La Folle "Folle journée" de Nantes, en direct, avec Bertrand Renard !
Nicholas Angelich, comme un cosmonaute marchant sur la lune
A l'instant, un tellurique 3e concerto pour piano de Prokofiev par le doux géant Nicholas Angelich, qui entre en scène comme un cosmonaute marchant sur la lune. Les terribles difficultés de cette oeuvre, vu sa stature et la puissance de ses mains, paraissent une formalité pour lui. Pourtant que de musique, que de maîtrise, que de travail derrière cette décontraction !
Le lieu unique rejoint la Folle Journée
Ce matin, j'ai inauguré la belle nouvelle salle (500 places) du Lieu Unique, murs latéraux dans toutes les gammes de roux et grand fond noir. C'est parfait pour le Terem Quartet, quatre Russes jazz et world music... à la russe avec énorme balalaïka en forme de raie manta géante, deux domras (des banjos slaves) et accordéon. Les adultes dispersés dans la salle semblent les accompagnateurs d'une immense classe d'école primaire. Devant moi, Saouna et Sarah, 6 ans, dansent au son de l'instrument "qui s'ouvre et qui se ferme" (l'accordéon) pendant que Matteo et Ronan, 6 ans aussi ("bientôt 7") écoutent sagement l'histoire de grands musiciens, Tchaïkowsky qui rend visite aux Esquimaux... en musique, ou Rimsky-Korsakov qui rapporte chez lui un gentil dragon japonais et plaint la princesse-cygne frigorifiée dans sa mer du Nord et qui rêve de se réchauffer dans les mers du Sud. Nous aussi.
"Le Renard" de Strawinsky": pom-pom girls habillées en poules
L'après-midi dans la même salle, une incroyable représentation du "Renard" de Strawinsky. C'est un conte burlesque et grinçant (texte très drôle du grand auteur suisse Ramuz) sur un renard déguisé en religieux pour piéger un coq qui parade et drague les poules. Le coq, idiot, se fait plumer mais un chat et un bouc vont les sauver pour des raisons un peu confuses. Ca commence par une partie pédagogique, exemples musicaux à l'appui, sur les trouvailles et les intentions de Strawinsky. Puis, devant les musiciens en queue-de-pie et les chanteurs habillés en bonnes soeurs, un ring rouge avec des bottes de foin est envahi par des catcheurs à la mexicaine (mais avec belle queue rousse de renard, crête de coq, oreilles de chat !) qui miment l'histoire (pendant que les autres la jouent et la chantent) avec des cris de victoire, des roulades acrobatiques et des pom-pom girls habillées en poules (Strawinsky avait prévu des clowns et des acrobates). A la fin, chef d'orchestre, chanteurs et musiciens se précipitent sur les catcheurs, toute le monde se tape dessus, roule dans le foin, castagne générale devant un public hilare et médusé qui a tout de même remarqué la très haute qualité musicale de ces fous furieux qui forment à eux tous une compagnie: Le Balcon !
Le "Trio" de Tchaïkowsky avec Renaud Capuçon
Difficile de passer de ce merveilleux moment déjanté au "Trio" de Tchaïkowsky (pour piano, violon, violoncelle), en forme de Requiem magnifique et tragique à la mémoire de son ami Nicolas Rubinstein ! Un trio, c'est un équilibre entre trois instruments dont aucun ne doit être "au-dessus" ou "au-dessous". Je fais confiance à Renaud Capuçon, à l'incroyable écoute qu'il a de ses partenaires, pour nous donner la plus tragique et la plus belle partie de violon qui soit. Je suis plus inquiet pour la très belle pianiste géorgienne Katia Buniatishvili que j'ai entendue gâcher une oeuvre de Liszt à force de virtuosité tapageuse. Et je redoute que Yann Levionnois, le tout jeune violoncelliste, soit un peu écrasé, malgré sa musicalité, par ses deux partenaires. L'une au-dessus, l'autre en-dessous donc ? J'ai été rassuré. Très souvent. Pas toujours. Qu'on est exigeant avec les grands artistes !
"Le clavier de lumière" de Scriabine avec Korobeinikov : un sourire enfantin et une raideur de maréchal
Je vous avais parlé du "clavier de lumière" de Scriabine pour son "Prométhée". Nous l'avons eu. Pas tout à fait comme Scriabine en rêvait, chaque touche de piano déclenchant sa propre couleur, mais comme l'a imaginé Madjid Kahimi, créateur lumière. Le pianiste Andreï Korobeinikov en chemise blanche est à son piano comme sur une île entourée de musiciens en hauts blancs eux aussi, hommes et femmes. Et les choeurs, dans le fond, en blanc. Seul le chef, Misiyoshi Inoue, est en beige. De petites lampes sous les partitions, des taches de clarté sur les murs mats et trois hauts lampions suspendus façon papier japonais qui s'éclairent suivant les impulsions du piano de couleurs rêveuses, abricot, verts prairie ou tilleul, roses pâles, groseille, gris ambré, bleus pervenche ou lilas, jaune soleil et blanc de lin. Un ravissement pour l'oeil et du grandiose pour les oreilles. Korobeinikov a 25 ans. Il hésitait à faire pianiste. Alors il a fait des études d'avocat très poussées et quand il a eu tous ses diplômes - très jeune !, il a finalement rechoisi le piano. Il joue Scriabine de manière hallucinée et... hallucinante et quand il salue, c'est avec un sourire enfantin et une raideur de maréchal soviétique.
Le comédien Didier Sandre narrateur de l'"Histoire du Soldat" de Strawinsky
Retour au Lieu Unique. Et suite du feuilleton Strawinsky-Ramuz avec l'"Histoire du Soldat". C'est l'éternel conte du soldat qui vend son âme au diable, en l'occurrence son violon puisque le soldat est violoniste et revient de la guerre. Le texte (épatant) de Ramuz est dit par ce merveilleux comédien de théâtre qu'est Didier Sandre, qui est le narrateur mais aussi le soldat, le diable, le diable en vieille dame, le roi et la princesse, sa fille ! Strawinsky avait prévu plusieurs intervenants. L'âme du soldat, et l'âme de l'oeuvre, c'est le violon, celui de François-Marie Drieux, violon solo de l'Orchestre de Poitou-Charentes, un de ces orchestres de province qu'on ignore à Paris et qui compte de merveilleux musiciens sous la houlette ici du discret Jean-François Heisser (la discrétion est souvent synonyme de grand talent). C'est moins délirant que "Renard", plus amer encore, comme une tragédie modeste, et cela plait beaucoup. Il est vrai, comme le disent des jeunes devant moi, qu' "on comprend l'histoire puisqu'on nous la raconte !"
Le monde classique est composé de gens normaux, rigolards et déconneurs...
Et puis des quatuors à cordes de Chostakovitch et Prokofiev. La musique magnifique et douloureuse de l'un, âpre et torturée d'un Prokofiev prisonnier de sa patrie. Et un jeune quatuor tchèque (la Tchéquie, terre étonnante du quatuor à cordes), le quatuor Haas. Surprise: un quatuor paritaire. C'est une première, je crois. Les deux femmes violonistes en pantalon (la blonde aux magnifiques frisures et la rousse à queue de cheval), les deux hommes... Tiens, le violoncelliste a des poignets de force et la chemise ouverte. On se dit: c'est un groupe rock égaré aux "Folles Journées". Evidemment non et sa musicalité est magistrale.
Tout de même: jamais vu ça, un violoncelliste qui joue en se balançant avec son instrument, façon balancier d'horloge comtoise. Et alors? Contrairement à ce que pensent beaucoup (trop) d'ignorants y compris (et surtout) dans les hautes sphères, le monde classique est composé de gens normaux, rigolards et déconneurs, qui préfèrent simplement le destin de Mozart à celui d'Elton John. Ah ! bon, Mozart, dans la vie, était lugubre? Dîtes, vous avez vu "Amadeus"?
Les écoliers de la Regrippière à la "Folle journée" de Nantes
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