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Magique et majestueuse Cecilia Bartoli dans "Alcina" de Haendel

Cecilia Bartoli éblouissante dans une production de "Alcina" de Haendel classique, mais pleine d'esprit, subtile et franchement drôle. Toute la distribution très applaudie, à commencer par Philippe Jaroussky, magnifique Ruggiero, et même Julie Fuchs, pourtant aphone lors de la première, mais excellente comédienne, épaulée par la voix de Emöke Barath. Au Théâtre des Champs-Elysées jusqu'au 20 mars.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
"Alcina" au Théâtre des Champs-Elysées.Cecilia Bartoli au centre de la scène.
 (Vincent Pontet)

Soir de première au Théâtre des Champs-Elysées ce 14 mars : l'opéra "Alcina" de Haendel, l'un des derniers du compositeur londonien et l'un des plus connus, y est donné dans la production de Christof Loy avec la direction musicale d'Emmanuelle Haïm et un casting rêvé : Cecilia Bartoli, Philippe Jaroussky et Julie Fuchs pour ne citer qu'eux, excusez du peu. Le théâtre affiche complet, public des grands jours. La soirée démarre sur de tristes auspices, la soprano française Julie Fuchs, souffrante, doit déclarer forfait, mais on choisit de la maintenir sur scène pour jouer son rôle avec la voix assurée par la Hongroise Emöke Barath, depuis la fosse. Idée qui s'avère très vite remarquable.

Alcina dans son île magique

Illusion, manipulations, magie : bienvenue dans le merveilleux monde de la reine Alcina ! En son royaume insulaire, Alcina vit un amour absolu - comme une monarchie peut être absolue – avec Ruggiero, celui de ses amants qui est parvenu à conserver une forme humaine  - les autres ont été balayés et transformés en animal, en plante ou en rocher… Ruggiero lui est totalement dévoué, Alcina contrôle tout : sentiments, pouvoir… La vie ne saurait donc être plus belle en son palais doré.
Philippe Jaroussky en Ruggiero soumis et Cecilia Bartoli en Alcina tyrannique mais amoureuse.
 (Vincent Pontet)
Oui, mais. C'est sans compter que Ruggiero n'était pas un homme seul avant de rencontrer Alcina. Sa fiancée, Bradamante, est bien décidée à le récupérer, aidée par l'ami Melisso. Travestie en homme, elle parvient à s'introduire dans l'île. Progressivement, en trois actes et quelque trois heures de spectacle, la bascule a lieu : Ruggiero retrouve ses esprits, libéré du sortilège d'Alcina, recouvre son amour premier et Alcina, battue, découvre à son tour ce qu'est la fragilité.

Glissement

C'est ce glissement que raconte le "Alcina" de Chistof Loy : glissement d'abord des rapports de force et de pouvoir entre Alcina (et son clan) et Ruggiero (et son clan), transformation ensuite des sentiments amoureux, après une phase intermédiaire particulièrement riche en rebondissements, trahisons, confusions des sexes, retournements… qui embarque tous les personnages présents sur scène. C'est subtil, drôle, et magnifiquement interprété.

Cecilia Bartoli est une Alcina merveilleuse et tyrannique face à Philippe Jaroussky, un Ruggiero homme fantoche, précieux et ridicule, trop élégant dans sa parure baroque. Arrogante, affichant sa puissance par un sourire de satisfaction, Alcina est pourtant sincèrement amoureuse : "Di', cor moi quanto t'amai", chante-t-elle dans le premier acte. Surtout la mezzo-soprano romaine est magnifique quand, accusée d'être infidèle, elle se défend : "Demande à mes yeux, à mes lèvres, si c'est encore moi !". La souffrance est palpable, sa voix touche en profondeur et pourtant son autorité demeure. Mais ça ne durera pas. Merveilleux acte II où la redistribution des cartes est en cours mais Haendel parvient toujours à faire croire à un retournement de situation. Ruggiero revigoré, Alcina semble avouer qu'elle perd pied : "Mais que fait Alcina à gémir ? Je suis reine, il est temps encore".

Cecilia Bartoli bouleversante

Cecilia Bartoli est bouleversante dans cet air "Ah, mio cor, schernito sei !". Dans la salle, on entendrait les mouches voler. C'est déjà trop tard pour Alcina : "Tu peux m'abandonner seule en pleurs ?", demande-t-elle à Dieu. Mais, en vrai, elle ne pleure pas. 

La bascule a lieu avec le très délicat "Verdi prati" que livre Philippe Jaroussky, beau Ruggiero désormais en costard cravate en signe de guérison définitive. L'homme recouvre l'amour, le vrai – car c'est bien de ça qu'on parle – à mesure que son identité se précise : dans "Mi lusinga il dolce affetto", Ruggiero se laisse séduire par "un doux sentiment" à la vue de sa bien-aimée Bradamante, la très convaincante mezzo Varduhi Abrahamyan. C'est à elle qu'il doit son salut, et Christof Loy a imaginé avec intelligence et pudeur son entreprise de reconquête de Ruggiero, même lorsqu'elle se met à nu littéralement.

Julie Fuchs excellente comédienne

A noter enfin, dans les jeux de l'amour, celui de Morgana, délicieuse Julie Fuchs, étincelante dans ses jeux de séduction et de provocation à l'égard de Ricciardo qui n'est autre que Bradamante déguisée.
Julie Fuchs (Morgana) et Varduhi Abrahamyan (Bradamante/Ricciardo).
 (Vincent Pontet)
Dans le dernier air du 1er acte, "Tornami a vegheggiar", Morgana prie l'amant de revenir l'envoûter. De la fosse, Emöke Barath parvient parfaitement à donner chair au jeu de Julie Fuchs et cette dernière prouve encore une fois qu'elle est une excellente comédienne. Elle danse, elle flirte, elle rit. Mais lorsque Morgane découvrira, dans l'acte III, que cet amour-là (avec Ricciardo) est impossible, elle s'illustrera par un chant d'une grande finesse pour reconquérir son précédent amant, Oronte (Christoph Strehl).

Le triomphe du théâtre

Trois actes, trois décors, trois univers distincts voient le triomphe du théâtre dans cet "Alcina". D'abord grâce à une direction d'acteurs de tous les instants. Aucun présence sur le plateau, aucune action, même immobile, ne sont innocentes et tous les chanteurs parviennent à faire vivre leur rôle y compris en dehors du chant.
Le théâtre baroque.
 (Vincent Pontet)
Christof Loy offre ensuite des tableaux pertinents et très beaux. Théâtre baroque, vertical, des grandes heures d'Alcina où la danse d'apparat et les dorures restent en haut quand la vie, elle, se passe au niveau inférieur. Théâtre contemporain quand la scène circule de manière horizontale dans trois espaces communicants. L'éclat du palais baroque a laissé la place à des cloisons délabrées d'un royaume en décrépitude et qui n'ensorcelle plus. Théâtre classique enfin, dans le troisième acte, qui offre pour le finale un écrin à l'humour et à la danse. Une chorégraphie digne d'une comédie musicale qui embarque en marche et en rythme vers l'ultime dénouement.

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