Matthieu Chedid alias -M- réalise un vieux rêve avec son album malien "Lamomali"
Un rêve partagé
La fascination pour l'Afrique de Matthieu Chedid ne date pas d'hier, elle remonte à l'adolescence. La guitare magnétique et le blues d'Ali Farka Touré lui ont servi de porte d'entrée pour la musique du continent. L'envoûtement se précise lorsqu'Amadou et Mariam l'emmènent il y a une dizaine d'années au Mali pour le festival Paris-Bamako. Souvenez-vous, il dédiait au Mali sa chanson "Amssétou" sur l'album "Mister Mystère" en 2009, tandis que Toumani Diabaté était invité régulièrement sur scène à ses concerts.Depuis, -M-, guitariste accompli, et Toumani Diabaté, maître virtuose de la kora, une harpe-luth africaine à 21 cordes, aspiraient à faire davantage ensemble.
Cet album était un rêve partagé depuis que j'ai rencontré Toumani au Mali, se souvient Matthieu Chedid. Cette envie d'échange s'impose à nous parce qu'on adore jouer ensemble et qu'on sent qu'il y a des choses à inventer en commun."
Au Mali, on appelle les Chedid "les griots blancs". Le parallèle saute aux yeux, en effet, entre la dynastie des griots africains Diabaté, qui se transmettent la maîtrise de la kora depuis 72 générations, et la lignée des troubadours Chedid - Andrée, la grand-mère d'origine libano-égyptienne de Matthieu, était poétesse, tandis que Louis, son père, est chanteur et musicien.
Le clip du premier titre de l'album, "Manitoumani", filmé en partie à Bamako en janvier
Pas de la world music mais une fusion afro-pop
Durant deux après-midis fin 2015, Toumani Diabaté et son fils Sidiki, joueur de kora et star montante au Mali, sont venus improviser chez -M-, dans son studio parisien, posant les bases harmoniques de l'album. "J'ai ensuite mis plus d'un an pour inventer une espèce de monde autour de ça", raconte Matthieu.Le résultat, réjouissant, est sur "Lamomali". Fruit d'un dialogue entre kora et guitare, c'est un album touffu, un pont tendu entre France et Mali qui marie merveilleusement pop moderne et tradition. Mais il s'agit aussi d'une sorte de grand huit émotionnel alternant gros tubes euphoriques et plages contemplatives sur lequel les invités du monde entier se bousculent, de Oxmo Puccino à Youssou N'Dour, de Jain au contre-ténor Philippe Jarrousky et de Seu Jorge à Ibrahim Maalouf.
On ne cherchait pas à faire un album de world music, nous dit -M-. Je voulais vraiment faire une sorte de Mali 2.0, faire un album d'aujourd'hui pour essayer de réinventer quelque chose, un nouveau monde, un nouveau son, une fusion.
Toumani, en mission depuis toujours pour faire découvrir la musique mandingue au monde, a été le premier à pousser Matthieu à faire quelque chose de moderne en frottant sa kora à la pop.
Des tubes trépidants fourmillants d'invités
On entre dans cet album sur la pointe des pieds avec les notes délicates de la kora de "Manitoumani", sur lequel -M- dresse le portrait de son ami Toumani Diabaté, sans chanter mais en parlant doucement, avec une gravité bienveillante : "J'entends dans ta kora l'enfant qui part en guerre, j"entends dans ta kora ton coeur qui bat mon frère".Le rythme s'emballe dès le second titre, le single "Bal de Bamako", sur lequel souffle un irrésistible parfum de fête afro-disco. D'autres tubes potentiels ponctuent cet album, à commencer par "Solidarité", un appel à la fraternité à vocation internationale avec sa pleiade hallucinante d'invités (Nekfeu, Seu Jorge, Youssou N'Dour, Santigold, le contre-ténor Philippe Jarrousky, Ibrahim Maalouf, la chanteuse libanaise Hiba Tawaji etc). Mais aussi le trépidant et terriblement obsédant "L'âme au Mali", emmené par Amadou & Mariam et Jain.
Dans un registre plus doux, on retient les trois duos avec la diva malienne Fatoumata Diawara, très présente sur cet album : "Une âme", sur lequel -M- joue avec le concept du masculin et du féminin, "Toi Moi", inspiré d'un poème de la grand-mère de Matthieu, et "Cet Air", aux accent dub, un souvenir nostalgique d'un Paris et d'un Mali qui n'existent plus.
Opposer la joie à la peur et la danse à la douleur
Car malgré la joie et l'enchantement de ce disque, sourd constamment sous la surface quelque chose de douloureux, des allusions à la guerre, à la colère, une nostalgie. Même dans l'euphorie absolue de "Bal de Bamako" avec Oxmo Puccino, on se prend des balles. "Lamomali" a en effet été conçu au lendemain des attentats de Paris et de Bamako (celui du Radisson Blu, qui avait fait 22 morts le 20 novembre 2015, une semaine après ceux du 13 novembre à Paris)."Toi, qui que tu sois, je te suis bien plus proche qu'étranger" : cette phrase de ma grand-mère Andrée Chédid est au coeur de cet album", souligne -M-.
En janvier, à Bamako où la troupe présentait "Lamomali" sur scène lors d'une série de concerts en dépit de l'état d"urgence prolongé au Mali depuis les attentats, ils ont pu constater que le projet soulevait les foules.
Cet album c'est vraiment, sincèrement, une réponse au monde anxiogène dans lequel on vit", souligne Matthieu Chedid. "C'est une réponse très concrète, vibratoire. C'est sûr qu'à travers la kora, les rythmes et la joie de vivre, ce qu'on fait là est bénéfique. Déjà, nous, de la jouer cela nous fait un bien fou."
L'album se referme sur un titre apaisé, "Koman le Héros", mariage intime et libre de la kora de Toumani et de la guitare de Matthieu, dont les cordes intimement enlacées s'éteignent sous les joyeux piaillements d'un vol d'hirondelles. Une belle façon comme le chante -M- de "planter des flambeaux à la lisière des nuits".
Album "Lamomali" (Wagram Music) sort le 7 avril
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