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"Pelléas et Mélisande" de Katie Mitchell envoûte le Festival d'Aix-en-Provence
Le chef finlandais Esa-Pekka Salonen et la magicienne britannique de la mise en scène Katie Mitchell ont ensorcelé samedi soir, le 2 juillet le public d'Aix avec "Pelléas et Mélisande" de Debussy, qui n'avait pas été monté au festival lyrique depuis 44 ans.
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La direction d'Esa-Pekka Salonen, à qui l'on doit également une mémorable "Elektra" de Patrice Chéreau en 2013, a soulevé l'enthousiasme du public : la musique de Debussy déferle en vagues, dans une fluidité parfaite, dans cet opéra d'un seul bloc, dépourvu des ruptures de scènes et récitatifs de l'opéra classique.
Des décors qui apparaissent et disparaissent comme par magie
La mise en scène, avec son emboîtement de décors coulissants, a également suscité les applaudissements, contrairement à deux autres nouvelles productions de cet été, le "Cosi fan tutte" transposé par le cinéaste Christophe Honoré en Erythrée, et "Le triomphe du temps et de la Désillusion" mis en scène par le radical Krzysztof Warlikowski.Katie Mitchell, qui aligne déjà cinq productions au festival lyrique, dont le magnifique "Written on Skin" de George Benjamin en 2012, aime jouer de décors apparaissant et disparaissant comme par magie. Une myriade de techniciens est venue envahir la scène lors des saluts, témoignant de l'exploit technique que représentent ces boîtes animées.
Les chanteurs passent d'une chambre à coucher à une forêt, d'une piscine désaffectée à un sinistre escalier en colimaçon en un clin d'oeil, le temps d'un baisser de rideau. "Je ne fais de pas de la technique pour la technique", a expliqué Katie Mitchell à l'AFP : "j'essaie de m'approcher au plus près de l'humain." "Ici, il s'agit d'un rêve. Or, lorsque vous rêvez, vous sortez de la cuisine et vous croyez passer au jardin, mais un puits s'ouvre sous vos pieds et vous tombez dedans. Ça a l'air tout simple, mais c'est complexe à réaliser !"
Le rêve de Mélisande comme prisme
Dans "Pelléas et Mélisande", adapté par Debussy à partir d'une pièce de Maurice Maeterlinck, un homme rencontre une étrange jeune femme dans la forêt, triste et apeurée. Il l'épouse, l'emmène dans sa famille, "où petit à petit, tout va se déliter sous l'effet de l'arrivée de cette étrangère, qui finira elle-même par être détruite", raconte-t-elle.Katie Mitchell a choisi de relater ce conte fantastique à travers les yeux de Mélisande. Le rideau s'ouvre sur une jeune mariée, un mouchoir ensanglanté à la main : elle a saigné du nez. Elle s'endort, et le plateau glisse vers un tout autre décor, où la forêt semble avoir pris possession de la chambre. Le rêve peut commencer... Des portes dérobées, le fond d'une armoire, font passer notre "Alice" de l'autre côté du miroir. Elle sont parfois deux Mélisande sur le plateau, comme dans un dédoublement de personnalité.
Psychanalyse
Lorsque Maeterlinck écrit sa pièce, on est au tournant du XXe siècle, à la naissance de la psychanalyse. Freud publie en 1899 "L'interprétation des rêves". Katie Mitchell, en enfant du XXe siècle, fait parler l'inconscient de sa Mélisande (formidablement incarnée par la Canadienne Barbara Hannigan), et décrit les pulsions de désir qu'elle suscite chez tous les hommes de la maisonnée, de son époux Golaud (Laurent Naouri) au jeune frère Pelléas (Stéphane Degout) et au patriarche Arkel (Franz-Josef Selig).Qui est-elle, cette Mélisande qui suit sans sourciller le premier homme rencontré, se laisse manipuler comme une poupée, et paye très cher de choisir enfin l'amour en toute liberté ? "Un pauvre petit être mystérieux comme tout le monde", dira d'elle le patriarche alors qu'elle se meurt. Une femme en quête de liberté, nous dit Katie Mitchell, qui a "choisi le point de vue de Mélisande", en féministe convaincue, nourrie de ses lectures de "Beauvoir, Duras, Yourcenar, sans qui on ne peut être une femme européenne aujourd'hui".
Servi par une très belle distribution, musicalement irréprochable, le drame lyrique de Debussy sort revitalisé de cette interprétation d'aujourd'hui.
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