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Sexisme dans la musique classique : un site, "Paye ta note", libère la parole

Si le milieu de la musique classique passe pour des plus raffinés, depuis peu les langues se délient en France pour y dénoncer le sexisme. Agathe Thorez, violoncelliste de 35 ans, a mis en ligne en janvier un site pour "lister factuellement toutes les absurdités sexistes que l'on peut dire aux femmes" dans ce milieu, dit-elle. L'exemple type :"Tu as couché avec qui pour partir sur cette tournée ?"
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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Violonistes dans une formation symphonique
 (Hybrid Images / Cultura Creative)

Du musicien qui après une master class dit vouloir "emmener la jolie clarinettiste au restaurant pour bien finir (sa) journée", au professeur de musique qui conseille à une instrumentiste de jouer "mieux que les mecs" pour "être prise au sérieux", le site "Paye ta note" a publié près de 170 témoignages en deux mois, tous anonymes.

"C'est bien pour une fille"

Début mars, une enquête du syndicat CGT menée auprès de 340 musiciennes a pointé du doigt des dérives sexistes du classique au hip hop, comme le chantage sexuel à l'embauche. Un mois plus tôt, la même centrale dénonçait une "omerta" concernant les harcèlements, critiquant l'invitation adressée au chef d'orchestre suisse Charles Dutoit pour diriger un concert de l'Orchestre national de France en janvier bien qu'il ait été accusé par plusieurs femmes d'agressions sexuelles - ce qu'il dément.

"Le fait de monter sur scène nous transforme facilement en objet de tous les fantasmes", précise Agathe, qui utilise un pseudonyme. "C'est bien pour une fille" est la remarque qui revient souvent selon cette musicienne.

En plus des blagues grivoises et déplacées, le site est émaillé de ce genre d'observations: "c'est bien, tu ne joues pas comme une nana"; "tu joues fort de la trompette pour une fille", ou encore "les hommes (...) sont plus aptes à jouer des instruments très encombrants".

Plus de perspectives pour les hommes

Les témoignages ne proviennent pas uniquement du monde du classique ("Le jazz, c'est une affaire d'hommes"). Pour Madeleine - également un pseudonyme -, violoncelliste à Bordeaux, le sexisme se manifeste dès le Conservatoire. "On a le sentiment que les hommes sont plus boostés, on leur donne des ailes en leur laissant entrevoir des perspectives professionnelles" plus qu'à des femmes aussi brillantes qu'eux, confie-t-elle.

La pianiste Célia Oneto-Bensaïd souligne pour sa part que "la misogynie ne vient pas seulement des hommes" mais parfois "des femmes elles-mêmes". "’T'as couché pour avoir des concerts’, est la phrase qui revient sans cesse, ce n'est pas un mythe", assure-t-elle. "Et pour peu qu'elle soit mignonne, on va lui dire : ‘c'est parce que t'es jolie, pas parce que tu travailles que t'as réussi’. On ne va jamais dire ça à un homme".

"Des blagues pas très fines"

Au sein même de l'orchestre, il y a une certaine égalité hommes-femmes au niveau des instruments à cordes et à vents, "mais quand on passe aux cuivres, contrebasses, percussions, ce n'est pas encore le cas et c'est là où on entend souvent des blagues pas très fines", affirme à Laurent Bayle, directeur de la Philharmonie de Paris.

Si les exemples sur le sexisme sont légion, peu en France ont dénoncé publiquement harcèlement ou agression sexuelle, principalement par peur pour leur carrière, selon les musiciennes interviewées par l'AFP. A l'étranger, les cas les plus notables ont été l'affaire Dutoit et celle de James Levine, licencié par le Metropolitan Opera après avoir été accusé d'abus sexuels par trois hommes alors qu'ils étaient mineurs.

"Si tu parles ta carrière est finie"

"Le réseau de programmateurs et directeurs de salles, des hommes en majorité, peut être fatal à une femme qui se plaint de harcèlement... Elle devient persona non grata", assure Agathe, pour qui une des solutions est de mettre plus de femmes aux postes de direction.

Si une femme dénonce des agissements, "on la fait passer pour l'emmerdeuse ou on la sort du réseau", dit de même Madeleine. La soprano française Anne-Sophie Schmidt fait partie des femmes ayant accusé Charles Dutoit de harcèlement ou d'agression sexuelle entre Paris, Montréal et les Etats-Unis. Au moment des faits, en 1995, "mon agent m'avait dit ‘si tu parles ta carrière est finie’", se rappelle la chanteuse de 54 ans qui n'exerce plus depuis quelques années. Dès qu'elle a repoussé ses avances - messages téléphoniques répétés, remarques lourdes puis "tripotage" dans un couloir -, "il a commencé à m'humilier en affirmant devant l'orchestre que je ne chantais pas juste, puis il m'a bannie de tous les concerts".

A la Philharmonie de Paris, un dispositif créé il y a deux ans permet de mettre à pied à titre conservatoire un employé accusé de harcèlement indique Laurent Bayle, qui ajoute que des outils de veille devraient se multiplier dans le monde musical. Mais y aura-t-il un jour une charte semblable à celle signée récemment par des médias français après le scandale de la "Ligue du LOL" ?

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