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Les "Dialogues des Carmélites" d'Olivier Py touchés par l’Esprit

Le chef-d’œuvre de Poulenc (à l’occasion du cinquantenaire de sa mort) dans une mise en scène (encore une !) du brillant (mais contesté) Olivier Py, un quatuor de stars féminines du chant français, Patricia Petibon, Véronique Gens, Sophie Koch, Sandrine Piau (remplacée par Anne-Catherine Gillet pour la première). On avait un peu peur: la mariée serait-elle trop belle ? On est rassurés…
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Patricia Petibon, Blanche de la Force
 (©Vincent Pontet-WikiSpectacle)

Il fallait être gonflé (ou inconscient) pour penser intéresser, en 1957, avec cette histoire des Carmélites de Compiègne, guillotinées à la fin de la Terreur. Parler de la grâce divine à l’heure de Sartre et de Camus, rappeler le fanatisme de la Révolution française quand tous les historiens de celle-ci en faisaient une lecture où Robespierre était le génial précurseur de Marx. Le faire dans un langage musical  « accessible » à l’époque de la musique sérielle. Et aussi… nous faire vibrer plus de deux heures pour des destins féminins, les hommes n’y ayant que des rôles annexes.

Bien sûr le texte y est pour beaucoup. Celui de Bernanos, l’auteur de la pièce (même revu par Poulenc): on a rarement entendu dans un opéra une langue aussi belle, parlant de choses aussi intelligentes avec des mots tout simples, presque du quotidien. Mais ce texte, qui parait presque impossible à mettre en musique quand on le lit, Poulenc y parvient par des phrases musicales amples, des rythmes qui épousent sa respiration naturelle, avec une évidence et une élégance absolues. Evidemment cela demande des chanteuses qui soient aussi de sacrées comédiennes.

Olivier Py joue la simplicité, la sobriété, mais sans jamais oublier la grandeur et la grâce
On craignait qu’Olivier Py, le catholique (souvent) excessif, surcharge (c’était si tentant) sa mise en scène de symboles chrétiens, d’encens et de myrrhe. Or il joue la simplicité, la sobriété, mais sans jamais oublier la grandeur et la grâce. Le destin de Blanche de La Force, dernière novice du Carmel, est le  fil rouge qui nous conduit à ces femmes liées à la même communauté mais qui se retrouveront seules quand elles seront face à Dieu. Py, en cela fidèle à Poulenc, montre avec beauté et simplicité que leur enfermement n’est pas un problème (l’hôtel particulier du père de Blanche, si surpris par la décision de sa fille, est plus lugubre encore que le couvent) ni toujours la force de leur foi un soutien, et que l’énigme dernière de la relation à Dieu de ces femmes est autant celle de leur (notre) relation à la Mort.

La  mise en scène de Py (et son excellente direction d’actrices) s’appuie aussi sur les décors superbes de son vieux complice, Pierre-André Weitz : panneaux qui se séparent doucement en formant une croix, ouverture lumineuse sur de hautes frondaisons (mais c’est aussi du dehors que viendront les bourreaux), rais de lumière en forme de barreaux, vue en plongée sur le lit d’agonie de la première prieure lors de la terrible et admirable scène de la mort de madame de Croissy.
Des décors de Pierre-André Weitz
 (©Vincent Pontet-WikiSpectacle)
Patricia Petibon : une incarnation de Blanche juste, sensible, sans trucs et sans effets
Distribution impressionnante. Mais d’où viennent aussi mes (infimes) réserves. Philippe Rouillon (quelle diction !), Topi Lehtipuu, François Piolino et les autres rôles masculins sont globalement excellents. Mais ce sont évidemment les femmes que l’on attend. Alors oui, les changements constants de registre et l’usure de la voix de Rosalind Plowright en madame de Croissy sont parfois pénibles; mais l’agonie de cette femme qui s’est préparée toute sa vie au rendez-vous avec Dieu et qui, au pied du mur (au pied de la Croix), dans sa prison de draps d’un blanc janséniste, succombe à la panique face à l’inéluctable, est d’une grande tragédienne. Oui, la ligne de chant de Véronique Gens manque parfois de souplesse mais elle est une bien belle madame Lidoine, toute d’humanité et de noblesse. Anne-Catherine Gillet a une voix ravissante malgré des  aigus sans ampleur  et que sa Constance est touchante, à la fois naïve et habitée ! Le chant de Sophie Koch, on le sait, n’est pas toujours contrôlé mais elle est une mère Marie de grande classe, intraitable et blessée.

Quant à Patricia Petibon, c’est elle qui se sort le mieux des terribles pièges (en particulier de tessiture) tendus par Poulenc à ses chanteuses préférées (Denise Duval, Rita Gorr, Régine Crespin, les créatrices… !): magnifique médium, aigus impeccables, belles moirures dans la voix, une incarnation de Blanche juste, sensible, sans trucs et sans effets.
"Dialogue des Carmélites" d'Olivier Py
 (©Vincent Pontet-WikiSpectacle)
Ces si fortes individualités forment une communauté de chanteuses qui correspondent pleinement à leurs personnages. Jérémy Rohrer les soutient constamment, à la tête d’un Philarmonia un peu trop uniformément sonore: il insiste sur la puissance et le souffle de la partition, parfois au détriment de sa poésie. La scène finale –une des plus belles de toute l’histoire de l’Opéra-, la montée à la guillotine des Carmélites au son d’un « Salve Regina » dont les voix s’effacent peu à peu, est un piège dont Py se sort plutôt bien. Blanche, qui aurait pu se sauver, y rejoint ses sœurs, moins par aspiration au martyre que pour rester solidaire de celles qui l’ont accueillie dans leur communauté. C’est donc une communauté que l’on applaudit chaleureusement, dont chacun a eu sa part dans la réussite de ses « Dialogues ». La plus grande, on l’espère, dans les esprits, revenant à Poulenc.
"Dialogues des Carmélites"
 (©Vincent Pontet-WikiSpectacle)
« Dialogues des Carmélites » de Francis Poulenc au Théâtre des Champs-Elysées
15 avenue Montaigne, Paris VIIIe
Les 13, 15, 17, 19, 21 décembre


En direct sur Culturebox, le 21 décembre 2013 à 20 heures

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