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Opéra Garnier : "Le Cid", le retour

A l'Opéra Garnier, à Paris, "Le Cid", opéra français de Jules Massenet, fait son grand retour presque un siècle après sa dernière représentation. L'occasion de retrouver la musicalité des vers de Corneille, scandés avec l'aisance habituelle par Roberto Alagna qui tient le rôle titre. Quand le roman de cap et d'épée flirte avec le drame d'amour.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Roberto Alagna est Le Cid à l'Opéra Garnier, jusqu'au 21 avril 2015.
 (Agathe Poupeney/Opéra national de Paris)

"L'Opéra de Paris m'invite à diriger Le Cid – c'est formidable – mais depuis quand cette œuvre n'avait-elle plus connu les honneurs de notre première scène ? (…) Des vingt-cinq opéras de Massenet, combien ont été joués à Paris ?" Un coup de gueule poussé par le chef d'orchestre Michel Plasson, du haut de ses cinquante ans de carrière, dans le journal de l'Opéra de Paris, "En scène". Il illustre l'enthousiasme que rencontre le retour du "Cid" dans la capitale avec au pupitre ce spécialiste de musique française. Près de cent ans en effet que l'œuvre n'était pas proposée à Paris (c'était en 1919 la dernière fois), un opéra qui a été expressément créé, il y a de ça précisément 130 ans, pour un Palais Garnier tout juste construit. Ce grand opéra français y revient après avoir été créé à Marseille en 2011, dans une production portée déjà par Roberto Alagna dans le rôle-titre.

Héroïsme, sens de l'honneur et drame amoureux

Rappelons l'histoire, car pour beaucoup, les vers de Corneille appartiennent aux vagues souvenirs d'école. Nous sommes à la fin du XIe siècle : Rodrigue est un valeureux soldat qui s'est illustré dans les guerres de reconquête de l'Espagne sur les Maures, d'ailleurs son surnom le confirme : "Campeador", le victorieux (ou le "Cid" quand il est célébré par ses adversaires).

Rodrigue, dit "le Cid" est armé Chevalier par le roi.
 (Agathe Poupeney/Opéra national de Paris)
Pour tout cela il est promu Chevalier et son avenir s'annonce radieux, il se voit déjà épouser Chimène. C'est sans compter un événement qui remettra tout en cause : l'offense que subit Don Diègue, le père de notre héros, par le Comte de Gormas. Don Diègue, militaire vieillissant, demande à son propre fils de le venger en tuant son offenseur, qui n'est autre que le père de sa promise… Ce qu'il fera. Avant même de tuer le Comte de Gormas, Rodrigue comprend son malheur : "Devais-tu m'imposer, ô fortune cruelle, pour ma première épreuve une épreuve mortelle ! (...) Hélas, tout mon bonheur perdu !" chante-t-il à la toute fin du premier acte.

"Le Cid" égrène tous les ingrédients du roman (et de l'opéra) de cap et d'épée : l'héroïsme, le sens de l'honneur, le duel et la grande aventure – militaire et humaine. Et la musique de Massenet, de très bonne facture, offre l'entrain et le crescendo nécessaires.
L'infante (Annick Massis) et Chimène (Sonia Ganassi). 
 (Agathe Poupeney/Opéra national de Paris )
"Le Cid" est ce qu'il est aussi grâce à la tension du sentiment amoureux - la tendresse puis le drame, puis le plaisir à nouveau. Chimène (l'italienne Sonia Ganassi) et l'Infante (Annick Massis) ouvrent le bal avec la politesse du genre mais c'est à l'acte III, dans la chambre de Chimène, que le verbe amoureux atteint son comble servi par une musique qui en quelques mesures à peine peut faire grimper la température puis déclencher le drame et ainsi de suite avec le même rythme. Intense et très beau : Chimène décline son solitaire "Pleurez, pleurez, mes yeux !", puis avec Rodrigue – on ne peut mieux incarné par Roberto Alagna, soucieux d'une élocution parfaite - entonne un "Ô jour de première tendresse" émouvant.
La scène de la chambre de Chimène, entre Rodrigue et Chimène.
 (Agathe Poupeney/Opéra national de Paris)
Montagnes russes

La force de Massenet est aussi de faire constamment évoluer son rôle-titre entre fougue de jeunesse et maturité, honneur et amour, et ces montagnes russes nous accrochent au fauteuil de Garnier. "D'abord héroïque, Rodrigue acquiert une fragilité au moment de prendre la décision de sauver son père ou celle qu'il aime", explique Roberto Alagna dans "En scène" : "il tend alors vers le ténor romantique léger. D'Otello il passe à Roméo. Au fond, il incarne tous les héros shakespeariens en une seule œuvre, pour terminer par le grand duo d'amour analogue aux "Troyens" de Berlioz".

La mise en scène de cette production marseillaise adaptée à Garnier, signée Charles Roubaud, est à considérer comme "classique" en ce sens où elle reste fidèle à l'histoire, et sa sobriété met en exergue le jeu des chanteurs. Elle prend certes le parti d'adapter cette histoire de la Reconquista aux années 1940, en plein franquisme naissant. Ça ne gâche en rien, au contraire,  au plaisir des yeux car en ressortent des tableaux d'une très grande élégance avec la rondeur de cette époque et en même temps un souci de rigueur géométrique qui permet d'inclure dans cet ordonnancement, de jolies fantaisies : le tremblement des éventails auprès des femmes rangées toutes du côté droit de la scène ou les scènes de liesse avec l'apparition des drapeaux espagnols par le plafond lors du finale célébrant la victoire et la fin heureuse du drame amoureux.
Le finale.
 (Agathe Poupeney/Opéra national de Paris)
Musicalité de Corneille

L'esthétique de l'image doit aussi beaucoup à l'éclairage de Vinicio Cheli qui concourt à créer une atmosphère cérémonieuse par exemple dans la Salle du parlement ou métaphysique lors du très célèbre "presque" monologue de Rodrigue, "Ô souverain, ô juge, ô père" adressé à Saint-Jacques. L'homme se plie à une éventuelle défaite mais cherche quand–même l'aide divine pour affronter les Maures. Et Saint-Jacques de répondre : "Qui donne le fardeau prête aussi le soutien. Et je l'apporte au fils, au soldat, au chrétien !"
L'adresse de Rodrigue à Saint-Jacques.
 (Agathe Poupeney/Opéra national de Paris)
La simplicité - savamment calculée - de la mise en scène a l'avantage de faire entendre cette musicalité de la langue de Corneille, dont le livret (de 1885) d'Adolphe d'Ennery, Louis Gallet et Edouard Blau donne malgré ses imperfections, une jolie idée. Et "Le Cid" ne manque pas de perles poétiques et de "tubes" que l'histoire de l'opéra transmet : depuis "Ô noble lame étincelante" (quand Rodrigue est armé Chevalier) jusqu'à "Ange ou femme, mes jours à tes jours sont unis" (quand il s'adresse à Chimène), en passant par "Ô rage ô désespoir… ô vieillesse ennemie !". La plus connue est sûrement cette tirade de Rodrigue au Comte de Gormas qui le traite de jeune présomptueux : "Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n'attend pas le nombre (sans rigueur) des années !" On oublie souvent qu'en disant cela, Rodrigue s'apprête à transpercer son rival dans le cœur…

"Le Cid" de Massenet
Direction musicale de Michel Plasson
Mise en scène de Charles Roubaud
Jusqu'au 21 avril à l'Opéra Garnier à Paris



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