonas Gerberding - Chorégraphie : Denni Sayers - Chef du Chœur : Patrick Marie Aubert
Tél : 01 40 01 19 70


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