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Rinaldo Alessandrini : "Le Couronnement de Poppée, c'est du théâtre !"

"Le Couronnement de Poppée", opéra de 1642 attribué à Monteverdi, conte l'ascension à Rome de Poppée, la maîtresse de Néron. Œuvre délicieusement immorale, qui célèbre non sans humour l'ambition et la manipulation. Grand spécialiste de Monteverdi, Rinaldo Alessandrini qui a entièrement conçu cette production de l'Opéra Garnier, explique ici la portée de ce chef d'œuvre du XVIIe siècle.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
  (Andrea Messana/Opéra national de Paris)

La musique, supervisée par Monteverdi, a été à l'évidence reprise et complétée par d'autres compositeurs, dont Pier Francesco Cavalli et Bendetto Ferrari. Le texte est signé du librettiste Gian Francesco Busenello. Plus déclamé que chanté, il est d'une très grande théâtralité. Sur le plateau de l'Opéra Garnier, à Paris, les chanteurs-comédiens se meuvent, dans un espace mis en lumière et en perspective de manière magistrale par Bob Wilson. Dans la fosse : le "Concerto
italiano", dirigé par Rinaldo Alessandrini.

Culturebox : "Le Couronnement de Poppée" est la dernière œuvre de Monteverdi (1642). C'est l'un des premiers opéras de l'histoire, d'ailleurs très largement complété par d'autres compositeurs après sa mort. Quelle en est la spécificité musicale ?
Rinaldo Alessandrini : En réalité, je vais vous provoquer, les opéras de Monteverdi en général n'ont pas grand-chose à voir avec la musique au sens classique. Ces opéras de la première moitié du XVIIe sont conçus dans un style théâtral très hybride, entre le parlé et le chanté, où la musique au sens stricte est extrêmement réduite. L'opéra naît par hasard en tant que style, ou genre. Quand on parle de "grande révolution" de la musique occidentale au XVIIe, ce n'est pas tant la naissance de l'opéra, mais celle de la musique à voix seule, ou si vous préferez le chant sans accompagnement.

En quoi consiste ce changement ?
Dans le rapport entre le musicien et celui qui écoute, le spectateur. C'est une question de perception. De la polyphonie religieuse (qui était le cœur de la production musicale jusqu'à la fin du XVIe) vécue comme une "vérité stable", à la musique à voix seule, la perception change au profit d'une implication émotive personnelle du spectateur. On passe donc d'une perception objective de la musique à un vécu très subjectif.
  (Andrea Messana/Opéra national de Paris)
Arrive donc l'opéra…
Oui, de manière fortuite, comme je disais. Il prend cette forme comme reproduction d'un genre théâtral connu, le théâtre grec, la tragédie. L'opéra est consacré comme genre par les théâtres de Venise (les premiers théâtres payants) qui le considèrent comme l'un des divertissements, à la mode, du carnaval. Et ce qui compte, c'est la dimension surprenante de ce genre : un spectacle musical dans lequel se meuvent des chanteurs comédiens qui en partie chantent et en partie parlent. Donc rien à voir avec une expérience exclusivement musicale !
  (Andrea Messana/Opéra national de Paris)
"Le Couronnement de Poppée" fait partie de ces opéras…
Oui, pleinement ! A 90 %, le "Couronnement" est ce qu'on appellerait aujourd'hui (de manière inappropriée d'ailleurs) du "récitatif", une sorte de déclamation dans le ton, mais très proche du parlé.

Et le texte est-il important ?
Oui, comme pour une pièce de théâtre. Le livret est de Gian Francesco Busenello, l'un des premiers livrets de l'histoire de l'opéra et pourtant l'un des plus aboutis. Une telle perfection donne idée de l'augmentation exponentielle de la qualité des livrets en 50 ans ! Il y a chez Busenello une fonctionnalité du texte que les livrets "d'Eurydice" de Peri (premier opéra de l'histoire, ndr) ou de Caccini n'avaient pas. Exemple : certaines parties de ces livrets sont écrites à la 3e personne, ce qui est un artifice théâtral des plus faibles. Alors que Busenello dans "Le Couronnement de Poppée", écrit sur un fait historique et développe à merveille la structure dramaturgique, théâtrale, psychologique des personnages !
  (Andrea Messana/Opéra national de Paris)
Quel est le principal défi du "Couronnement de Poppée" pour le chef que vous êtes ?
Le défi est de convaincre 16 chanteurs à parler (au sens figuré) la même langue, à se mouvoir à la même vitesse, à penser le texte de la même manière… Mais aussi à renoncer chacun à sa propre voix, à renoncer tout simplement à chanter, à donner vie à un style totalement hybride ! Bien plus que sur une partition du XVIIIe siècle, ici les chanteurs doivent interpréter précisément ce qui est écrit ; ils ne peuvent prendre aucune liberté par rapport au rythme par exemple, qui est très précis et qui colle "émotivement" au contenu du livret.  


. "Le Couronnement de Poppée" de Monteverdi à l'Opéra Garnier, jusqu'au 30 juin 2014.
. A écouter aussi : Les "Vespri solenni per la festa di San Marco" de Monteverdi, le "Concerto italiano" dirigé par Rinaldo Alessandrini, Naïve
. A lire : "Monteverdi" de Rinaldo Alessandrini, Actes Sud

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