Turquie : le pianiste Fazil Say devant les juges pour atteinte à l'islam
"Je rejette toutes les accusations", a dit le compositeur habillé tout en noir et visiblement énervé lors d'une brève intervention à la barre, avant de remettre aux juges sa défense écrite.
Ses avocats ont réclamé l'acquittement immédiat de leur client ce qui a été refusé par la Cour qui a fixé la prochaine audience au 18 février.
Une centaine de militants des droits de l'Homme, dont des artistes et journalistes, ont manifesté dans le calme devant le palais de justice. "Fazil Say n'est pas" seul, pouvait-on lire sur une pancarte.
Le virtuose, de renommée internationale, est accusé aux termes de l'article 216 du code pénal turc d'avoir "insulté les valeurs religieuses d'une partie de la population" avec des messages diffusés sur Twitter dans lesquels il s'est moqué des musulmans pieux. Il encourt une peine d'un an et demi de prison.
Le pianiste estime n'avoir rien à se reprocher
Mardi soir sur son compte Twitter, le musicien a une nouvelle fois rejeté les charges pesant sur lui, affichant sa "stupéfaction" de devoir comparaître devant des juges. "J'ai représenté le visage moderne de la Turquie par mon art à travers le monde (...) et maintenant je dois être jugé. Je me sens très étrange", écrit-il.
Dans l'acte d'accusation, il est reproché au pianiste d'avoir envoyé des messages tels que : "Je ne sais pas si vous vous en êtes aperçus, mais s'il y a un pou, un médiocre, un magasinier, un voleur, un bouffon, c'est toujours un islamiste."
L'accusé, qui a rejeté les charges pesant sur lui, affiche aussi dans ces tweets son athéisme. Il affirme qu'il choisira le paradis ou l'enfer en fonction des alcools qu’on y propose, ou encore il raille la rapidité d'un muezzin dans son appel à la prière, se demandant si son empressement est dû à sa soif d'alcool ou à son impatience de retrouver sa bien-aimée.
Des particuliers, choqués par ses tweets, ont porté plainte
Des particuliers ont saisi la justice, s’estimant offensés par ses propos sur les réseaux sociaux.
Laïc convaincu et fils d'un intellectuel engagé, Fazil Say a régulièrement suscité la polémique en critiquant vertement le gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP). Les milieux défendant la laïcité accusent ce parti, issu de la mouvance islamiste, de vouloir islamiser la Turquie.
Des militants islamistes attaquent régulièrement le pianiste sur les réseaux sociaux ou sur les plateaux de télévision, l'accusant de bafouer la religion. Un député de l'AKP, Samil Tayyar, a déclaré que sa mère était "sortie d'un bordel".
Un pianiste de renommée internationale
En 2007, son "Requiem pour Metin Altiok", dédié au poète turc mort avec 36 autres intellectuels laïcs à Sivas (centre) en 1993 dans l'incendie volontaire de leur hôtel par une foule d'islamistes intégristes, avait été censuré par le ministère turc de la Culture.
"Si je suis condamné à la prison, ma carrière sera terminée", a insisté le musicien qui remplit des salles entières de Tokyo à Berlin, Paris, Londres ou Salzbourg. Il est connu pour ses interprétations très personnelles des grands classiques. Il y a quelques mois, il avait envisagé de s'exiler au Japon.
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