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Interview La pop singulière de Laura Perrudin, chanteuse et harpiste du futur

Oubliez les clichés sur la harpe. Laura Perrudin va bousculer votre point de vue sur cet instrument. Sur son album "Poisons & Antidotes", cette musicienne exigeante travaille les sons de sa harpe unique au monde avec des pédales d'effets jusqu'à en faire de la musique électronique. Couplés à son chant, le résultat est envoûtant sur disque et captivant en live. À découvrir aux Trans Musicales.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La chanteuse et harpiste bretonne Laura Perrudin.
 (Nicolas Joubard)

Une pop expérimentale profonde et intrigante

Pour entrer dans le monde musical de Laura Perrudin, il faut commencer par laisser quelques a priori  sur le seuil. Les idées reçues sur la harpe, d'abord. Mais aussi les éternels clichés sur les cloisonnements musicaux. Car cet esprit libre refuse de choisir entre le hip-hop, le jazz, la folk et les musiques électroniques.

Laura Perrudin fait du Laura Perrudin. Une pop expérimentale qui n'appartient qu'à elle. Chez cette songwriteuse douée, les mélodies intelligibles, même si parfois équilibristes, donnent accès à un sous-texte et à des profondeurs insoupçonnées : superpositions de sons et de voix, complexité des détails, douceur et venin, ça bouillonne sérieusement sous la surface. Le sol a l'air ferme mais très vite il se dérobe sous les pieds. Basculer dans cet univers parallèle est aussi voluptueux que stimulant.

Sur scène comme sur disque, elle est seule et tient tous les rôles. Sur son second album "Poisons & Antidotes" paru il y a quelques semaines, Laura Perrudin utilise une harpe unique au monde, à la fois chromatique et électrique. Après avoir mis en musique des poèmes de grands auteurs comme Joyce ou Oscar Wilde sur son premier opus, elle chante cette fois (et divinement) en français et en anglais ses propres textes. Tombés sous le charme, nous avons voulu en savoir plus à la veille de ses concerts à Paris et aux Trans Musicales.

Interview

Quel a été votre cheminement musical ?
Laura Perrudin : Mon parcours est assez éclectique, plusieurs membres de ma famille sont musiciens et j'ai écouté beaucoup de musiques différentes assez tôt, du jazz, du hip-hop, des musiques électroniques. J’ai choisi la harpe très jeune et je suis entrée au conservatoire à 8 ans. Mais je me suis rendue compte petit à petit que la harpe est un instrument très contraignant qui ne me permettait pas de jouer les musiques que j’aimais. C’est pour ça que j’ai commencé à chanter assez tôt, en autodidacte, et à bricoler avec des samples dans mon coin, alors que j’allais au conservatoire en harpe.

Vous avez ensuite voulu une harpe sur mesure ?
J’ai commencé à jouer avec une harpe celtique, un instrument traditionnel, puis j'ai fait dix ans d'études de harpe classique au conservatoire. Mais je suis influencée par des figures du jazz comme Wayne Shorter qui utilise un langage harmonique nécessitant d'avoir toutes les notes d'un piano sous les doigts, y compris les touches noires, ce que ne permettent pas ces harpes. J'ai fini par trouver un luthier qui avait déjà fabriqué pour un autre musicien une harpe acoustique chromatique. Puis, dans un second temps, ce luthier, Philippe Volant, m'a fait une harpe sur mesure à la fois chromatique et électrique. Cet instrument unique au monde est celui que j'utilise aujourd'hui. Je peux passer ses sons électriques dans tous les effets que je veux et en faire sur scène une vraie musique électronique.

Comment abordez-vous la scène justement ?
Sur scène, je n'utilise aucun son pré-produit, tous les sons sont réalisés live. Je suis seule avec ma harpe mais je produis une musique orchestrale en démultipliant ma présence grâce à un looper (un appareil qui met les séquences sonores en boucle). Les sons de ma harpe passent dans toute une série de pédales d’effets qui me permettent de traiter le son, de le transformer. Ensuite ces sons vont dans un looper multipistes qui est envoyé à mon ingénieur du son qui les mixe en direct comme il le ferait avec un groupe constitué d'une basse, d'une guitare, d'un chœur…

Sur votre nouvel album "Poisons & Antidotes" on passe d'une chanson qui rappelle Erykah Badu (The Ceiling's Maze) à des morceaux plus jazz, plus électroniques, plus folk ou plus cinématiques. Cherchez-vous à décloisonner ?
Je pourrais dire que oui, mon but est de décloisonner parce que je suis influencée par plein de choses, pas forcément musicales,  et que je revendique le droit en tant qu’artiste de ne pas choisir. C'est un combat parce que l’industrie aimerait nous mettre dans des cases en permanence. Mais ce pour quoi je dois me battre le plus souvent, ce sont les clichés liés à la harpe. Des clichés auxquels je ne correspond pas.

En fait vous voulez aussi libérer la harpe…
C'est un cheval de bataille auquel je ne pense jamais en composant. Mais j’aimerais qu’on arrête de mettre des étiquettes sur la harpe liée à la musique classique, à la musique traditionnelle et à quelque chose de féminin, de pseudo féérique, de lié à la douceur, alors que ça peut être complètement autre chose. C’est un des instruments les plus anciens de l’humanité, qui a évolué de manière très différente sur tous les continents. C’est du coup un des instruments qui a le plus d’arborescences dans son évolution et qui a par conséquent un immense potentiel de créativité.

De quoi parlez-vous dans vos textes ?
De plein de choses mais ce qui fait le fil rouge de l’album, c’est son titre "Poisons & Antidotes", qui se dit aussi bien en français qu'en anglais. C’est l’idée de Pharmacon, qui est un mot de grec ancien, à la fois poison et antidote. Selon le point de vue, certaines choses peuvent être soit poison, soit antidote, soit les deux. Tout l’album joue sur cette idée. Et ce dès le premier morceau, "Inks", qui veut dire encre. L'encre est utilisée par certains animaux comme une arme et un poison mais pour l'humanité elle est utilisée comme moyen d’expression et donc par extension comme un moyen de guérison. Le retournement de la considération de cet objet, je l’applique à plein d’autres choses, parfois très personnelles.

Expérimentez-vous constamment au plan musical ? Vous posez-vous un cadre, des limites ?
L’expérimentation, c’est ce qui me stimule. Ce que j’aimerais trouver, et j’espère le trouver de temps en temps, c’est un équilibre entre quelque chose de lisible et d'accessible émotionnellement, ce qui est un peu l’essence de la pop music, et qui ait en même temps une dimension supplémentaire. Comme un paysage qu’on pourrait regarder très longtemps et en découvrir des détails qu'on n'avait pas vus au départ. J’aime l'idée d'avoir une profondeur de champ dans mon travail, qu’il y ait toujours un premier plan qui s’adresse directement à n’importe qui, quelle que soit sa proximité culturelle avec moi, et dans un second temps, la possibilité de percevoir quelque chose derrière qu’on n’aurait pas entendu. (Franchement, on n'aurait pas pu mieux définir sa musique.)

Laura Perrudin était en concert mardi 5 décembre à Paris (au FGO Barbara) puis à Rennes aux Trans Musicales, à l'Aire libre en première partie de Nakhané, mercredi 6 et jeudi 7 décembre à 20h30, puis dimanche 10 décembre à 17h.

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