L’antimilitariste "Owen Wingrave" de Britten assiège l’Amphithéâtre Bastille
L’Union Jack flotte en grand sur la scène d’"Owen Wingrave", de Benjamin Britten, à l’Amphithéâtre Bastille.
En très grand, même, car l’image (projetée) du drapeau britannique couvre la totalité d’un mur qui s’impose sur toute la largeur du plateau. Mais à y regarder de plus près, parmi les ombres créées par le flottement du drapeau, se détachent peu à peu les silhouettes noires d’oiseaux qui s’envolent.
Faucon va-t-en-guerre…
L’image, belle et prenante, créée par le metteur en scène irlandais Tom Creed, évoque à elle seule la tension que porte cet opéra. L’oiseau est-il, à l’image de tous ces autres rapaces qui plus tard dans le spectacle peuplent la scène, un faucon va-t-en-guerre, symbole de la tradition militaire de la famille Wingrave ?Ou est-il plutôt le contraire, le symbole d’une tentative d’évasion de ce schéma national étouffant ? Le propos de cet opéra, tiré d’une nouvelle d’Henry James, est celui-ci : Owen Wingrave, dernier né et seul héritier de l’illustre famille, va annoncer d’abord à son ami, Spencer Coyle qui est aussi son instructeur militaire, puis à sa famille, qu’il a décidé de ne pas embrasser la carrière militaire. Parviendra-il à imposer sa décision et partager sa vision pacifiste, voire seulement à continuer à vivre dans sa famille malgré sa décision ?
Chez les Wingrave, à Paramore, on ne badine ni avec le sabre ni avec l’honneur. Les héros morts au champ de bataille hantent les lieux comme, sur le plateau, les ombres oppressantes de ces aigles impressionnants, aigles accrochés à leur socles. Pourtant, hormis Owen (le baryton Piotr Kumon), tout le monde y trouve son compte : Kate (la mezzo Farrah El Dibany), la fiancée de l'héritier, et sa mère Mrs Julian (la soprano Laure Poissonnier), et surtout Miss Wingrave, la tante d'Owen. L'énergique soprano Elisabeth Moussous jaillit le plus souvent du haut des escaliers de l'Amphithéâtre apostrophant ses détracteurs. Proche du patriarche Sir Phillip (le ténor Juan de Dios Mateos Segura), elle est la garante de la tradition : "A Paramore, nous n'avons pas besoin de nouveaux idéaux", chante-telle très convaincante. Et de partout, cette remontrance : "How dare you", "comment oses-tu trahir nos ambitions ?" Qui veut d'un changement ou d'une quelque ouverture ? Rigide et intransigeante, la famille est un mur d’incompréhension. Comme celui qui gît sur scène, clin d'oeil à tous ces murs de repli, d'enfermement ou d'exclusion que l'on veut ériger peu à peu ici et là dans le monde.
Un autre combat
Paradoxalement dans cet opéra, l’institution militaire finit par avoir, en quelque sorte, le beau rôle. Après la consternation et la déception (Owen Wingrave n’était-il pas le plus doué pour la chose militaire ?), l'instructeur Coyle (le baryton basse Mikhail Timoshenko) finit par accepter la décision d'Owen. Il faut dire qu’entre l’enthousiasme belliqueux du jeune Lechmere(le ténor Jean-François Marras), jeune confrère d’Owen, courageux mais sot et l’attitude compréhensive de son épouse, Mrs Coyle (portée avec fougue par la soprano Sofija Petrovic) Spencer Coyle n’a pas de mal à pencher pour la seconde. Non, Owen n’est ni un traître, ni un capricieux, il porte seulement un autre combat.La finesse du livret de Myfanwy Piper qui s’amuse des notions d’ennemi (on est toujours l’ennemi d’un autre), de barbare (idem) ou de guerre (gagnée ou perdue) pour en proposer un renversement sémantique et philosophique proche de Pirandello, est l’un des plaisirs de cet opéra. Piper sert le propos éminemment anti-militariste de Benjamin Britten. Objecteur de conscience pendant la seconde guerre mondiale et pacifiste convaincu, le compositeur britannique crée "Owen Wingrave" en 1971 alors que la guerre du Vietnam fait encore rage.
Contraste
Le contraste entre la musique savante, riche et libre (dans ses mille influences, belcanto italien, baroque anglais, musique dodécaphonique), tour à tour joyeuse dans ses pizzicatos de harpe et grave dans ses cuivres, et son propos contestataire et parfois moqueur, est savoureux. On trouvera l’écho de ce ton dans une production cinématographique variée concernant la guerre, de MASH (de Robert Altman, sur la guerre de Corée) au "Sens de la vie" des Monty Python (sur la guerre de 14), et surtout dans "Non ou la vaine gloire de commander" de Manoel de Oliveira, avec sa mémorable (et hilarante) scène du camion où les militaires portugais envoyés en Angola confrontent dans un langage fleuri leurs opinions sur le bienfondé impérialiste ou la vacuité de leur action africaine…"Owen Wingrave"
Opéra en deux actes de Benjamin Britten
Direction musicale de Stephen Higgins
Mise en scène de Tom Creed
Amphithéâtre Bastille
Les 22, 24, 26 et 28 novembre 2016 à 20 heures
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