Breton : rencontre avec le leader du groupe pop surréaliste
La première fois que nous avons croisé Breton, c’était en mai 2011, dans un pub de Brighton (au festival Great Escape). Dissimulés sous des sweats à capuche, à l’abri derrière ses machines et ses projections arty sur écran, le collectif britannique multimédia nous avait fait forte impression. Aussi glaciale que fiévreuse, industrielle qu’organique, sa fusion de math-rock-électro-hip-hop intriguait.
Un an et demi plus tard, leur premier album, « Other People’s Problems », conçu dans leur incroyable QG du sud de Londres, une vaste banque désaffectée, avait conquis la critique, gagnant sans forcer les louanges et un noyau dur de fans français. Pourtant, ce disque de jeunesse, entièrement réalisé par leurs soins, était encore très imparfait, bien en-deça de leurs capacités.
Visiblement, Breton (ainsi nommé en référence au poète et théoricien du surréalisme André Breton) apprend vite de ses erreurs. Car « War Room Stories », leur second album, confirme cette fois brillamment leur potentiel. Terminé le jeu de cache-cache, exit les capuches et la froideur intellectuelle. Place à des chansons plus pop, plus organiques. Sans oublier pour autant la complexité ni désavouer les détails expérimentaux.
Un disque dense et généreux, à nouveau auto-produit, dont chaque titre est un monde en soi et où l’on remarque une belle progression au chant du leader et songwriter en chef Roman Rappak.
Pour cette nouvelle aventure, le collectif, privé abruptement de sa « matrice » d’origine (la fameuse banque londonienne désaffectée), a pris ses quartiers dans un bâtiment berlinois squatté, la Funkaus, où se fabriquaient les émissions de la radio communiste de RDA. L’immersion dans ce lieu industriel en déshérance s’est révélée particulièrement féconde pour élaborer ce nouvel album taillé pour la scène.
Entretien avec le francophile et francophone Roman Rappak, tête pensante (et parlante) de Breton, à la veille de la sortie du disque et d’une importante tournée française.
Comment s’est passée la fin de votre QG/Laboratoire dans l’ancienne banque londonienne, auquel vous étiez très attachés ?
Roman Rappak : Nous étions à Bruxelles pour un concert et j’ai reçu un e-mail disant : « Vous devez évacuer le Lab d'ici 15 jours car la municipalité va le détruire ». C’était deux semaines avant la fin de la tournée. Je crois que j’ai pleuré un peu mais j’y ai vu aussi une étrange coincidence. Soudain, à la fin de la tournée, à la fin du premier album, nous perdons l’endroit, la matrice, où nous les avons créés. La base qui nous avait aidé à naître et exister ayant disparu, il ne restait que nous. Cela nous a poussés à retrouver ce qui nous avait fait avancer ensemble au début, sans toutes les béquilles matérielles.
Avez-vous remplacé cette matrice d’une certaine manière ?
Nous avons compris que ce n’était pas tant le lieu qui comptait que l’atmosphère. Dans cette banque désaffectée nous disposions d’une grande liberté et du privilège de pouvoir fermer la porte et d’être en paix, coupés du monde. Nous avons donc cherché à remplacer cette atmosphère à l’abri des influences et des pressions extérieures. Mais nous souhaitions aussi un lieu avec une histoire car l’environnement dans laquelle on la crée déteint toujours sur la musique.
Comment le bâtiment berlinois a-t-il déteint cette fois sur l’album ?
Dans la Funkaus, vaste complexe aujourd’hui à l'abandon, 3.000 personnes venaient chaque jour travailler pour la radio de l’Allemagne communiste, pour faire des infos, des documentaires, de la musique. De ce lieu était diffusée la propagande de RDA. J’avais le sentiment que nous faisions un peu la même chose car les gens attendaient un deuxième album, nous devions nous concentrer sur un manifeste.
Quel était votre objectif ?
Nous avons beaucoup appris de notre première tournée, et découvert notamment ce que c’est de jouer devant des milliers de personnes. Nous avons compris que pour le nouvel album il allait en être de même : il nous fallait donc de la musique pour les concerts. Mais pas uniquement. Il fallait que les chansons fonctionnent dans différents contextes, sur scène, mais aussi lorsqu’on est dévasté après une rupture sentimentale et qu’on les écoute au casque, ou avec 15 potes autour d’une enceinte. Chaque morceau est une histoire qui se tient, presque un court-métrage. C'est presque une façon de protester contre les gens qui disent « la musique est morte, les albums sont morts », toutes ces choses déprimantes. Mais non, regardez tout ce que la musique peut faire !
Cet album, en particulier le premier single « Envy » est plus pop. C’était une volonté ?
Sur le premier album, personne ne pouvait jouer un seul de nos morceaux sur une guitare acoustique. Normal, c’était des tranches de samples. Je n’ai pas peur d’être plus pop. Certaines personnes ont aimé le premier album car il y avait des truc difficiles, intellectuels. Je ne crains pas de les décevoir, d’aller à l’ encontre de leur idée d’un groupe très sérieux. « Envy », avec son refrain pop, est un des trucs les plus contradictoires que nous ayons fait, c’est vrai, mais c’est marcher dans les deux mondes qui m’intéresse, comme le faisait Warhol.
Côté chant, tu as pris de l’assurance. As-tu l’impression d’avoir progressé ?
Je crois surtout que j’ai moins peur, car auparavant je me cachais un peu dans le mix, même si c’était parfois un effet volontaire. Forcément, quand tu mets la voix sous la musique, la musique a l’air plus puissante, plus imposante. Mais sur ce nouvel album, il y a des morceaux beaucoup plus intimes, il était donc logique que ma voix soit dans ce cas plus proche de l’auditeur.
Votre nom est un hommage à André Breton. Utilisez-vous les techniques surréalistes pour composer ?
Oui, tout à fait. Déjà, rien que le fait d’enregistrer, qu’on le veuille ou non, est une technique surréaliste puisque on coupe et on ré-arrange. Quant au remix, c’est un genre de cadavre exquis. Et puis on ne peut pas éviter le hasard, c’est ton inconscient qui parle, c’est une illusion de penser que tu as entièrement le contrôle sur le produit fini. Aujourd’hui, les techniques d’enregistrement permettent de corriger tout jusqu’à la perfection. Nous, nous préférons laisser le hasard faire son oeuvre, conserver les petits défauts, les interventions humaines, les bruits ambiants : ça donne de la personnalité à nos morceaux. Sur l’album, il y a des bruits d’insectes enregistrés à Berlin (sur « 15 seconds ») et des bruits de couteaux raclant le sol, le monologue d’un de vos amis militant pour la paix (Closed Category). Quoi d’autre ?
Nous avons utilisé des bruits de pas, de portes qui se ferment et le dialogue d'un couple d'accros au crack que j'ai enregistré dans l'appartement voisin de celui que j'occupais à Londres. Il y a aussi l’enregistrement d’une femme à Istanbul qui parle à un client dans son coffee shop pendant que des enfants jouent de l’autre côté de la rue et un camion à incendie passe à ce moment là. C’est une petite histoire en condensé, un instantané de vie. C’est un peu comme un cadavre exquis parce que ça lance tout ça dans une direction que tu ne peux pas contrôler. L’inconscient de l’auditeur prend forcément le dessus avec ses propres interprétations. Or, il y a autant d’interprétations possibles que d’auditeurs et je trouve ça fascinant.
Vous vous êtes offert un ensemble à cordes, très présent sur l’album. C’est quelque chose que vous vouliez faire depuis longtemps ?
Oui. Exprimer ses sentiments et ses idées avec les derniers outils technologiques, c’est formidable et cela donne une valeur « contemporaine » à ton travail. Mais en même temps, j’ai horreur que l’on puisse penser que Breton est un groupe obsédé par la nouveauté et « la hype ». Je suis d’autant plus heureux d’utiliser de vieux instruments, comme les guitares ou les boîtes à rythmes. D’ailleurs, l’album même est un vieux format. Mais un orchestre, voilà vraiment un vieil outil !
Comment t’y es tu pris pour travailler avec l’Orchestre symphonique de la radio de Macédoine ?
Je connais mal la musique classique, mais j’adore le cinéma et j’ai appris comment écrire de la musique orchestrale rien qu’à travers la musique de films. Nous avons été en Macédoine, j’ai écrit la musique sur mon ordinateur et les musiciens de l’Orchestre l’ont convertie en musique réelle. C’était fantastique ! Passer d’un outil digital et électronique à des êtres humains qui font de toutes petites erreurs, des bruits, et dont on entend le souffle, ça reste une des plus belles expériences de toute mon existence.
Qu'attends-tu de l'année à venir ?
J'ai hâte de jouer l'album sur scène, parce que nous l'avons créé avec l'idée du live en tête. Je crois que l'expérience des festivals et du live va être beaucoup plus intéressante cette fois. Le premier album avait été écrit au casque et sur des ordinateurs. C'était une production massive et claustrophobe. Cette fois, les chansons sont les racines plutôt que la finalité, c'est beaucoup plus ouvert. Quand tu écris de la musique électronique, la chanson terminée est figée, elle ne peut plus grandir. Avec cet album, ça va être le contraire : d'ici le concert à la Cigale en mars, les chansons auront évolué et cet été encore davantage. Ca va être passionnant !
Breton est en concert le 6 mars à la Cigale (Paris) et en tournée - le 9 février à Ramonville, le 10 février à Montpellier, le 11 à Lyon, le 18 à Lausanne, le 19 à Strasbourg, le 21 à Roubaix, le 22 à St Malo, le 23 à Bruxelles...
L'album "War Room Stories" (Cut Tooth/Believe) vient de sortir
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