"La flûte enchantée" à l’Opéra Comique : Mozart en cinéma muet
Après deux œuvres contemporaines – "Miranda", relecture très actuelle de Purcell et de Shakespeare, mise en scène par Katie Mitchell, puis "Kein Licht", création de Philippe Manoury à partir de textes politiques d’Elfriede Jelinek – la Salle Favart revient à un répertoire on ne peut plus classique avec "La flûte enchantée" de Mozart.
Rencontre des différents arts
Classique, mais dans la droite ligne de la direction prise par Olivier Mantei, à la tête de l’Opéra comique : d’un côté, on reste dans le stricte répertoire d’opéra comique, qui alterne dialogues parlés et airs chantés, avec ce "singspiel" (équivalent allemand). De l’autre côté, surtout, on est dans une démarche de rencontre des arts où se mêlent, avec un œil extrêmement contemporain, opéra, théâtre, concert, vidéos, arts graphiques et autres animations…Il ne s’agit pas cette fois-ci d’une création propre. La Salle Favart accueille une production imaginée à la fois par le metteur en scène allemand Barrie Kosky et une bande d’artistes britanniques hyper-imaginatifs, le "Collectif 1927". Leur source d’inspiration première : le cinéma d’avant l’arrivée du parlant qui date, justement de 1927 (d’où le nom du collectif), auquel s’ajoutent toutes sortes de contributions artistiques selon les spectacles.
Oubliez les trois dimensions
Oubliez vos repères, les trois dimensions habituelles de la scène et pensez vertical : les chanteurs-comédiens et le décor occupent la place d’un écran de cinéma. L’œil du spectateur s’en voit bouleversé, prêt à se laisser séduire par mille astuces visuelles (vidéo et lumières) qui permettent cette magie. Il y a d’abord l’univers du cinéma muet et des Années folles, marque de fabrique du Collectif : un noir et blanc dominant (mais pas exclusif), des acteurs au visage grimé de blanc… et des références précises, comme Louise Brooks (pour Pamina) ou le magnifique Nosferatu (Monostatos, le cruel serviteur de Sarastro, qui tient prisonnière Pamina, la fille de la Reine de la Nuit). Même le son du pianoforte sur les récitatifs avec des extraits de la Fantaisie n°4 en do mineur et de la n°3 en ré mineur de Mozart, cadre avec l’atmosphère.S’ajoutent les (remarquables) dessins animés créés par Paul Barritt – avec lesquels doivent composer les chanteurs-comédiens – évoquant un univers graphique très riche, des comics des années 30-40 à la bande dessinée récente (aux accents de Lorenzo Mattotti notamment) en passant par le pop art de Lichtenstein.
C’est globalement fin, drôle (le second degré est permanent), parfois même d’une grande poésie, comme dans l’air très réussi de Pamina, "Ach, ich fühl’s" (Pamina pleure sur son amour déchu) où la soprano Vera-Lotte Böcker chante couverte de flocons (dessinés) blancs puis noirs.
Conte philosophique
Le risque, avec ce genre d’expériences artistiques sur scène, est l’exercice de style comme finalité. Mais l’outillage esthétique est ici utilisé à propos. Certes on regrettera un air de la Reine de la Nuit décevant notamment parce que cette dernière (Christina Poulitsi) semble coincée dans son costume et sa position (dans une sorte de balcon émanant de l’écran), et est donc dans l’incapacité d’exprimer l’émotion nécessaire. Mais dans l’ensemble, la richesse graphique de cette "Flûte" sert le propos narratif et philosophique de l’œuvre de Mozart.On y évoque avec force imagination le conte, la dimension magique et le voyage onirique (la montgolfière insecte qui transporte les trois garçons, les animaux robots, etc.) : les personnages effrayants comme la Reine de la Nuit, araignée géante autoritaire (et quelque peu kafkaïenne) à la tête d’extraterrestre, ou hilarants d’autodérision comme les Trois Dames, ou poétiquement ridicules comme Papageno participent également de cet esprit.
On y traite enfin aussi avec humanité les vertus de la sagesse, le cheminement par l’épreuve et la rencontre nécessaire entre âmes seules ou perdues (Papageno, Tamino, Pamina, sa mère, etc.), qui enfin trouvent un sens à leur existence.
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