Yael Naim de retour avec un nouvel album : "J’adore trouver des ponts entre les langues"
A l’occasion de la sortie de son album "Live solo in Paris", Yael Naim s’est confiée à franceinfo culture sur son rapport à la musique et au public, son histoire personnelle entre Israël et la France.
Après trois albums co-produit avec son compagnon David Donatien, Yael Naim s’est lancée entièrement seule dans la réalisation de Night Songs, sorti pendant le confinement. Pour parachever cette démarche, elle vient de publier Live solo in Paris, une performance unique enregistrée au printemps à l’Église Saint-Eustache à Paris. Ses chansons y sont complètement revisitées et on y trouve même les trois morceaux figurant uniquement sur l'EP unreleased night songs : I wish, Attendre et Leave it there. Seule avec un piano ou une guitare et quelques effets, la chanteuse tutoie les anges à travers des harmonies vocales sublimes. 15 titres où chaque moment est un instant de grâce. Yael Naim a répondu à nos questions.
franceinfo culture : C’est votre premier album live ?
Yael Naim : Oui. Je n’ai jamais été fan d’entendre mes propres live. C’est difficile d’être dans le moment présent, lâcher prise, et à la fois dans la précision qu’on recherche pour un disque. La première fois que j’ai senti que j’aurais pu sortir un live c’est quand j’étais avec un chœur à la Philharmonie. Le concert existe sous forme vidéo mais on ne l’a pas sorti. Et pour cette fois-ci ce n’était pas prévu de sortir un album live, mais en entendant les résultats j’étais fière de ce qui s’est passé ce soir-là et je me suis rendu compte que puisque l'album Night Songs n’a pas pu partir en tournée (l’album est sorti pendant l’épidémie – NDLR), cet album live va être une belle manière de le faire tourner. Et je suis très contente de sortir cet album live qui me permet de tourner la page sur ce projet Night Songs qui est très important pour moi.
En quoi était-ce important ?
C’était un tournant pour moi, j’ai mis trois ans à le faire. Maintenant j’arrive plus à le verbaliser. En fait, quand j’étais enfant, j’aimais beaucoup de compositeurs comme Mozart et j’étais choquée de voir qu’il y avait eu peu de femmes compositrices connues. Il y avait toujours un homme derrière, ou une fin tragique. Les femmes n’ont jamais pu avoir toute leur autonomie, une créativité libre et une vie heureuse de famille simultanément. J’ai eu la chance de rencontrer un musicien et producteur qui est aussi mon amoureux, David Donatien avec qui on a coproduit mes trois albums. Je me suis dit qu'avant 40 ans j’avais fait toute ma construction avec un homme derrière et j’avais besoin de me prouver que je pouvais être autonome et mener une idée de A à Z. Produire et réaliser un projet, rentrer dans cette méditation, sans avoir de second avis. Un peu comme une plongée. Cet album Night Songs est venu de ce besoin-là : aller jusqu’au bout avec mon univers à moi.
Cette "plongée", on la ressent dans ce live. Il y a un côté sans filet à se retrouver seule en scène
Oui c’est exactement ça. Le fait de ne pas avoir les moments habituels comme faire taper des mains ou chanter des "happy songs"... J’avais envie de me débarrasser de tous ces trucages de scène, qui sont géniaux, et de voir si on pouvait avoir une conversation profonde face aux gens en se dévoilant complètement. Et c’était chouette de découvrir qu’il n’y a pas forcément besoin d’artifices. Le relief il peut venir de plein de manières différentes et notamment en sentant ce lien-là avec le public.
Est-ce que le cadre de l’église Sainte-Eustache a donné une dimension sacrée à votre musique ?
Ça donne surtout une dimension unique à ce moment. On n’est pas en tournée à faire le énième concert dans une énième salle identique. Bien sûr j’aime aussi les salles avec un bon son, mais là on est dans un lieu chargé d’Histoire. Mozart y a enterré sa mère. Cette histoire rencontre la nôtre et ce moment qui n’arrive qu’une fois. J’aime les lieux atypiques en général et à la base Night Songs devait tourner dans des églises ou des musées avec un chœur classique. Cette église Sainte-Eustache était vraiment l’endroit parfait pour enregistrer ce live.
Seule en scène, mais pas totalement. C’était un souhait d’avoir d'autres présences à vos côtés ?
Pour les concerts parisiens, il y a souvent des cartes blanches. Ça donne envie d’avoir un moment unique qui dépasse la façon d’interpréter les morceaux. Et puis j’avais envie de faire des rencontres. Mon frère Eyal chante Daddy sur l’album, j’avais envie de l’inviter en live.
Watching you je l’avais déjà fait une fois avec Anaiis, une artiste que j’adore et qui est une amie très proche. Ça m’a fait du bien d’entendre des personnes chanter ces chansons autrement que moi.
Celia Kameni, c’est une artiste que j’ai découverte depuis deux ans, et je suis en train de produire et composer son projet avec elle. C’est une grande artiste, j’étais contente de l’avoir avec moi ce soir-là. Et en plus pour chanter Lonely qui a connu tellement de versions et d’années si intenses. C’est le premier morceau que j’ai composé quand je suis arrivée en France.
On sent que vous utilisez votre voix comme un instrument à part entière
Aussi bien sur l’album que sur le live, je voulais faire le maximum avec le minimum, donc avec la contrainte d’être seule. Donc je boucle la voix et en ajoutant différents types de réverbération, ça me permet de créer des textures qui ressemblent à des nappes de synthétiseur. À cela s’ajoute un deuxième micro avec plus de réverbération et donc un son différent. L’idée était de reprendre la place des chœurs.
C'est ce boîtier qu'on aperçoit au-dessus du clavier ?
J’ai aussi la possibilité de boucler le piano avec également des sonorités de type synthétiseur et pouvoir le passer dans un effet qui baisse d’une octave. Tout est joué en live, il n’y a aucun son préparé. L’important pour moi c’était d’improviser. Au bout de trois fois deux ans de tournées, je me suis rendu compte qu’après cinq concerts on s’ennuie à se répéter, à rejouer les mêmes chansons de la même manière. Et j’ai beau venir d’une culture de musique classique, je viens aussi d’une culture du jazz et il faut cet abandon-là. C’est comme dans les relations : le fait de lâcher prise sur le moment présent permet d’atteindre une autre dimension émotionnelle. C’est là où j’ai les frissons, où on sent qu’il se passe un truc unique aujourd’hui. Et c’est ce qui donne le goût à faire 100 concerts, sinon c’est du service après-vente pour moi. Donc j’avais besoin d’avoir le plus d’outils possibles pour de l’improvisation. Y compris avec les boucles, je peux faire chaque soir quelque chose de différent.
Il y a deux chansons à la guitare, The Sun et Attendre. Vous composez plutôt au piano ou à la guitare ?
Je compose sur les deux. Je suis plus clavier par ma formation, mais j’adore la guitare aussi. Ça amène de l’intimité. J’aime bien jouer les morceaux sur l’instrument avec lequel ils ont été composés. The Sun et Attendre ont été composés sur guitare, pour être interprétés à la guitare.
Vous êtes née à Paris, vous avez vécu votre enfance en Israël. Night songs est le premier album où on vous entend chanter en français, si on excepte les reprises comme celle de Brel avec d'autres artistes. C’était naturel pour vous d’écrire d’abord en anglais ?
Effectivement il n’y avait eu que des bouts de mots comme par exemple "The game is over for mon coeur" sur le deuxième album. Même si j’ai été élevée en Israël, la musique que j’écoutais était anglo-saxonne : Joni Mitchell, Nina Simone, les Beatles, Nick Drake… donc j’écrivais naturellement en anglais. J’ai eu un rejet au début de l’hébreux parce que j’avais l’impression que je venais d’un petit pays et je rêvais de sortir de ça, ce contexte qui m’enfermait, qui m’isolait. Pour moi ça n’avait aucun sens d’écrire en hébreux tant que j’ai vécu en Israël. Quand j’ai emménagé à Paris, au bout de quatre ans j’ai eu le mal du pays, tout me manquait, j’avais besoin de garder une forme de lien. Et quand j’ai finalement décidé de rester vivre à Paris et qu’en plus mon petit ami israélien m’avait quittée, c’est comme si tout d’un coup j’avais eu besoin qu’il reste quelque chose de mon lien avec Israël à travers la musique. Au départ c’était un album qui ne devait même pas sortir, ça devait rester un truc intime et c’est bizarre que ce soit cet album-là qui ait le plus marché. Une jolie histoire : je pars de chez moi, je recrée un lien et ce truc est propulsé dans le monde entier.
Au départ je parlais un français très basique. Je ne comprenais pas les blagues…. J’ai mis vraiment beaucoup de temps à apprendre le troisième degré qui est permanent en France ! (rires) A rentrer dans la langue, à commencer à lire, etc.. Et ce n’est que récemment que j’ai commencé à assumer mon français à moi. Ce ne sont pas des mots politiquement corrects. Les "trous" ou les "miettes" ce ne sont pas des jolis mots, mais il m’arrive d'être obsédée par un mot.
Dans Miettes, il y a même des rimes entre anglais et français.
Oui. Mes textos, c’est pareil, c’est un mélange d’anglais et français. Beaucoup de gens qui sont multiculturels développent ce langage mixte. Mon cerveau fonctionne comme ça maintenant et j’aimerais de plus en plus écrire des chansons "mixtes". Peut-être qu’il y aura de futures générations qui seront métissées et pluriculturelles et que le langage va évoluer, comme il l'a toujours fait d’ailleurs. "Tu m’ donnes des miettes Cause it’s not me yet"... Trouver des ponts entre les langues, j’adore. J’ai l’impression que les langues se créent de manière organique. Par exemple le créole s’est créé à cause d’un choc entre deux cultures. Et le métissage dans la musique c’est pareil.
Yael Naim - "Live Solo in Paris" est sorti le 24 juin (Mouselephant records)
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